Le Luxembourg

Jardin charmant, jardin délicieux
Où venait s'égarer mon heureuse ignorance
Alors que mon cœur pur, encor dans son enfance,
Ne formait que de simples vœux
Qu'approuvait toujours l'innocence,
J'ose te préférer à ces jardins pompeux
Où l'essaim des Laïs parjures,
Moins brillantes d'attraits que belles de parures,
Ne savent conquérir que l'hommage des yeux.
Près de tes marronniers antiques,
Ces témoins discrets des amours,
Rien ne pourra troubler le cours
De mes pensers mélancoliques.
Si l'esclave des cours, méprisant Apollon,
Dédaigne de chercher ton modeste ſeuillage,
L'élève des neufs sœurs, l'astronome, le sage,
Là méditent Corneille, et Racine, et Newton ;
L'amant que dans ce bois égare sa tendresse,
L'Héloïse à la main, y rêve à sa maîtresse ;
Le poète, ami de la paix,
Aime à se recueillir sous son ombre chérie ;
L'élève et l'héritier du Sophocle français,
La Harpe, de son maître évoquant le génie,
Et d'un zèle égaré retraçant les forfaits,
Peut-être y composa les vers de Mélanie ;
Là Ducis, préparant ses terribles effets,
Ducis, le front orné d'une double couronne,
S'armant des deux poignards du Grec et de l'Anglais,
Fait frissonner Macbeth et gémir Antigone ;
Sous ce vieux orme qu'a planté
Un monarque à l'amour comme à l'honneur fidèle :
Autrefois Fontane a chanté Henri
Quatre tombant aux pieds de Gabrielle,
Et désormais aux yeux de la postérité
L'un en sera plus grand, l'autre en sera plus belle.
Quel Français, quel poète, et surtout quel amant
Verrait cet arbre heureux sans attendrissement !
Dans ce jardin solitaire et paisible
Il est doux de rêver, et plus doux de pleurer ;
C'est ici que l'homme sensible
De touchans souvenirs se plaît à s'entourer.
N'en doutons pas, le cœur rempli de sa Délie,
Jadis dans un bosquet pareil,
Aux derniers rayons du soleil,
Tibulle soupira sa première élégie.
Parny, chantre aimé des amours,
Non moins voluptueux, plus tendre que Catulle,
Parny, que les muses toujours,
Nommeront le second Tibulle,
Viens que ton luth résonne encore,
Ce luth si plein d'amour, de grâce et de douceur,
Et je n'ose unir un nom cher à mon cœur
Au nom chéri d'Eléonore,
A la douleur du moins j'unirai ma douleur.
Victimes tous les deux des plus tendres faiblesses,
Des erreurs de l'amour tous les deux revenus,
Nous promettrons de n'aimer plus :
Hélas ! tiendrons-nous nos promesses ?