Les hommes proposent, mais Dieu sourit

— Est-ce à moi une vieille femme, de vous apprendre le courage ? Est-ce à moi, de vous apprendre la détermination, et de prendre les décisions les plus importantes pour le bien-être et la sécurité de ce village à votre place ? Écoutez-moi bien ! Si vous n'êtes pas suffisamment courageux pour faire face à cette bande de terroristes barbares et cannibales, qui menacent la tranquillité et la paix du village, alors vous n'êtes ni un homme digne de ce nom et ni un chef digne de ce titre, lança Nanan, une vieille femme aux épaules courbées par les années, avec un ton sec, au chef du village.
— Mais que voulez-vous qu'on fasse, Nanan ? demanda Dénangan, le chef du village, la voix tremblante d'angoisse. Vous pensez vraiment que nous pouvons nous lever un jour à l'aube, sans armes, et affronter une bande de scélérats inhumains et sans scrupules ? Nous n'avons ni les armes, ni les moyens pour lutter contre les Ashi-Beku. 
— Serait-ce donc à moi de vous fournir les armes ? s'exclama Nanan qui se tenait fièrement face à Dénangan, le visage ridé, et reflétant une détermination farouche. À quoi servent les houes, les haches, les machettes des cultivateurs de ce village ? Ne pouvez-vous pas combattre avec ces outils ? Les fusils des chasseurs, ne peuvent-ils pas être utilisés pour autre chose que de tirer sur des gibiers et des oiseaux sans défense ? Où sont donc ces hommes qui se prétendent braves ? Pourquoi ne pas les mobiliser contre les Ashi-Beku ? Si nous n'allons pas vers eux, ce sont eux qui viendront nous massacrer. Vous le savez aussi bien que moi.
 
Dodji, le conseiller du chef du village prit la parole, secouant la tête avec désespoir.
— Nanan, c'est de la pure folie, murmura-t-il. Affronter des hommes lourdement armés avec des houes et des bâtons ? C'est se jeter dans la gueule du crocodile, c'est se livrer aux terroristes.
 
Nanan éclata de rire, un rire amer.
 
— Et qu'allez-vous proposer, jeune homme ? rétorqua-t-elle, son regard flamboyant de mépris. Attendre que l'État vienne notre à secours ? Réveillez-vous messieurs ! La question de la sécurité est une responsabilité partagée entre l'État et ses citoyens. Si vous ne prenez pas les choses en main, tout le village sera anéanti, et nous serons tous exterminés comme des rats par votre lâcheté et votre manque de pragmatisme.
 
À ces mots, Nanan se détourna, ses mains ridées croisées derrière son dos vouté. Elle s'éloigna alors d'un pas lent et mesuré vers sa case, la démarche entrecoupée par de fréquentes quintes de toux rauques. 
Dénangan et son conseiller Dodji restaient figés, muets, embarrassés par la situation qui menaçait de s'abattre sur tous les habitants de Todagbé. Une tension palpable flottait dans l'air, imprégnant chaque souffle. Le village, habituellement animé par les rires des enfants et les chants des femmes au travail, semblait étrangement silencieux. Les ombres s'étiraient sous le soleil déclinant, et un pressentiment de catastrophe imminente pesait sur les villageois. 
 
— Que devons-nous faire, Dodji ? Cette situation commence vraiment à m'effrayer, susurra Dénangan, la voix cassée. Dodji, les yeux baissés, réfléchissait intensément.
— Il me semble que la vieille Nanan a, en partie, raison, Dénangan.
Dénangan, agitant la tête avec incrédulité, répliqua :
— Non, pas toi aussi Dodji. Tu ne vas quand même pas te ranger de son côté. C'est insensé.
— Il vaut mieux éradiquer le mal à la racine avant qu'il ne se propage, répondit Dodji calmement. Si nous n'agissons pas rapidement, nous serons tous exterminés.
Dénangan, le visage crispé par l'angoisse, soupira profondément. 
— Les hommes proposent, mais c'est Dieu qui dispose, Dodji.
— Dieu veillera sur nous et nous protégera ! Il se fait tard. Il faut que je rentre, Dénangan. Réfléchis-y ! La nuit porte conseil. Tu es le chef de ce village. Assume pleinement tes responsabilités.
 
