Le sang pour le sang

« Moi je suis différent. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais un extra-terrestre. » Je voyais sa peur de me perdre, sa peur de ne plus pouvoir me contrôler. Elle voulait me protéger de ces démons qui m'empêchent de vivre, de respirer. Elle voulait que je demeure cet être innocent qu'elle avait autrefois tenu dans ses bras. Elle n'avait pas envie de me laisser seul dans cet océan de méchanceté. Son plus grand rêve était de me voir grandir comme les jeunes de mon âge, de m'épanouir et de devenir un homme, un vrai. Celui qui saura sécher ses larmes de douleur et de sang. Malheureusement, c'est aller très vite, beaucoup trop vite pour repartir en arrière.

Chaque jour, chaque minute, chaque seconde qui passe me rappelle que ce monde n'est qu'une utopie, un rêve... Que dis-je un cauchemar qui s'imbrique à ma vie. Non, ce n'était pas un choix de vie !!! Personne n'a envie de vivre prisonnier de lui-même, prisonnier de son passé, prisonnier des évènements de la vie. Je n'ai pas eu d'autres options. Je devrais le faire pour me sauver. Jusqu'à cet instant précis, une tonne de questions continue de trotter dans ma tête.
Mais pourquoi elle ? Pourquoi devrait-elle être là en ce moment précis ? Pourquoi cette heure ? Pourquoi cet endroit précis ? Pourquoi de cette manière ?

Autant de questions auxquelles je n'aurais peut-être jamais de réponse. La vie était-elle entrain de venger ma mère ? Le Karma se serait-il mis en mouvement ? Je ne le saurai jamais mais une chose est sûre, ce n'était pas prémédité. Elle était au mauvais endroit, au parfait mauvais moment et face à la mauvaise personne. Mais comment aurais-je su que c'était elle ? Comme pouvais-je m'imaginer que je liquidais une partie de moi, pour sauver une autre partie de moi ? Finalement, je me reconnais humain. Oui, dans mes veines coulent du sang humain, et sur cette poitrine, se trouve un cœur qui bat assez fort, beaucoup plus fort en ce jour.

Et si je faisais une pause pour vous parler de ma mère ? Cette jeune femme innocente à qui la vie a tout volé !!! Cette jeune femme pleine de rêves qui va rencontrer « l'amour », mot utilisé pour désigner la bêtise de l'adolescence et de l'insouciance. J'ai envie de trouver le mot parfait pour justifier ce qu'elle a rencontré parce qu'il me plait de dire que ce n'était pas de l'amour en son sens propre. Orpheline de père et de mère, elle vivait l'enfer chez sa tante qui l'avait transformé en une moins que rien. Elle devrait s'occuper de tout et chaque chose qui lui échappait, se transformait en châtiment. Elle préparait son examen lorsqu'elle rencontra ce monstre que je ne connais pas mais qu'elle nomme « mon père ». Cet homme toujours absent, est la source de tous mes malheurs. En vie ou mort, je ne suis pas curieux de le savoir. Tout ce que je sais est qu'il a disparu. Je viens de me rappeler que pour disparaitre, il faut avoir existé. Cet homme n'a jamais existé pour moi. Ma mère par contre, s'entête à faire son deuil. Les deux se sont connus très jeunes et se sont « aimés ». Assez pour qu'elle tombe enceinte. Mais pourquoi ne s'était-elle pas protégée ? Pourquoi n'avaient-ils pas pensé aux conséquences de leurs actes ? En terminal n'étaient-ils pas au courant des risques de grossesse ? Pourquoi n'avait-elle pas choisi l'avortement ?

Je me sens perdue et vide. Ma mère me parle de mon père toujours comme un homme responsable et digne de confiance. Le choix du timing de mon arrivé dans cette balade terrestre a été mal fait par mes parents.

