‘'Moi je suis différent. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais un extra-terrestre.'', lisait-on dans le journal, en titre d'un entretien d'une double page racontant les aveux d'un jeune homme maltraité par sa famille, ses amis, même par les enseignants de l'école pourtant républicaine ; il avait eu du mal à évoluer dans son corps, il avait voulu se tuer plusieurs fois et changer d'identité, fuir, mais n'était jamais parvenu à aucune de ces fins, revenant toujours se lover dans les bras de sa mère en pleurant. Il avait fini par devenir fou et un soir, après avoir fugué plusieurs jours, il était rentré chez lui, avait sauté aux bras de sa mère et lui avait planté dans le ventre un couteau de cuisine. Elle avait survécu: « Encore un échec, avouait-il avec apparemment un air de dépit. » Il avait été arrêté, jugé et interné. Il concluait: « Si c'est pour me faire vivre cette vie non désirée, je me demande pourquoi elle n'a pas avorté. » Sombre histoire.
Le soleil découpait les arbres et les oiseaux perforaient de notes le silence, comme les partitions des orgues de Barbarie. Une fumée élégante s'échappait de sa tasse de café, une brise de vent entra comme une flèche par l'entrebâillement de la fenêtre jusque dans ses cheveux. Il tourna la page du journal, lut l'horoscope, termina son bol de céréales et ferma la fenêtre. Le téléphone sonna, il décrocha. C'était la maison de retraite. Il acquiesça mollement, haussa les épaules, se gratta la tête, et dit: « Oui, je comprends, j'arrive tout de suite. ».
Quelques minutes plus tard, il roulait sur la rocade, la vitre baissée, la radio allumée chantant le « Mother » des Pink Floyd. Tapotant ses doigts en rythme sur le volant, il jeta un œil dans le miroir du pare-soleil et se frotta la paupière qui s'apprêtait à pleurer, il sourit simplement. Il trouva la sortie, et quelques minutes plus tard se garait sur le parking des visiteurs de la maison de retraite.
- Salut maman, c'est moi !
Une femme assez âgée pour être morte, mais encore trop jeune pour le savoir, était couchée sur son lit, les yeux tournés vers la lumière extérieure.
- Comment ça va aujourd'hui ? On m'a appelé... Pas la grande forme hein !
La femme tourna lentement la tête vers son fils.
- On m'a déjà fait la piqûre ! Partez ! Vous allez me tuer !, dit-elle calmement mais avec fermeté.
Il souffla un bref coup et s'approcha, s'assit à côté sur la chaise qui traînait dans le coin.
- Maman, c'est moi, ton fils ; c'est Antoine !
La femme fronça les sourcils et écarquilla les yeux.
- Qui ça ?
- Antoine... maman.
Elle haussa les sourcils, fixa l'homme à côté d'elle et mâchonna des mots à peine intelligibles :
- De toute façon j'ai pas d'fils... j'ai jamais eu d'enfants, parce que j'ai jamais aimé personne. J'ai jamais aimé les enfants, encore moins les miens si j'en avais eu mais j'en ai pas eu, je suis veuve moi, et orpheline. Alors Antoine, Antoine...
Antoine ferma les yeux, inspira sourdement, expira et rouvrit les yeux, sourit. Il prit la main de sa mère.
- Me touche pas, gros cochon ! Elle t'a pas appris ça, ta mère ?
Il lâcha les doigts un peu fripés de sa mère. Il se passa les mains sur le visage, d'un soupir.
- Bon, maman. Je suis pas venu pour me faire insulter comme un voyou ! Je suis venu prendre de tes nouvelles. On m'a dit que tu avais frappé un infirmier ? Maman, écoute-moi au lieu de regarder à la fenêtre.
Il saisit le menton de sa mère et le tourna en sa direction. Elle plissa puis écarquilla les yeux.
- Regarde-moi, maman !, dit-il d'une voix en train de se briser. Je ne vais pas pouvoir venir tous les jours ici hein, il va falloir qu'on trouve une autre solution. J'ai un boulot, tu sais, et une famille, des amis. Là, je suis venu parce que j'étais libre, et parce que j'avais envie de te voir, mais...
- Embrasse-moi, mon chéri !, dit-elle soudain dans un éclair de lucidité.
