À trois lieues de Chambéry, nous passâmes sous une voûte qui traverse une montagne : elle peut avoir cent cinquante pas de longueur. Ce chemin, commencé par Napoléon, a été achevé par le gouvernement actuel de la Savoie.
Ce passage franchi, on rencontre bientôt le village des Échelles ; puis, à un quart de lieue de là, une petite ville moitié française, moitié savoyarde. Une rivière trace les frontières des deux royaumes ; un pont jeté sur cette rivière est gardé à l’une des extrémités par une sentinelle sarde, et à l’autre par une sentinelle française. Ni l’une ni l’autre n’ayant le droit d’empiéter sur le territoire de son voisin, chacune d’elles s’avance gravement de chaque côté jusqu’au milieu du pont ; puis, arrivées à la ligne des pavés qui en forment l’arête, elles se tournent le dos réciproquement, et recommencent ce manège tout le temps que dure la faction. Je revis, au reste, avec plaisir le pantalon garance et la cocarde tricolore qui me dénonçaient un compatriote.
Nous arrivâmes à Saint-Laurent ; c’est à ce village qu’on quitte la voiture et qu’on prend des montures pour gagner la Chartreuse, distante encore de quatre lieues du pays. Nous n’y trouvâmes pas un seul mulet ; ils étaient tous à je ne sais quelle foire. Cela nous importait assez peu, à Lamark et à moi, qui sommes d’assez bons marcheurs ; mais cela devenait beaucoup moins indifférent à une dame qui nous accompagnait ; cependant, elle prit son parti. Nous fîmes venir un guide qui se chargea de nos trois paquets, qu’il réunit en un seul. Il était sept heures et demie : nous n’avions plus guère que deux heures de jour, et quatre de marche.
Le val du Dauphiné, où s’enfonce la Chartreuse, est digne d’être comparé aux plus sombres gorges de la Suisse ; c’est la même richesse de nature, la même ardeur de végétation, le même aspect grandiose ; seulement, le chemin, tout en s’escarpant de même aux flancs des montagnes, est plus praticable que les chemins des Alpes, et conserve toujours près de quatre pieds de largeur. Il n’est donc point dangereux pendant le jour, et, tant que la nuit ne vint pas, tout alla merveilleusement. Mais enfin, la nuit s’avança, hâtée encore par un orage terrible. Nous demandâmes à notre guide où nous pourrions nous réfugier : il n’y a pas une seule maison sur la route, il fallut continuer notre voyage ; nous étions à moitié chemin de la Chartreuse.
Le reste de la montée fut horrible. La pluie arriva bientôt et avec elle l’obscurité la plus profonde. Notre compagne s’attacha au bras du guide, Lamark prit le mien, et nous marchâmes sur deux rangs ; la route n’était pas assez large pour nous laisser passer de front ; à droite, nous avions un précipice dont nous ne connaissions pas la profondeur, et au fond duquel nous entendions mugir un torrent. La nuit était si sombre que nous ne distinguions plus le chemin sur lequel nous posions le pied, et que nous n’apercevions la robe blanche de la dame qui nous servait de guide qu’à la lueur des éclairs qui, heureusement, étaient assez rapprochés pour qu’il y eût à peu près autant de jour que de nuit. Joignez à cela un accompagnement de tonnerre dont chaque écho multipliait les coups et quadruplait le bruit ; on eût dit le prologue du jugement dernier.
Ce passage franchi, on rencontre bientôt le village des Échelles ; puis, à un quart de lieue de là, une petite ville moitié française, moitié savoyarde. Une rivière trace les frontières des deux royaumes ; un pont jeté sur cette rivière est gardé à l’une des extrémités par une sentinelle sarde, et à l’autre par une sentinelle française. Ni l’une ni l’autre n’ayant le droit d’empiéter sur le territoire de son voisin, chacune d’elles s’avance gravement de chaque côté jusqu’au milieu du pont ; puis, arrivées à la ligne des pavés qui en forment l’arête, elles se tournent le dos réciproquement, et recommencent ce manège tout le temps que dure la faction. Je revis, au reste, avec plaisir le pantalon garance et la cocarde tricolore qui me dénonçaient un compatriote.
Nous arrivâmes à Saint-Laurent ; c’est à ce village qu’on quitte la voiture et qu’on prend des montures pour gagner la Chartreuse, distante encore de quatre lieues du pays. Nous n’y trouvâmes pas un seul mulet ; ils étaient tous à je ne sais quelle foire. Cela nous importait assez peu, à Lamark et à moi, qui sommes d’assez bons marcheurs ; mais cela devenait beaucoup moins indifférent à une dame qui nous accompagnait ; cependant, elle prit son parti. Nous fîmes venir un guide qui se chargea de nos trois paquets, qu’il réunit en un seul. Il était sept heures et demie : nous n’avions plus guère que deux heures de jour, et quatre de marche.
Le val du Dauphiné, où s’enfonce la Chartreuse, est digne d’être comparé aux plus sombres gorges de la Suisse ; c’est la même richesse de nature, la même ardeur de végétation, le même aspect grandiose ; seulement, le chemin, tout en s’escarpant de même aux flancs des montagnes, est plus praticable que les chemins des Alpes, et conserve toujours près de quatre pieds de largeur. Il n’est donc point dangereux pendant le jour, et, tant que la nuit ne vint pas, tout alla merveilleusement. Mais enfin, la nuit s’avança, hâtée encore par un orage terrible. Nous demandâmes à notre guide où nous pourrions nous réfugier : il n’y a pas une seule maison sur la route, il fallut continuer notre voyage ; nous étions à moitié chemin de la Chartreuse.
Le reste de la montée fut horrible. La pluie arriva bientôt et avec elle l’obscurité la plus profonde. Notre compagne s’attacha au bras du guide, Lamark prit le mien, et nous marchâmes sur deux rangs ; la route n’était pas assez large pour nous laisser passer de front ; à droite, nous avions un précipice dont nous ne connaissions pas la profondeur, et au fond duquel nous entendions mugir un torrent. La nuit était si sombre que nous ne distinguions plus le chemin sur lequel nous posions le pied, et que nous n’apercevions la robe blanche de la dame qui nous servait de guide qu’à la lueur des éclairs qui, heureusement, étaient assez rapprochés pour qu’il y eût à peu près autant de jour que de nuit. Joignez à cela un accompagnement de tonnerre dont chaque écho multipliait les coups et quadruplait le bruit ; on eût dit le prologue du jugement dernier.