Revenons à l'histoire de ma mère. Ma mère se retrouve enceinte et mon père disparait de la circulation. Orpheline, et sans appui, elle se retrouve dans la rue, à la portée de tous et de tout. Mon père je ne saurai peut-être jamais ce qu'il est devenu ! Tout ce que je sais est qu'il a quitté le pays par une décision prise par sa maman, cette dame qui a humilié à maintes reprises ma maman . Pour elle, nous sommes très pauvres pour faire partie de sa vie. Nous ne sommes rien et nous voulons profiter de leur « richesse ». La combativité de ma mère me donne la conviction qu'elle aurait été plus riche que cette sorcière, si elle n'avait pas rencontré le chemin de son fils. Malheureusement cela est un fait et me voici, ici, enfermé, pour les conséquences d'une faute que je n'ai jamais commise.

Enceinte et seule, elle va assister à un cambriolage qui va marquer la mort du père de celui qui deviendra mon meilleur ami. Il venait de naitre et sortait de l'hôpital à une heure du matin. Son père très heureux de recevoir son premier fils était content de se rendre à la maison avec son fiston mais hélas, la vie a encore décidé d'être injuste. Il sera tué par des bandits qui pour quelques pièces étaient prêts à tuer. Ma mère enceinte de moi, a assisté à cette scène odieuse. Elle essaiera d'aider cette femme qui est au bord du désespoir en l'emmenant à l'hôpital, après le départ de ces malfaiteurs. Cette amitié reste la seule connection que ma maman a gardé jusqu'à aujourd'hui et cet enfant est devenu mon meilleur ami.

L'absence de nos deux pères nous a arraché notre enfance parce que nos mamans n'avaient pas la capacité de joindre les deux bouts. Nous étions enfants mais présents dans le quotidien de nos parents qui jouent les doubles rôles de père et de mère. Elles nous donnaient tout mais tout ce qu'elle avait à offrir était insuffisant. Il fallait qu'on se lève comme des adultes alors qu'on avait respectivement douze et treize années de vie. Les renvois répétés de l'école, nous ont poussé dans la rue. La rue nous a appris la brutalité, la méchanceté... On vivait dans la jungle. Coup bas, attaques meurtrières étaient devenus notre quotidien. Avions-nous le choix ? Je dirais non, tout simplement... Si l'on devait choisir, on choisirait d'avoir des pères responsables et présents. Malheureusement la sueur du front de nos mères n'était point suffisante. On s'est levé comme des hommes pour affronter la vie, telle qu'elle s'est offerte à nous. Je me rappelle de cette jeune femme dont nous avons pris le porte-monnaie. Pour nous, c'était un jeu d'équilibre. Elle avait tout et n'avait rien à faire de nous et nous avons créé l'équilibre en lui arrachant son porte-monnaie. Je sais que le vole est une mauvaise chose mais je n'avais pas le choix en ce moment précis. Aujourd'hui, oui je le regrette mais oui, les souffrances de ces personnes restent que je le regrette ou pas. Aujourd'hui, j'ai envie que tous les jeunes présents sur la surface de la terre m'écoute et comprenne que la colère, la méchanceté ne sera jamais une solution face à l'injustice de la vie.

En ce jour-là, ma mère était mourante. C'était le jour de mon anniversaire mais nous n'avions rien à nous mettre sous la dent. Je décidai alors d'aller me battre pour ne pas perdre la personne la plus importante de ma vie. Je me suis donc équipée de mon arme blanche et de tous mes accessoires. L'envie de sauver ma mère était plus forte que la crainte des autorités policières. Je chargeai mon arme et je vus venir sa voiture de ma cachette. Dès qu'elle sortit de son véhicule, je dégainai mon arme et prit son portefeuille. Je courus à l'hôpital secourir ma mère. Dès le lendemain matin, la nouvelle faisait la une des journaux. Madame OSSEFO est morte par balle à l'âge de quatre-vingt-douze ans. Oui, j'ai tué ma grand-mère pour sauver ma mère. Mais je ne l'avais pas choisi. Elle s'est choisie. Aujourd'hui, alors que je suis à quelques heures de ma mort, je regrette ma vie, je regrette mon parcours. La seule question est que ce serait-il passé si ma mère n'avait pas anticipé ce « rapport sexuel ? » Notre vie n'aurait-elle pas été mieux ?
Chère femme, le prix de la précipitation vaut la destruction, prenez votre temps pour ne pas détruire toute votre destinée et cette de votre progéniture. L'abstinence ou la protection, vous avez le choix.