Le premier moment de l'amour

Il est sacré pour moi, c'est mon premier beau jour,
Le seul dont je me plaise à fêter le retour,
Ce jour où ton aspect a porté dans mon âme
Le premier trouble de l'amour
Et le subtil poison d'une invincible flamme !
J'écoutais, attentive, un des concerts brillans
Où de Saint-Huberty la voix mélodieuse
Et du savant Kromolz la harpe harmonieuse
Inspiraient tout l'amour que célébraient leurs chants ;
Seule, au milieu du cercle, en extase ravie,
Je m'abandonnais doucement
A cette aimable rêverie
Qui pour une âme neuve est presque un sentiment.
Mon cœur, à l'amour près d'éclore,
Palpite d'un nouveau désir ;
Mon teint s'anime et se colore ;
Vaguement j'espère un plaisir.
Un son voluptueux qui meurt à mon oreille
Me fait tressaillir malgré moi :
Je lève mes regards ; ils s'arrêtent sur toi.
Je doute un instant si je veille :
Ce front majestueux et ce noble maintien,
Et ce sourire aérien,
Et cette auréole de gloire
Dont resplendit l'amant des filles de Mémoire,
M'enivrent d'un attrait vainqueur,
Égarent ma raison et subjuguent mon cœur.
Quel prestige divin d'une amante trop vaine !
Je crois d'abord, je crois que le maître des dieux,
Daignant prendre une forme humaine,
Pour m'éblouir quitte les cieux :
Que dis-je ! Jupiter semble moins radieux
Alors que, triomphant d'une nymphe éperdue,
Sur son char orgueilleux il sillonne la nue ;
Mars, du sein de Vénus s'élançant au combat,
A moins de grâce, a moins d' éclat.
Délicieusement émue,
En silence sur toi j'ose attacher ma vue.
Mais ô combien s'accroît mon désordre enchanteur
Lorsque, cédant aux vœux d'un monde admirateur,
Ta voix tendre et mélancolique,
Ta voix, plus douce encor qu'une douce musique,
Nous révèle Apollon, qui sur sa lyre d'or
Des beautés de son art prodigue le trésor !
De peur d'en perdre un son je retiens mon haleine.
Tu cesses de chanter, une ivresse soudaine
Fait circuler au loin un murmure flatteur :
Chaque applaudissement retentit dans mon cœur ;
C'est là que sont gravés et tes vers et toi-même.
Dieux ! combien je jouis d'admirer ce que j'aime,
D'entendre son éloge en cent lieux répété,
De prévoir, lui vivant, son immortalité !
Hélas! ce seul bonheur, permis à ma tendresse,
Dans le secret du moins charmera tous mes jours :
Je dois te cacher mes amours ;
Mais je les chanterai sans cesse.