Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extra-terrestre. Le savais-je ? Non. Je ne le sais point. Je le vois encore partout. Lui. « Qui suis-je ? Je ne le sais point ». Un souffle à la fois thermal et hydrique. J'étouffe. On m'observe de loin. Je sue de tous les coins. Au moins, ma mère n'est pas loin. Et malgré tout, elle ne me quitte point. Que je sois au lit, à pieds ou à genoux, je ne suis que cette différente. Diff... Ce maudit mot ! « Ya rabe tnajina !» (Oh mon Dieu sauve nous !). À la vue de la Diff, tout le monde prononçe cette phrase. Cette horrible phrase... Des cheveux longs. Couleur châtaigne. Des sourcils bien dessinés. Des yeux larges. Bleu clair. « Claire » ! Là je me rappelle. Je me rappelle cette chanson. Cette chanson dont le rythme me berçait dans les bras de Morphée. Oui, vous l'avez deviné ! Oui, c'est « Au clair de la lune ». Mais moi, je n'ai pas de Pierrot. Pas d'amies. Pas d'amis. « Mais où suis-je ? Je ne le sais point ». Le nez ? La bouche ? Un chef d'œuvre. Picasso ? Est-ce vous ? Est-ce vous qui avez sculpté ce nez « retroussé », le dit-on, cette bouche telle un bouton de rose ? « Quand sommes-nous ? Je ne le sais point ». « Shu hal bent l helwe», « Quelle belle femme ! ». Bass. Mais. « Ya de3en el chabeb »... Je suis une belle femme. Mais non « La belle femme ». « Pourquoi suis-je ainsi ? Je ne le sais point ». « Là » oui, pour vous qui ne savez pas les astuces de la langue française. Je vous le dévoile. La femme qu'on connait ! ou plutôt qu'on a l'habitude connaitre. Elle est compliquée cette langue. Encore plus, Absurde est-elle. Et les gens alors ? Loin. Je vis. Mais on me connait partout. Pourquoi ? Devinez-le. Tout à fait, voilà, merci. Des conversations. Je n'entame pas. Par incapacité oui ! Mais par destin aussi. Diff... Ne pas parler ? C'est ça ? Vraiment ? Là je me rappelle. Une scène que je n'oublie jamais sans doute parce que... ça ne m'arrive qu'un peu tous les jours. Un peu ! 3ade. Normal. Ma mère et moi. On se promène au marché du livre ou la braderie du livre à Souk el Zouk. Le rituel du mois de mai de chaque année. Une fille tient la main de sa mère. Elle et elle, ou elles, visitent les stands de gauche à droite. « Dawakhoune ». « J'ai la tête qui tourne ». Je dis... fais... ais des yeux. Car vous le savez maintenant je ne peux pas dire. Je ne peux pas prononcer. Bon continuons. Et soudain. Elle. La petite fille me regarde. Un petit pas en avant. Un autre pas en arrière. La voilà près de moi. Un « Bonjourik » me lance-t-elle. Réponse : Un clin d'œil. Elle continue. « Tu as envie de venir choisir des livres avec moi ? ». Réponse : Un clin d'œil. La petite fille. « Nicole, viens ma puce ! ». La petite ne comprend rien. Ni mon salut. Ni ma réponse. Sa mère s'approche. Même discussion. Mêmes réponses. À ce moment, ma mère intervient. « Madame ! Ma fille est... ». « Oui, oui je comprends. Je l'ai remarqué. Les yeux. Les sourcils. Le nez. La bouche... J'ai déjà vu des filles de son genre. ‘J'ai peur !' Allah ykoun b 3awnik (Que Dieu soit à vos côtés) madame ! ». « Merci ». C'est vrai je ne parle pas. Mais j'écoute. J'ai écouté les mots et j'ai déchiffré le message. Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien. Le miroir dont je suis privé en est-il la preuve ? La preuve de ce que je ne sais. Je ne sais pas. Vous vous rappelez ce que je vous ai dit à propos de mes yeux, de mes sourcils, de mon nez et de ma bouche. Oui ! C'est maman qui me l'a dit. « Je suis Nicole ». C'est ainsi que le clin d'œil prononce « je le sais ». « Tu sais je n'ai jamais vu une personne aussi... ». « Viens ma poule ! On rentre à la maison yalla ! ». Maman... Est-ce un mot comme les autres ? Non je ne le crois pas. C'est toute autre chose. Continuons. Ensuite, maman me prend la main. L'embrasse. Comme si rien ne s'est passé. Nous avons continué notre balade... Après de bonnes minutes passées avec la compagnie des livres, j'ai vu Un livre. Pas comme les autres. Un livre. Dont la couverture est unique. Un livre dont les pages ne dépassent le nombre des jours de l'année. Un livre immense. Un livre terrible. Bi ra3ib. Je m'approche lentement. De. Petites. Créatures. Sont. En. Train. De. Marcher. Sur. Je me suis approchée quand même. Ce livre m'interpelle. Me fait signe. Il est terrible mais je le veux. Le découvrir. L'ouvrir. Le parcourir. Ma main pris son élan. Vers... Je l'ai saisi. La couverture a changé de couleur. De forme aussi. Elle n'est pas bizarre en fin de compte. Elle n'est qu'une couverture qui se transforme. Non pas n'importe où. Non pas n'importe comment. Surtout ici. Et surtout ainsi. En un miroir. La vé... Maman n'est pas là. Elle plonge dans son livre. Un de ces livres. Les livres. Qu'on connait. Ou que tout le monde connait. Maman n'est plus là. Je me vis dans le miroir. La vér... Une figure disgracieuse. Un cauchemar. La véri... Des yeux tout ronds. D'un noir excessif. Des sourcils de sorcière. Un nez de cochon. La vérit... Une bouche semi-cousue. La vérité. Les laves coulent de mes yeux. J'inspire. J'expire. Rien ne change. Suis. Triste. Désespérée. Trahie par le destin. Les pages qui suivent. Une. Deux. [Klak] Une porte s'ouvre. Voici de retour la sombre réalité. Maman est de nouveau ici. Je suis ici. Mais c'est un autre ici. Cet ici est clos. Cette eau originelle, serait-elle le lieu le plus sûr pour moi ? Peu de lumière. Mais je peux voir une lueur venant de ce trou loin et proche. Je tourne en rond. Plus de stands. Plus de miroir. Plus de livres. Seule. Je mange, je nage, je joue, je bouge,... Mais La vérité: Je ne suis guère au monde. Je l'ai été dans les mots, sur les écrans. Dans les pensées, sous les yeux. Qui suis-je ? Je le sais. « Je suis une extra-terrestre ». J'ose le dire. « Différente ». Pire encore. « Muette ». Mais où suis-je ? Je le sais. « Dans le doux berceau qu'est le ventre de ma mère ». Quand sommes-nous ? Je le sais. « Avant que je ne sois née. Après que je suis née ». Lui. c'est le miroir.