L'Empire de la Nuit

Le jour où il toucha la couronne de l'Empire de Lura, le jeune Astor ne comprit pas pourquoi la nuit s'était subitement mise à tomber, mais il sut tout de suite qu'il ne verrait plus jamais le soleil. 
Le jour où sa femme s'enfuit, Astor comprit qu'il avait beau être un tyran, il tenait toujours à elle, ainsi qu'à l'enfant qu'elle portait. 
Le jour où il lut sur le rapport des décès qu'elle avait succombé à la maladie, il sentit son cœur de briser. 
Le jour où leur premier fils la rejoignit, Astor sut qu'il ne lui restait plus qu'une chose à faire. 
 
 
Aurore s'était entraînée toute la journée dans un seul but : assassiner le terrible Empereur de la Nuit Astor. Ce monstre qui était son père. Il était bien 21 heures passées lorsqu'elle rentra chez ses parents adoptifs. Epuisée, elle resta quelques secondes appuyées contre la porte, quand elle entendit des voix. Il y avait celle de son père, de sa mère, mais deux autres également. Aurore hésita à entrer, puis prit son courage à deux mains. Elle poussa lentement la porte. 
En entendant la porte s'ouvrir, un des deux hommes qui s'avéraient être des gardes de l'Empereur toucha l'épaule de l'autre et lui murmura quelques mots. 
 
-Sur ordre de notre Empereur, sa fille disparue il y a plus de 17 ans doit nous accompagner au palais. 
 
Surprise, Aurore ne sût quoi répondre. Son père adoptif s'approcha d'elle et posa ses mains sur ses épaules, protecteur, l'encourageant silencieusement à ne pas résister. 
Les gardes l'accompagnèrent jusqu'à la salle du trône avant de s'éclipser. La jeune femme se sentit tressaillir. L'homme derrière la porte était le tyran de cet empire.  
 
-Entre. 
 
Elle entra. 
 
-Tu ne sembles pas avoir beaucoup résisté. Je m'attendais à te voir couverte de blessures. 
 
Étonnamment, la voix de l'Empereur n'avait rien d'un tyran. Elle semblait même amicale, chaleureuse. Aurore s'autorisa à avancer. 
 
-Tu ressemble un peu à ta mère. Tes yeux surtout. Ils sont de la même couleur que les siens. Elle me manque, tu sais ? J'imagine qu'à toi aussi. 
 
Aurore commençait à douter. L'homme en face d'elle avait tout d'un père aimant, brisé. De l'autre côté, il était affalé sur son trône et portait sa couronne. Elle devait le détester. Elle avait une mission.
 
-Certains de mes gardes m'ont rapporté que tu t'entraînais jours et nuits pour me détruire. En l'apprenant, je me suis rendu compte que j'avais causé beaucoup trop de mal. Et dire qu'il a fallu que je perde ma femme, mon fils, et que ma propre fille jure de me tuer pour comprendre... 
 
-Où voulez-vous en venir ? 
 
Le ton d'Aurore était si froid. 
 
-Tu seras Impératrice si je meurs de ta main. 
 
 
Aurore s'installa au palais, sans arrêter ses entraînements. Un jour, confiante, Aurore défia son père en combat singulier.  
Si Astor semblait s'amuser, la jeune femme, elle, se battait de toutes ses forces. Sans le moindre effort, il l'a mit à terre. Ce jour-ci, Aurore comprit. L'Empereur de la Nuit était un démon à l'épée. Aussi dût-elle ruser. Elle ne se privait pas d'attaquer son père par surprise. Mais à chaque tentative, Astor avait une longueur d'avance, et bloquait toutes ses attaques, parfois même à la force de ses poings. 
Aurore se sentait de mieux en mieux dans ce palais. Parfois, avec son père, qu'elle commençait doucement à apprécier, elle se laissait aller aux rires. Le tyran dont elle avait entendu les récits semblait avoir disparu, et elle si elle continuait à tenter de le tuer, cela finissait généralement en entraînement amusant. 
Sa mission lui revint à l'esprit le jour de l'exécution publique d'une voleuse, en voyant le sourire cruel sur le visage d'Astor et la crainte des villageois. 
 
 
Un hiver particulièrement dur arriva, mais les tempêtes de neige n'étaient rien comparé à la guerre qui se préparait. L'armée s'était vite mise en route, et aux alentours d'un mois après, l'Empereur de la Nuit désira se rendre sur le champ de bataille. Aurore insista pour le suivre. 
En quelques jours, ils furent à la frontière, dans un des camps militaires. 
Il devait être une ou deux heures du matin lorsqu'Astor réveilla sa fille. Le camp était en feu. 
Il attrapa son bras sortit en trombe de la tente. Les ennemis apparaissaient entre les flammes, imprévisibles, et Astor les repoussait tant bien que mal. Aurore savait qu'elle était un fardeau. Elle qui n'avait jamais réellement combattu se retrouvait sur un champ de bataille, perdue, à être protégée par le démon qu'était l'Empereur de la Nuit, sa cible, son père, son ennemi, sa famille. 
Lorsque les ennemis furent trop forts, trop nombreux, et les blessures trop douloureuses, Astor tira sa fille avec lui et couru dans les bois, haletant. Entre les arbres, il se laissa tomber. 
 
-Aurore, vas-y. Deviens l'Impératrice. 
 
Aurore ne sut comment réagir. C'était pourtant son heure. Sa mission pouvait être accomplie ici et maintenant. L'Empereur était déjà à moitié mort... Pourquoi hésitait-elle ? 
Elle avait tant de fois imaginé ce moment, sans jamais penser qu'elle allait tuer son père. 
Non. Elle était forte, elle devait le faire, elle allait le faire. Autrement tout ce qu'elle avait accompli jusqu'à maintenant, tout cet entraînement... Tout ça n'aurait servi à rien. 
Elle s'approcha, tenta de garder un regard froid, prit l'épée de son père, et se prépara à porter le coup final. 
Astor souriant, fier de son enfant. 
 
-Allez, rends à cet empire la lumière du jour. Aurore, ma fille. 
 
Aurore abattit l'épée. 
Le jour où Aurore devint Impératrice, le soleil se leva enfin. 
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