Dodji tira ainsi sa révérence et sortit de la concession du chef, le laissant seul avec ses pensées tumultueuses. Dénangan, restait figé. Ses traits étaient marqués par une inquiétude profonde. Il repassait les paroles de Nanan et de Dodji dans son esprit, cherchant une solution dans la nuit qui tombait. Le poids de la responsabilité écrasait ses épaules, son cœur battait lourdement dans sa poitrine. Plus tard, la nuit étendit son manteau sombre sur le village, plongeant Todagbé dans une obscurité pesante et menaçante. 
 
La lune, dissimulée derrière de sinistres nuages sombres semblait présager un drame imminent, accentuant l'angoisse qui étreignait les cœurs des villageois.
 
La nuit était noire comme l'encre, lorsque les cris déchirants de la jeune Aminatou fendirent le silence pesant qui régnait sur le village. « À l'aide ! À l'aide ! Les Ashi-Beku sont là ! » hurla-t-elle, sa voix chevrotante de peur. Ses appels au secours se mêlaient aux sifflements des balles et aux rires malsains des terroristes qui sévissaient sur le village.  Les champs des pauvres paysans, les cases des villageois et les enclos des bêtes flambaient sous leurs torches incendiaires. Les coups de feu claquaient dans l'air, faisant hurler les habitants de terreur. Tétanisée, Aminatou se blottit derrière le puits central du village, recroquevillée, les mains plaquées sur ses oreilles pour étouffer les bruits de la fusillade. Soudain, son regard apeuré se posa sur la case de Nanan, qui s'embrasait. Malgré sa peur, une vague de courage la submergea et elle se précipita vers la demeure de la vieille dame, fonçant tête baissée au milieu des balles qui zébraient l'air de toutes parts, dans un seul but : sauver Nanan. Mais à mi-chemin, une balle vint se ficher dans son bras menu. Aminatou s'écroula, criant de douleur et de détresse.
 
Réveillé par le vacarme, Dénangan sortit de sa case, le pagne noué à la hâte autour de sa taille, le torse nu. Devant lui, la case de Nanan brulait. Sans réfléchir, il s'élança dans la fournaise, les balles claquant à ses oreilles. Arrivé devant la case de la vieille femme, il donna un coup de pied dans la porte de paille qui obstruait l'entrée. Il pénétra dans la case, balayant rapidement la pièce du regard. Là, au milieu des flammes et de la fumée qui l'étouffait, gisait Nanan, inerte sur son lit. D'un geste vif, Dénangan la souleva dans ses bras et ils sortirent ensemble de la fournaise.
 
Osseni, un jeune homme du village, souleva délicatement Aminatou, qui était à moitié consciente, et ils se dirigèrent vers la case de Dodji, cherchant refuge derrière son abri. Une fois à l'abri, Osseni jeta un coup d'œil par la fenêtre. La pièce était déserte. Il déposa lentement Aminatou sur le sol, contre le mur rouge de terre de la case. 
 
Dénangan, quant à lui tenait encore la vieille Nanan dans ses bras, quand son regard se figea net, lorsqu'il vit des hommes armés de kalachnikov sortir de sa case, trainant sa fille par les cheveux, vers leur Pick-up noir. L'un d'eux jeta un brandon enflammé dans la case de Dénangan, qui s'embrasa instantanément. Dénangan, submergé par l'angoisse et la crainte, posa délicatement Nanan au sol près de la case en feu. Sans perdre un instant, il se précipita vers les ravisseurs de sa fille. D'un crochet du droit, il frappa violemment celui qui avait mis le feu à sa case. Il s'apprêtait à attaquer un autre, quand celui-ci lui tira une balle dans la jambe gauche. Il s'effondra lourdement au sol, face contre terre, hurlant de douleur. Le cœur lourd, il vit les terroristes emmener sa fille, et d'autres jeunes filles de son village, en flamme. Il détourna son regard, impuissant, contemplant sa demeure en cendres. Le monde s'éteignait autour de lui. 
 
Les hommes proposent, mais c'est Dieu qui dispose. Parfois, Dieu sourit simplement face à nos projets, car il n'est pas tenu d'être présent dans tout ce que nous faisons ou décidons. 
 
 
 
 
Une pensée noble pour nos frères d'Afrique et du monde, victimes incessantes du terrorisme et de la violence. Prions Dieu pour qu'ils les protège et leur apporte réconfort et espoir en ces temps sombres.  
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