« Fuis ! Fuis ! » Ces mots tournaient en boucle dans sa tête. Les derniers que sa mère avait prononcés. Avant qu'elle ne se fasse tuer. Elle la voyait encore mourir sous leurs coups de feu. Elle et tous les autres. À présent, elle était la dernière survivante. Ses poumons la brûlaient. Le souffle court, elle traversait la forêt à vive allure. Des tirs résonnaient. Elle avait encore un peu de temps avant qu'ils ne la rattrapent. Il faisait nuit, la pleine lune brillait et les étoiles semblaient vouloir la guider. Elle connaissait mieux la montagne qu'eux. C'était le terrain de jeu de son enfance. Mais ce n'était plus un endroit sûr à présent. Les personnes qui la traquaient étaient au service des plus hauts gradés, des dirigeants. Tous en avait après le pouvoir de son clan. Elle devait le protéger et perpétuer la lignée. Pour eux, pour tous ceux qui ont été sacrifiés pour qu'elle survive. Elle continuait de courir. Malgré la fatigue, malgré la peur. Elle savait où aller. Là-bas, la forêt et ses habitants la protégeraient. Mais il lui fallait encore parcourir quelques kilomètres. Un nuage cacha la lune. Grâce à ses pouvoirs, la jeune fille avait une très bonne vision nocturne. Elle entendit le hululement d'une chouette et le hurlement d'un loup. Elle ne s'en inquiéta pas. Les animaux étaient ses amis. L'air était glacial. De la buée s'échappait de ses lèvres à peine entrouvertes à chaque expiration. C'était l'hiver. Plus elle montait, plus il y avait de neige sur le sol. Ses jambes commençaient à devenir lourdes. Les tirs se rapprochaient. Ils allaient bientôt l'attraper ! Elle n'avait pas le temps de se reposer. Elle accéléra. Des branches lui cinglaient le visage. Ses cheveux noirs comme la nuit s'emmêlaient par moment dans les aiguilles des sapins. Elle ne s'en souciait guère, préférant ce sacrifice à la mort. Enfin la clairière ! Plus qu'un kilomètre et elle sera en sécurité. Son pendentif en forme de tête de loup brilla à la lueur de la lune. La poudreuse ralentissait sa progression. Elle allongea ses enjambées. Cap sur le nord à présent. Et voilà la descente. La jeune fille se laissa tomber dans la pente. Elle roula dans la neige pour atteindre le bas plus vite. Elle se retrouva dans la forêt de l'autre versant. Elle se releva et fonça. Un dernier effort ! Elle pouvait entendre la cascade ! Mais des voix avaient rejoint les coups de feu. Ils étaient à peine à une cinquantaine de mètres. Ils l'avaient repérée. Les tirs se faisaient plus précis. Elle filait, tel le vent, pour leur échapper. La rivière était en vue. Elle n'avait plus qu'à la traverser. Elle remarqua un magnifique loup au pelage couleur d'argent. Non, une louve, eut-elle le temps de penser. Les rayons de la lune lui donnaient des reflets blancs et une allure mystique. Une balle dans la jambe la ramena à la réalité. Elle gémit. Heureusement, son muscle n'avait pas été touché. Elle pénétra dans l'eau glaciale. Pas de temps à perdre. A mesure qu'elle avançait, le courant se faisait plus fort. Elle avait de l'eau jusqu'au cou. Sa peau métisse pâlit, le froid était intense. Ses membres s'engourdissaient, elle était gelée jusqu'aux os. Elle devait nager. Les balles tombaient trop près d'elle à son goût. Pour se donner du courage, elle plongea ses yeux blancs, héritage de son clan, dans ceux argentés de la louve. Cette dernière se contentait de la fixer, ne pouvant rien faire pour la sauver tant qu'elle n'atteindrait pas l'autre rive.
Lorsqu'elle y arriva, l'animal n'était plus là. Il faisait chaud, c'était l'été. Plus aucune trace de la rivière et de ses poursuivants. Des oiseaux gazouillaient. « Chérie ? » l'appela une voix familière. Elle se retourna précipitamment. Son visage s'éclaircit de bonheur. Elle s'élança avec joie vers la personne qui l'avait interpellée...
Ailleurs, la louve observait un bien triste spectacle, impuissante. Le corps de l'adolescente dérivait, emporté par le courant. Ce que le froid n'avait pas emporté de vie, les balles s'en étaient chargées. L'eau pure se teinta du sang de l'innocente. La rivière emporta avec elle les derniers secrets de son clan. L'animal baissa la tête, peiné. Il leva la patte et, de sa griffe, effaça un symbole tracé sur le sol. L'autre rive disparut...