Il déposa sur la joue de sa mère un bisou et l'enserra dans ses bras. Il embrassa l'autre joue, le front, serrant encore sa mère.
- Allez-vous-en!, dit-elle en se débattant.
- Mais maman...
Il resta dans ses bras un moment, il pleurait.
- J'ai pas d'enfants... j'ai jamais aimé personne comme mon enfant, donc j'ai pas d'fils... J'ai aimé personne de toute façon. Moi je suis veuve et orpheline alors, « maman, maman! ».
Antoine avait posé sa joue contre le front de sa mère, sa peau avait rougi de tristesse. Il essuya ses larmes d'un revers de main et reprit sa place assise.
- En plus si j'avais eu un fils il aurait été beau.
Antoine baissa les yeux. Chaque visite devenait le rendez-vous de la haine. Il n'en pouvait plus, c'était cruel pour l'un comme pour l'autre. Ne plus reconnaître son fils était le pire des supplices, et ne plus voir dans sa mère celle qui lui avait donné la vie était un terrible courroux. C'était de pire en pire. Il prenait son courage à deux mains, laissait l'orgueil sur le parking et encaissait les coups.
- Et il aurait réussi sa vie, rêvait-elle, le regard à nouveau tourné vers la fenêtre. Il m'aurait aimé, si j'avais eu un fils, il serait venu me voir.
Oh ! Antoine sauta au cou de sa mère et serra fort ses mains. Il se mit à hurler, serrant sans relâche le cou fripé de sa mère, pleura, hurla encore, des filets de bave se formaient entre ses lèvres, on entendait un écho de pas se presser, il serrait de toutes ses forces, avec tout son amour. C'était pour son bien, pour leur bien. Il ne voulait pas se souvenir de sa mère sans tête, et elle ne se souvenait plus déjà de son petit garçon doué et gentil, adorable disait-elle à l'époque. Il serra encore, dévissa enfin le cou comme on ouvre un couvercle de pot de confiture, en silence et s'effondra sur le lit de la morte, enterrant ses pleurs dans les draps bleus, en soupirant « Maman... ».
Le soir, au soleil déclinant, il avait préparé le dîner quand sa femme entra, elle venait de récupérer leur nouveau-né chez la nounou. A table, il ne dit rien, ou peut-être dit-il : « Ce matin, maman est morte. », comme une nouvelle qu'on avait fini par attendre trop longtemps pour qu'elle soit encore surprenante et triste. Sandrine posa sa main sur la sienne et la caressa tendrement, pour les condoléances. A ce moment, dans le silence de respect pour la défunte, l'enfant dans son siège articula pour la première fois le mot Maman. Antoine serra les poings, devinant que son fils ne l'aimerait pas.
Le soleil découpait les arbres et les oiseaux perforaient de notes le silence, comme les partitions des orgues de Barbarie. Une fumée élégante s'échappait de sa tasse de café, une brise de vent entra comme une flèche par l'entrebâillement de la fenêtre jusque dans ses cheveux. Il tourna la page du journal, lut l'horoscope, termina son bol de céréales et ferma la fenêtre. Le téléphone sonna, il décrocha. C'était la maison de retraite. Il acquiesça mollement, haussa les épaules, se gratta la tête, et dit: « Oui, je comprends, j'arrive tout de suite. ».
Quelques minutes plus tard, il roulait sur la rocade, la vitre baissée, la radio allumée chantant le « Mother » des Pink Floyd. Tapotant ses doigts en rythme sur le volant, il jeta un œil dans le miroir du pare-soleil et se frotta la paupière qui s'apprêtait à pleurer, il sourit simplement. Il trouva la sortie, et quelques minutes plus tard se garait sur le parking des visiteurs de la maison de retraite.
- Salut maman, c'est moi !
Une femme assez âgée pour être morte, mais encore trop jeune pour le savoir, était couchée sur son lit, les yeux tournés vers la lumière extérieure.
- Comment ça va aujourd'hui ? On m'a appelé... Pas la grande forme hein !
La femme tourna lentement la tête vers son fils.
- On m'a déjà fait la piqûre ! Partez ! Vous allez me tuer !, dit-elle calmement mais avec fermeté.
Il souffla un bref coup et s'approcha, s'assit à côté sur la chaise qui traînait dans le coin.
- Maman, c'est moi, ton fils ; c'est Antoine !
