Le seul enfant de la famille
Moi, je suis différent. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais un extra-terrestre.
Je m'appelle Gnowi. (« Vis » en langue sérère.) Je suis le fils unique de mes parents. Mon père est mort avant ma naissance. Après son décès, ma mère n'a jamais pu trouver un autre mari. Ma mère était timide, travailleuse et respectueuse. Tout le monde disait qu'elle est folle, à cause de sa timidité. Les gens trouveront toujours de quoi vous juger.
Après son veuvage, elle avait décidé de respecter les derrières volontés de son défunt mari en restant dans la demeure de papa. Elle travaillait comme nettoyeuse dans un restaurant pour subvenir à mes besoins. Elle avait l'habitude de m'appeler « mon petit génie. » Telle un thaumaturge, elle m'auscultait constamment avec des regards farfelus. Un jour, alors que je rentrai de l'école, assise devant l'entrée de la chambre, elle me demanda si j'apprenais bien à l'école. Sans comprendre, je lui avais répondu que j'étais le meilleur de la classe.
- Je n'en doute pas mon petit génie. Les ancêtres en ont décidé ainsi. Tu es le portrait craché de ton père. Ton père était un surhomme. Tu sais, mon petit génie, tu es quelqu'un d'extraordinaire. Les prédictions de ton père sur toi ne cessent de s'accomplir tous les jours. De par ton attitude, ton éloquence et ta sagacité intellectuelle, j'ai compris que tu dors dans les cieux avec tes ancêtres.
- Pourquoi me dis-tu cela, lui demandai-je toujours.
- Demande à ton cœur mon petit génie. Ainsi, tu sauras par toi-même. Trouve toujours, celui qui commence à chercher sur lui-même.
Depuis tout petit, j'entendais dans la rue, aux puits et à l'école des gens traitaient ma mère de mendiante et de femme perdue. À cette époque, je ne savais ni ne pouvais faire grand-chose. Enfermé, je passais mes journées dans une chambre en train de lire des romans et des poèmes. Cette claustration finit par étonner ma mère. Quand j'étais seul, ma mère me demandait d'aller jouer avec les jeunes de mon âge. Moi, je ne voulais pas parce qu'à chaque fois, les plus âgés que moi m'insultaient, me battaient et me menaçaient de venir chez moi quand maman serait au travail. C'est pour cela qu'à chaque fois, je répondais à ma mère que je n'avais pas le temps et que les autres sont eux et moi, je suis moi. Maman ne comprenait pas ce que je voulais dire et elle était toujours curieuse quand je lui répondais ça. Quand les enfants jouaient au football, je lisais les Misérables de Victor Hugo, les Fables de la Fontaine et des nouvelles. Ces moments solitaires m'ont permis de me parler à moi-même et de savoir que je suis différent. Les autres avaient sur qui compter, c'est pour cela qu'ils passaient leur temps à jouer. Moi, j'étais le jeune chef de famille qui devait changer le regard amer que les autres avaient sur sa mère. Et quand tes parents comptent sur toi pour se reposer demain, tu ne dois pas jouer le même jeu que ceux qui comptent sur leurs parents.
À onze ans, j'ai commencé à travailler dans une bibliothèque. Je gagnais un peu d'argent que je donnais à maman. Elle ne voulait pas que je travaille, mais que j'apprenne.
Elle me disait ceci : « Tu es appelé à devenir un grand homme. Alors apprends bien à l'école. Ton père disait que l'enfant qui naîtra de notre couple, brillera tant que le soleil continuera de briller. »
J'ai combiné travail et étude alors que je n'étais qu'un môme. Mon employeur me disait : « quand tu n'as pas les mêmes objectifs que les autres, ne fais pas des autres tes amis parce qu'ils trouveront toujours un moyen pour te distraire. » Moi, ma mère trottinait sous le chaud soleil de midi pour assurer ma survie et ma scolarité. Eux, c'était tout le contraire.
Un jour, je me rappelle, ma mère venait de descendre de son travail. Elle avait le visage triste, les cheveux ébouriffés et les mains tremblantes. Assise sur la chaise, elle me disait : « mon fils, je sais que tu veux m'aider et c'est pour cela que tu as demandé à travailler pour le libraire. Mais, tu es très jeune pour faire un tel travail ». Avant qu'elle ne termine, je lui avais saisi la main. Tremblante, elle me fixa les yeux rouges suintant des larmes de désespoir. Ce jour-là, j'ai compris que je me dois de faire, de penser et d'agir différemment. Ce n'est pas parce que les autres font une chose que tu dois la faire. Les autres ne sont pas toi. Et celui qui suit les autres comme un mouton de panurge, finira par se reposer sous l'ombre du regret.
Étant jeune, j'ai beaucoup appris de mon travail. Je lisais tous les livres que je voulais. J'étais devenu un rat de bibliothèque. Ceci m'a beaucoup aidé dans ma vie. Des années plus tard, j'ai réussi à ouvrir ma propre bibliothèque. Ce qui me rapporta beaucoup d'argent. Ma mère en était contente et moi, je remerciais Dieu de m'avoir permis de fermer les bouches menteuses. Quel bonheur pour une mère que de voir son enfant réussir sur cette terre. Le jour où j'ouvrais ma bibliothèque, ma mère me disait ceci : « Je t'ai toujours dit qu'un jour viendra, Dieu apportera la lumière dans notre vie. Mon petit génie, tu es un homme hors des hommes, un homme qui dîne sur terre et dort sur Mars. Tu as préféré prendre ta propre voie. Ce qui t'a mené à cette réussite. Aujourd'hui, tu as prouvé la véracité des prédictions de ton père. Il est content de là où il est ».
Les batailles de la vie, me conseillait-elle, sont toujours remportées par ceux qui s'en croient capables. Et la vie n'est facile pour personne. La différence est que certains réussissent parce qu'ils n'abandonnent jamais et d'autres perdent parce qu'ils abandonnent facilement.