Le serrement de main

Depuis longtemps je l'adorais,
Je l'adorais sans espérance ;
En son absence je souffrais ;
Je souffrais plus en sa présence ;
J'évitais, cherchais tour à tour
Le danger, le plaisir de le voir, de l'entendre ;
Pour lui j'étais dans un seul jour
Humble, vaine, légère, tendre ;
Mobile dans les vœux de mon amour constant,
On me voyait au même instant
Souhaiter qu'il apprit, qu'il ignorât ma flamme ;
Lorsque son regard caressant
S'arrêtait sur une autre femme,
Qu'il la flattait d'un tendre accent,
Le chagrin oppressait mon âme.
Cependant de mon mal secret
Je redoutais d'être guérie ;
Je tenais bien moins à ma vie
Qu'à ce feu qui la dévorait.
Ô combien alors que l'on aime
La joie est près de la douleur !
Ô combien, dans le moment même
Où je succombais au malheur,
Elle me parut éloquente
Sa main et timide et brûlante,
Qui, pressant tendrement ma main,
A mon cœur révéla que j'étais son amante !
Ce cœur, plus sensible que vain,
Ne sut point cacher son ivresse ;
Mon amant connut ma tendresse :
Peut-être il pourra me trahir
Et me punir de ma faiblesse ;
Mais je ne puis m'en repentir.