Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extraterrestre. Ce qui la rebutait outre mesure, c'est que je refusais de manger comme elle. Je détestais la manière sauvage avec laquelle elle mangeait. Ça lui donnait un air d'ogresse. Un appétit vorace.
Sa paillasse était couverte d'une jupe laineuse élimée. C'était sur elle qu'elle couchait. Depuis je ne sais. Combien de temps. Elle s'était affaissée et les herbes sèches tombaient en poussière. Mais elle supportait toujours son tas de chair. Elle gonflait. Au fil du temps : ma mère grossissait à s'exploser.
Les interstices de la table crachèrent des coulées de sang. Des caillots se formèrent sur les parois des cuvettes. Je les remplis de graisse et de lambeaux de chair. Des mouches vertes vinrent les lécher. Je plongeai ma main dans le porc. Mes doigts tinrent quelque chose de mou à l'intérieur. Je grinçai des dents. Je tirai fort. Éruption de viscères. Un glouglou se fit entendre dans le creux de l'animal. J'en grimaçai. Je détestais vraiment le sang ; je m'en étais horrifiée. Bien avant qu'elle ne devint obèse, elle m'obligea à l'assister en cuisine. Elle débita la revendeuse de légumes qui se fut déglinguer par père pour des vivres gratis. Aux suites de cette horreur, naquit son appétit vorace, cette obsession maladive qu'elle avait pour la viande. Elle en réclamait, réclamait tous les jours. Des bulles d'air sanguinolentes me crevèrent au visage. Je découpai le porcelet malgré ma réticence. La tête attendait son sort devant une marmite d'avidité. Je me dirigeais vers la jarre d'eau pour les nettoyer quand, une voix gutturale se fit entendre, hurlante. C'était mon ogresse de doudoune.
-Dépêche-toi ! Je meurs de faim.
Elle ne pouvait plus quitter son lit. J'étais devenue sa nourricière et m'en occupais. Chaque repas que je lui faisais prendre était un calvaire pour moi. Pour éviter qu'elle ne s'étouffe, je lui posais la tête sur un oreiller. C'était insoutenable. Chaque coup de dent dans une pièce de viande arrachait un sursaut à mon cœur. Elle broyait la bouffe dans un vacarme flippant. Je me retrouvais avec des miettes et postillons partout. Il y en avait aussi qui traînaient sur la paillasse que venaient glaner les insectes. Maman affectionnait ces bestioles. Les seules qui profitaient des restes de ses gloutonneries.
-Recrache-moi ça vite ou je te croque la cuisse à la place.
L'ordre se fit sur un ton sévère.
-Tu vas me recracher ça oui ou oui ?
Pouah ! Je recrachai ça dans la soupe et la lui apportai.
-Non ! Tu me donnes d'abord celui que tu voulais me voler, ma petite sotte adorée.
Je trempai la cuillère en bois dans la sauce et lui servis le morceau recouvert de ma salive gluante. Elle le goba comme une carpe happe l'appât au bout de l'hameçon. J'en tremblotai. Mes dents agrafées les unes aux autres. Sa violente prise me donna la chair de caille. Elle me regarda longuement, fit comme si elle fut surprise par mon attitude, puis explosa un rire diabolique. Elle faillit s'étouffer. Elle toussa fort, régurgita le morceau qu'elle avait avalé de travers, avec de la vomissure.
-Allez ! On reprend, me dit-elle, les yeux dans des flaques de larmes . Récupère ça par terre. Je déteste gaspiller le manger. De l'eau, ma petite sotte.
L'espace de quelques minutes, la marmite d'avidité se vida. Il me fallut lui racler le fond pour éviter ses sauts d'humeur à la gloutonne. Elle était intraitable quand il s'agissait de nourriture. Mais je savais qu'il y avait une part de tendresse dans le cœur de mon ogresse de mère. Je l'aimais malgré la férocité de ses coups de mâchoire. Malgré sa masse épouvantable. Malgré sa répugnance outrée. Je l'aimais parce que c'était mon gros bébé insatiable.
