Les malheurs de Jeanette

«Moi, je suis différente, je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extra-terrestre». C'est cette singularité qui fait diriger mes pas hors de cette demeure qui ne m'est qu'infernale car, j'étais tenace et opiniâtre sur mon obstination à ne pas lâcher prise, par condescendance ou par frayeur. Ma résistance a failli chanceler face à ces pressions incessantes qui ne cessèrent d'affaiblir ma conscience de jeune fille de dix-sept ans. Mon arrivée dans cette maison qui était l'objet de mes espérances a succité une envie inextinguible chez le père de la maison, son fils et leur gardien qui, sans exception, tenaient mordicus à assouvir leurs désirs libidineux.
J'étais née au sud-est du Bénin où l'indigence broie comme dans un étau et surtout le Nouveau Départ a fait périclité un bon nombre de personnes. Papa était parmi ces transitaires désœuvrés et qui traînent leurs pas dans la déchéance et la décadence sans précédent. Maman quant à elle, vendait des vivres, des pagnes, des fruits et tant d'autres choses dans sa boutique qui se situait au bord de la voie sur laquelle s'ouvrait notre portillon. Une chute vertigineuse a étendu ses voiles dans notre atmosphère familiale quand un après-midi papa était venu de l'école les larmes aux yeux, et maman, trois jours après, était contrainte de voir sa boutique dans un état comateux : les vivres traînaient par terre sans aucune possibilité de servir à une fin utile. L'indigence, la pauvreté régnait en tyrannie et n'ayant point d'appui, maman décida de m'assurer un avenir radieux en m'envoyant chez son amie intime que j'ai toujours l'habitude d'appeler Tata.
Elle commercialisait les produits vivriers et pour y avoir un grand intérêt, allait faire l'achat au Nord pour venir en vendre au sud , précisément à Allada. J'étais partie chez eux dans l'optique de leur servir de domestique afin de gagner un peu d'argent pour commencer l'apprentissage de la couture qui était ma passion. Mais comme un éclair passe en échappant à toute attention, mon rêve mourut au fil du temps, pour se transformer en une épée aiguisée à l'affût d'une proie qu'elle attendait pour la laisser dans une agonie.
Elle avait trois enfants : Paul âgé de dix-huit ans et qui est en classe de terminale, Josiane qui a à peine quatorze ans et qui fait la troisième et enfin Nina qui en a dix et qui fait la sixième.
-«À cinq heures du matin, tu dois te lever pour balayer la cour, faire les travaux domestiques, faire le thé matinal, laver les enfants et les accompagner à l'école.» Tel fut l'ordre de Tata.
Pour éviter toute déconvenue, je réglais l'alarme à quatre du matin et avant six heures, je venais au terme de mes tâches et au réveil des enfants, je continuais celle qui se rapportait à eux.
Le mari de Tata, j'avais l'habitude de l'appeler Tonton. Il était doux et calme, tendre, affable et amiteux avec moi jusqu'au moment où le goût et la soif de me ravir ma virginité était devenue son obsession et la seule idée qui lui effleurait l'esprit au rythme de sa respiration. Douanier retraité, il était la seule personne qui me permettait de chasser la solitude qui me rongeait l'esprit. Nous restions seuls dans la maison de huit à douze heures et de quinze à dix-neuf heures, et suivions des émissions télévisées, des matchs de football auxquels il était habitué. Je restais là, et une fois lassée, je m'en allais dans ma chambre pour m'endormir.
Un soir alors que les images érotiques défilèrent sur l'écran de la télévision, il m'approcha, passa ses doigts sur mon corps pour m'exciter mais je reculai net.
-«viensJeannette! je ne veux rien te faire.» me dit-il pour m'apaiser.
Je savais où il voulait en venir et j'étais sur le qui-vive.
-Si vous ne voulez rien me faire, pourquoi voulez-vous m'approcher? Lui demandai-je.
