L'étrange nuit

Ça y est, le premier jour des vacances de la Toussaint ! En route pour la nature, dans un petit village de Maurienne. Les montagnes aux alentours ont déjà leur petit capuchon de neige sur leurs sommets. Il fait beau. Mes trois copines et moi avons noué nos vestes autour de la taille et nous marchons sur le chemin qui monte jusqu'au chalet de mon grand-père. Nous en voyons déjà le toit depuis la colline que nous venons de franchir. A l'arrivée nous sommes éblouies par la vue sur la vallée. Affamées, nous nous jetons sur les crêpes préparées par mon grand-père en attendant mes parents qui arrivent un peu plus tard. La nuit est arrivée, tout le monde est là, bien fatigué. Et nous n'avons pas du tout envie de dormir ! La lune, pleine, nous regarde de son gros œil rond par la fenêtre de la chambre du chalet. Nous décidons, sans bruit pour ne pas réveiller les parents et grand père, de quitter nos duvets et d'aller explorer le monde nocturne. Le vent d'automne nous oblige à enfiler nos bonnets. Le magnifique ciel étoilé nous coupe le souffle. Quelques minutes nous suffisent pour arriver à la chapelle dont le clocher fait comme un phare dans l'obscurité. Soudain notre regard est attiré par une grande silhouette se détachant du sommet des montagnes enneigées. Nous n'en croyons pas nos yeux, ni nos oreilles lorsque nous entendons une longue plainte s'élevé dans le silence. Là, il n'y a plus aucun doute, c'est un loup ! Son museau tourné vers la pleine lune, il hurle peut-être sa solitude. Tout d'abord tétanisées par la peur, nous sommes à la fois fascinées par ce spectacle et curieuses d'en savoir plus. La Lune nous éclaire et nous décidons de suivre le sentier qui serpente jusqu'aux crêtes. Arrivées à quelques mètres du loup, nous le voyons faire demi-tour. Nous avons l'impression que ce loup veut nous guider, nous montrer quelque chose. Aussi, nous prenons la décision de le suivre en nous tenant par la main et en restant à bonne distance.
Nous ne parlons pas, nous nous concentrons sur nos pieds, dans le chemin escarpé. Les branches craquent, nous entendons au loin les cloches des vaches dans les alpages environnants. Nous parvenons au bout de quelques mètres à un buisson devant lequel le loup s'arrête net. La peur nous saisit à nouveau. « La nuit, tous les chats sont gris ». Les loups aussi ? Nous sommes à sa merci, comme quatre Petits chaperons rouges prêts à être dévorés. Ce loup est immense. Celui-là a de longs poils presque blancs qui luisent sous la clarté de la lune, des oreilles pointues, et ses yeux en amande jaune et vert ressemblent à des diamants scintillants. Bizarrement, nous ne sentons aucune agressivité de sa part. Après quelques instants, l'animal entre dans une grotte que nous n'avions pas remarquée puisque l'entrée était dissimulée par les branchages. L'ambiance devient tout à coup moins agréable. Que faisons-nous là ? Était- ce une bonne idée d'avoir quitté nos lits douillets ? Un drôle de pressentiment nous oblige à rentrer vite. Pendant la descente, des milliers de questions envahissent nos esprits mais nous ne parlons pas. Nous nous couchons alors que les étoiles palissent et que la lune disparait derrière les Aiguilles d'Arves. Quelques heures plus tard, le soleil est déjà haut quand nous nous attablons pour un petit déjeuner tardif. Nos parents s'inquiètent de notre silence. « Eh bien ! l'air de la montagne vous rend muettes, les filles ? » Tout à coup, nous nous mettons à raconter toutes en même temps notre escapade nocturne et la drôle de rencontre. C'est comme si toutes nos peurs de la nuit se déversaient en une cascade de mots. Dans ce charabia, nos parents entendent le mot « loup » « Un loup ? » s'écrie mon grand-père qui arrivait, portant des buches de bois. « C'n'est pas possible, il n'y a pas de loup par ici » « Si, nous l'avons bien vu » « Arrêtez vos histoires, ça ne marche pas avec moi. ».
« Il faut nous croire. Le loup longeait les crêtes, nous l'avons suivi puis il a disparu dans une grotte. » « Une grotte, où ça ? » « Au col de Cochemin, là où nous voyons souvent des marmottes. L'entrée de la grotte était cachée par des buissons » « Alors là ! » dit grand père en lissant sa moustache, « Mon père m'a toujours raconté qu'une légende parlait d'une grotte là- haut, dont l'entrée était gardée par un loup. Il disait aussi qu'un souterrain rejoignait notre village à celui de St Colomban des Villards de l'autre côté du col, mais que quiconque essayait de traverser se transformait en loup ». « Il disait aussi que les soirs de pleine lune, on entendait des hurlements de loup qui traversaient la montagne. Malheur à celui qui sortait ces soirs-là ! Alors au début du XXème siècle, les habitants, lassés et un peu apeurés par ces histoires, avaient fait exploser de la dynamite à cet endroit. Puis les rhododendrons avaient poussé et personne ne savait plus exactement où s'était située la grotte. Quant au souterrain, on en n'a jamais trouvé la trace. Ça alors ! ce peut-il que... » Ses mots restèrent en suspend et nous, nous regardions vers la montagne maintenant dorée du soleil d'automne, espérant voir apparaitre notre animal de la nuit. « Allez » conclurent nos parents. « Vous avez surement rêvé, les filles, sans doute à cause de la pleine lune. Elle aime nous jouer des tours, la coquine !» La journée se passe. Mes copines et moi sommes chamboulées par la légende que nous a raconter mon grand-père. Les jours suivants nous restons perplexes et voulons en avoir le cœur net. Le quatrième et dernier soir nous décidons de retourner sur les traces de notre aventure. La lune est moins ronde et la nuit qui nous entoure plus angoissante. Arrivées sur les crêtes, nous devons faire attention de ne pas glisser sur le chemin boueux et les feuilles déjà tombées des arbres.
Là où se trouver l'entrée de la grotte il n'y a plus rien. Nous restons bouche bée. Avons-nous rêvé ? La légende disait-elle vrai ? Ou est-ce la réalité ? Peut- être juste une étrange nuit de pleine lune...
 
A suivre...
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