Le laurier-rose

Un jour Anacréon, plein de la douce ivresse
Qui fixait près de lui le plaisir inconstant,
Suivait les bords fleuris qu arrose le Permesse ;
Inspiré par l'Amour, il errait en chantant
Bacchus et la beauté, les ris et la tendresse,
Lorsque de ces beaux lieux la plus jeune déesse,
Qui folâtrait avec les Jeux,
L'aperçoit, et soudain de ses accords heureux
Admirant la douceur et la délicatesse,
Cueille un laurier, sourit, et du chantre amoureux
Vient ombrager la tête et couvrir les cheveux.

« Non, dit-il écartant le superbe feuillage,
Pour mes chants une fleur est le prix que je veux ;
Une fleur et pas davantage.
La rose plaît à la beauté ;
Du peintre de la volupté
Que la rose soit le partage.
Viens en couvrir mon front, mon luth harmonieux ;
Sur mon teint même encore, ah ! fais, au nom des dieux,
Refleurir celles du bel âge ;
Et garde ton laurier. » Apollon l'entendit :
C'est pour lui de tout temps que le laurier verdit ;
Jugez s'il ressentit un si cruel outrage.
Mais l'Amour aussitôt pour conjurer l'orage
Conduit la main du dieu sur l'arbre fortuné
Dont le sein protecteur enferme encor Daphné ;
Sous ses doigts frémissants son amante soupire ;
Un murmure léger glisse entre les rameaux ;
Il se trouble, l'Amour l'inspire,
Et son cœur attendri laisse échapper ces mots :

« Anacréon garde la rose ;
Au laurier qui m'est cher pour toi je vais l'unir.
Daphné, de ses attraits conservant quelque chose,
Sous l'éclat d'une fleur charmera l'avenir,
Et c'est par un bienfait que je veux te punir. »
Il dit sur le laurier une fleur est éclose,
Et l'arbre où vit Daphné devient le laurier-rose.