Sans perdre du temps, il bondit sur moi et se mit à me mettre dans ma tenue d'Ève. Je me voyais acculée, sans issue. Mon sort était scellé. Je m'étais montrée consentante et sans riposte. Mais au moment où il devait m'enlever mon sous-vêtement, sans qu'il ne s'y soit attendu, je me relevai aussitôt et laissai l'habit déchiré dans ses mains.
-«Jeanette, viens» Cria-t-il.
Je courus dans ma chambre et la fermai à double tour. Il était venu frapper à la porte et malgré ses menaces , je ne l'ouvris guère.
«-Tu partiras pour continuer à végéter dans l'indigence avec tes parents si tu n'ouvres pas la porte dans la minute qui suit» lâcha-t-il. Je ne l'ouvris point jusqu'au crépuscule que contemplais vers l'horizon à travers les fenêtres.
Lors du dîner alors qu'il était à table avec Tanti, il m'appela et j'étais venue avec un visage renfrogné.
-Donne-moi une bouteille de vin. M'ordonna-t-il avec un ton âcre.
J'obtemperai et au moment de lui remettre la bouteille, il la laissa choir de son plein gré. Coup monté, plan tactique pour punir mon refus de lui permettre d'assouvir son désir libidineux, prétexte irrévocable. Il me battit comme une esclave et me laissa dans un état déplorable. Je tordais de douleur, mon corps et mes vêtements étaient lacérés par les coups de lanière qui jaillissaient sur moi. Pleurs, larmes, gémissements et sanglots. J'avalais mes cris et mes larmes qui devenaient du fiel que j'accumulais.
Trois jours après ce malheur, le même vénin voulait me neutraliser en prenant corps dans une autre âme. En fait j'étais sous la douche avec les yeux inondés par l'eau savonneuse qui me brouillait la vue quand Paul ouvrit la porte soudainement.
-«Je t'aime Jeanette. Fais-moi l'honneur de goûter au fruit de ta féminité».
-Jamais. Lui répondis-je avec fureur.
Il m'approcha pour me fragiliser mais ce que je lui fis était vraiment atroce. Je lui donnai un coup sec sur ses testicules comme j'avais vu faire une héroïne d'un film, et tordant de douleur, il se retourna navré.
La riposte de Paul m'a paru inhumaine. Il avait alerté tout le monde en disant qu'il a perdu deux billets de dix mille francs qui étaient destinés à payer sa contribution. Nous avions tout fouillé sans succès.
-«Es-tu sûr que tu as perdu la somme ici?» Lui demanda Tata avec désespoir
-«Oui bien sûr» lui répondit-il avec une voix entrecoupée et flasque.
Nous continuâmes la recherche et à un moment donné, Paul a décidé à ce que nous fouillions mes affaires. Le mal était là, le piège incontournable, j'y avais succombé. J'étais emmenée à la police et étais frappée à mort.
Tata, ne comprenant rien aux non-dits, contacta ma mère pour la mettre au courant des faits. Oh innocente coupable que j'étais ! Le sort d'une pauvre femme comme moi, que c'est déplorable !
-«Corrige-la bien. Une femme ne vole pas. Elle obéit, et reste probre. Ne permets pas qu'elle développe des vices pour être enfin un être nuisible pour les autres. Sache la corriger dans ses petits pas dans le mal car « ce sont les petits défauts de l'enfance qui deviennent les vices de l'âge mûr.»
Oh, pauvre mère qui ne sait pas que l'on jouait avec le sort de sa pauvre enfant qui traîne ses pas dans la merde.
Peu de temps après cet orage, Tonton trouva un travail qui lui occupait l'esprit, et le jour durant, son odeur disparut de la maison jusqu'au crépuscule.
Mon calme était temporel et éphémère. Mis à par Paul et son père, un autre lion me guettait dans l'ombre. C'était le gardien qui tenta encore sa chance, une, deux fois sans succès.
La première fois il regardait la télévision avec moi et au moment où il tenta de coucher avec moi, Tata vint, et la seconde fois, c'était Paul qui l'interrompit.

Comment pourrais-je échapper à ces hommes qui ne contrôlent pas leurs instincts sexuels , ces gens qui sacrifient leurs honneurs pour me réduire au néant ? Impossible.

J'ai donc décidé de retrouver les miens, pauvres soient-ils.