La femme fronça les sourcils et écarquilla les yeux.
- Qui ça ?
- Antoine... maman.
Elle haussa les sourcils, fixa l'homme à côté d'elle et mâchonna des mots à peine intelligibles :
- De toute façon j'ai pas d'fils... j'ai jamais eu d'enfants, parce que j'ai jamais aimé personne. J'ai jamais aimé les enfants, encore moins les miens si j'en avais eu mais j'en ai pas eu, je suis veuve moi, et orpheline. Alors Antoine, Antoine...
Antoine ferma les yeux, inspira sourdement, expira et rouvrit les yeux, sourit. Il prit la main de sa mère.
- Me touche pas, gros cochon ! Elle t'a pas appris ça, ta mère ?
Il lâcha les doigts un peu fripés de sa mère. Il se passa les mains sur le visage, d'un soupir.
- Bon, maman. Je suis pas venu pour me faire insulter comme un voyou ! Je suis venu prendre de tes nouvelles. On m'a dit que tu avais frappé un infirmier ? Maman, écoute-moi au lieu de regarder à la fenêtre.
Il saisit le menton de sa mère et le tourna en sa direction. Elle plissa puis écarquilla les yeux.
- Regarde-moi, maman !, dit-il d'une voix en train de se briser. Je ne vais pas pouvoir venir tous les jours ici hein, il va falloir qu'on trouve une autre solution. J'ai un boulot, tu sais, et une famille, des amis. Là, je suis venu parce que j'étais libre, et parce que j'avais envie de te voir, mais...
- Embrasse-moi, mon chéri !, dit-elle soudain dans un éclair de lucidité.
Il déposa sur la joue de sa mère un bisou et l'enserra dans ses bras. Il embrassa l'autre joue, le front, serrant encore sa mère.
- Allez-vous-en!, dit-elle en se débattant.
- Mais maman...
Il resta dans ses bras un moment, il pleurait.
- J'ai pas d'enfants... j'ai jamais aimé personne comme mon enfant, donc j'ai pas d'fils... J'ai aimé personne de toute façon. Moi je suis veuve et orpheline alors, « maman, maman! ».
Antoine avait posé sa joue contre le front de sa mère, sa peau avait rougi de tristesse. Il essuya ses larmes d'un revers de main et reprit sa place assise.
- En plus si j'avais eu un fils il aurait été beau.
Antoine baissa les yeux. Chaque visite devenait le rendez-vous de la haine. Il n'en pouvait plus, c'était cruel pour l'un comme pour l'autre. Ne plus reconnaître son fils était le pire des supplices, et ne plus voir dans sa mère celle qui lui avait donné la vie était un terrible courroux. C'était de pire en pire. Il prenait son courage à deux mains, laissait l'orgueil sur le parking et encaissait les coups.
- Et il aurait réussi sa vie, rêvait-elle, le regard à nouveau tourné vers la fenêtre. Il m'aurait aimé, si j'avais eu un fils, il serait venu me voir.
Oh ! Antoine sauta au cou de sa mère et serra fort ses mains. Il se mit à hurler, serrant sans relâche le cou fripé de sa mère, pleura, hurla encore, des filets de bave se formaient entre ses lèvres, on entendait un écho de pas se presser, il serrait de toutes ses forces, avec tout son amour. C'était pour son bien, pour leur bien. Il ne voulait pas se souvenir de sa mère sans tête, et elle ne se souvenait plus déjà de son petit garçon doué et gentil, adorable disait-elle à l'époque. Il serra encore, dévissa enfin le cou comme on ouvre un couvercle de pot de confiture, en silence et s'effondra sur le lit de la morte, enterrant ses pleurs dans les draps bleus, en soupirant « Maman... ».
Le soir, au soleil déclinant, il avait préparé le dîner quand sa femme entra, elle venait de récupérer leur nouveau-né chez la nounou. A table, il ne dit rien, ou peut-être dit-il : « Ce matin, maman est morte. », comme une nouvelle qu'on avait fini par attendre trop longtemps pour qu'elle soit encore surprenante et triste. Sandrine posa sa main sur la sienne et la caressa tendrement, pour les condoléances. A ce moment, dans le silence de respect pour la défunte, l'enfant dans son siège articula pour la première fois le mot Maman. Antoine serra les poings, devinant que son fils ne l'aimerait pas.