Sa paillasse était couverte d'une jupe laineuse élimée. C'était sur elle qu'elle couchait. Depuis je ne sais. Combien de temps. Elle s'était affaissée et les herbes sèches tombaient en poussière. Mais elle supportait toujours son tas de chair. Elle gonflait. Au fil du temps : ma mère grossissait à s'exploser.
Les interstices de la table crachèrent des coulées de sang. Des caillots se formèrent sur les parois des cuvettes. Je les remplis de graisse et de lambeaux de chair. Des mouches vertes vinrent les lécher. Je plongeai ma main dans le porc. Mes doigts tinrent quelque chose de mou à l'intérieur. Je grinçai des dents. Je tirai fort. Éruption de viscères. Un glouglou se fit entendre dans le creux de l'animal. J'en grimaçai. Je détestais vraiment le sang ; je m'en étais horrifiée. Bien avant qu'elle ne devint obèse, elle m'obligea à l'assister en cuisine. Elle débita la revendeuse de légumes qui se fut déglinguer par père pour des vivres gratis. Aux suites de cette horreur, naquit son appétit vorace, cette obsession maladive qu'elle avait pour la viande. Elle en réclamait, réclamait tous les jours. Des bulles d'air sanguinolentes me crevèrent au visage. Je découpai le porcelet malgré ma réticence. La tête attendait son sort devant une marmite d'avidité. Je me dirigeais vers la jarre d'eau pour les nettoyer quand, une voix gutturale se fit entendre, hurlante. C'était mon ogresse de doudoune.
-Dépêche-toi ! Je meurs de faim.
Elle ne pouvait plus quitter son lit. J'étais devenue sa nourricière et m'en occupais. Chaque repas que je lui faisais prendre était un calvaire pour moi. Pour éviter qu'elle ne s'étouffe, je lui posais la tête sur un oreiller. C'était insoutenable. Chaque coup de dent dans une pièce de viande arrachait un sursaut à mon cœur. Elle broyait la bouffe dans un vacarme flippant. Je me retrouvais avec des miettes et postillons partout. Il y en avait aussi qui traînaient sur la paillasse que venaient glaner les insectes. Maman affectionnait ces bestioles. Les seules qui profitaient des restes de ses gloutonneries.
-Recrache-moi ça vite ou je te croque la cuisse à la place.
L'ordre se fit sur un ton sévère.
-Tu vas me recracher ça oui ou oui ?
Pouah ! Je recrachai ça dans la soupe et la lui apportai.
-Non ! Tu me donnes d'abord celui que tu voulais me voler, ma petite sotte adorée.
Je trempai la cuillère en bois dans la sauce et lui servis le morceau recouvert de ma salive gluante. Elle le goba comme une carpe happe l'appât au bout de l'hameçon. J'en tremblotai. Mes dents agrafées les unes aux autres. Sa violente prise me donna la chair de caille. Elle me regarda longuement, fit comme si elle fut surprise par mon attitude, puis explosa un rire diabolique. Elle faillit s'étouffer. Elle toussa fort, régurgita le morceau qu'elle avait avalé de travers, avec de la vomissure.
-Allez ! On reprend, me dit-elle, les yeux dans des flaques de larmes . Récupère ça par terre. Je déteste gaspiller le manger. De l'eau, ma petite sotte.
L'espace de quelques minutes, la marmite d'avidité se vida. Il me fallut lui racler le fond pour éviter ses sauts d'humeur à la gloutonne. Elle était intraitable quand il s'agissait de nourriture. Mais je savais qu'il y avait une part de tendresse dans le cœur de mon ogresse de mère. Je l'aimais malgré la férocité de ses coups de mâchoire. Malgré sa masse épouvantable. Malgré sa répugnance outrée. Je l'aimais parce que c'était mon gros bébé insatiable.