Le dénie de soi

Moi je suis différent. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais un extra-terrestre. Au fond je l'ai toujours su, par moment je me suis senti spécial presque « élu » mais ces moments sont si éphémères qu'ils en deviennent illusoires.
C'est une journée comme les autres, une de plus. Un voile de tristesse recouvre le ciel d'automne, et c'est étrange car je me sens compris, presque épaulé... La nature a peut-être su lire en moi, quelles réponses-a-t-elle pu trouver ?
L'adolescent plein de peurs, de questions et complexes a vite fait de succéder à l'enfant joviale que j'ai pu être. Depuis que j'ai 12 ans c'est comme si je retenais ma respiration, mes poumons brulent, mes yeux me piquent et mon cœur se fait de plus en plus lourd.
Le temps passe et on devient maitre dans l'art de faire semblant. On apprend à sourire, à se détourner des questions, à éloigner certains soupçons jusqu'à parfois finir par y croire...
La vie ne s'arrête pas, ses épreuves non plus, alors on y fait face combat par combat... Grisé par certaines victoires, accaparé par de nouvelles batailles, on en oublie d'autres enfouillent dans les limbes à mi-chemin entre conscience et dénie...On en viendrait presque à croire que ça va, à se croire fort, à se croire à l'abri, à l'abri de soi...
A ce moment-là toi aussi tu ne savais rien, rien de la noirceur que je cache sous des sourires charmeur et un humour noir bien accroché alors forcément toi aussi tu y as cru comme tout le monde. Durant des années, je me suis souvent demandé si il y avait une seule personne qui me connaisse, le vrais moi j'entends, et si c'est le cas que voit-elle?
Je me souviens de ce sourire ravageur, de ces yeux vert irradiants de bonté et d'intelligence, je me souviens de nos discussions animés aussi bien sur le sens de la vie que sur la meilleur musique de film, je me souviens de mon cœur battre plus fort à tes côtés, de mes démons s'apaiser, de la sensation de ma main courir sur ta peau, de tes cheveux bouclés, de ta voix mi- rauque mi- cassé caresser mes oreilles, je me souviens de tout...
Ce n'est pas toi, c'est moi. Tu m'as tout donnée, ton amour, ton cœur, tu m'as écouté consolé, tu m'as bousculé, tu m'as supplié, tu m'as même boudé avant de revenir à moi repentant, tu as fait tout ça pour moi, pour m'aider ! M'aider à aimer la vie, et près de toi j'ai pu parfois la gouter, réapprendre à l'aimer en t'aimant toi un peu plus chaque jour...Mais tu vois, l'amour ne suffit pas, et certaines blessures n'ont pas de cure et certaines haines en particulier celles qu'on peut se vouer à soi, nous pourrisse de l'intérieur, nous use et on y peut rien, c'est comme ça, c'est la vie.
J'aurais tellement voulu revoir tes yeux une dernière fois, revoir ce sourire franc faire apparaitre tes fossettes, entendre le son de ta voix, humé ton odeur forte et douce à la fois...
Mon rythme cardiaque ralentis, doucement, pas à pas tandis que le froid se fait plus lourd plus insistant...j'en viens même à en invoquer ta voix, si je le pouvais je me marrer, c'est tellement niais. J'entends des : « Lee ! » lointains mais ininterrompu, soudain la peur enserre le peu de conscience qu'il me reste, NON, tu ne peux pas être là ! Tu ne devais pas être là ! Tu ne dois pas y être ! Pas toi, pas à ce moment...
Une étreinte puissante tente de me ramener à toi, s'ensuit des plaintes lointaines déchirantes, puis plus rien.
Une éternité passe, mais je me souviens être balloté, comme on pourrait l'être au rythme des vagues. Le cri d'une sirène au loin. Ta main dans la mienne. Et dieux sait qu'à ce moment-là, j'ai souhaité du plus profond de mon être n'avoir pas été cassé, pouvoir te revenir, pouvoir t'aimer, pour m'aimer, faire le deuil de l'image que j'ai de moi, accepter la personne que je suis aujourd'hui et en être fier, pouvoir enfin vivre en respirant à plein poumons, aimé, accepté et soutenue mais n'est-ce pas trop tard pour cela ?
J'ai la gorge en feu, je n'arrive pas à respirer, je me noie dans ma gorge. C'est comme si on y avait mis un tuyau, je commence à paniquer, mon cœur bats à toute allure, je m'agite, tente de me débattre... Très vite il y a de l'agitation et des mouvements tout près de moi, en retient fermement mes bras, j'entends un : « Calmer vous monsieur, nous avons due vous intuber mais ça va aller on vous retire la sonde mais vous devez nous aider et rester calme, ça prendra à peine une minute...» en même temps que me parvienne ces paroles, je sens quelques chose me sortir de la gorge et aussi une autre sensation, une que je ne connais que trop bien, sa main me serre à peine, presque timidement. Je me tourne légèrement vers ma droite, tout en essayant de me réhabituer à respirer, des yeux verts me transpercent. J'ai d'abord peur d'y voir de la haine ou du dégout mais à mon grand soulagement je lis surtout une sorte d'apaisement, de la peur et beaucoup de fatigue...
Le médecin prends la parole : « Monsieur, vous revoilà parmi nous ! Vous nous avez fait peur, et donné du fils à retordre ! Nous avons dû vous plonger dans un coma artificielle, vous avez dormis environs 48h, votre état semble stable, nous feront une batterie d'examen demain matin, d'ici là reposer vous, notre équipe est là si besoin... ». Il reste encore quelques secondes à nous observer avec bienveillance, puis quitte la pièce, me laissant écarteler dans un mélange de culpabilité et de délivrance.
Un long moment de silence passe, sans que nulle ne viennent l'ébranler. La sacralité du moment pourrait en perturbé plus d'un, mais ce que je lis dans ses yeux émeraudes et la tout légère pression que je sens sur ma main, aussi douce qu'une caresse me permettent de mettre de l'ordre dans mes idées. Je visse mes yeux aux siens, mets de l'ordre dans ma respiration, puis je commence à parler et je ne m'arrête pas, je lui parle de tout. De mon enfance, de mes peurs, des coups durs que j'ai pu vivre. De mon mal être, qui partage ma vie depuis tellement longtemps. De mon cerveau, qui n'arrête jamais de tout analyser, de tout ressasser, que ça en devient épuisant ! Je lui parle de mes doutes, du fait que parfois, souvent même, je me hais et que je ne sais pas pourquoi... Puis réfléchissant un moment, baissant les yeux, lui dis l'une des raisons, J'en ai honte ! Mes yeux me piquent, mais je ne veux plus construire ma vie sur des mensonges, des demi-vérités ou sur des omissions ! J'ai honte mais ne veux plus avoir à lui mentir, pas après ce qui vient d'arriver, pas après ce que vient de lui faire vivre ! Je veux vire vraiment, pleinement !
Quand je considère que j'ai tout dis, je retiens mon souffle. Après un moment à attendre, que son étreinte se desserre, d'entendre ses pas, le bruit d'une porte emportant avec elle son odeur, sa douceur... rien ! Je me tente à relever les yeux et au lieu d'y lire un jugement, je ne peux relever qu'une infinie douceur, de la compréhension et peut être un peu de douleur provoqué par ce que j'ai pu lui confier...
Le silence s'installe, dans ce silence aucune animosité ni lourdeur. C'est un silence léger et doux. Un silence à chérir, indispensable pour reconstruire les âmes cassées, les êtres qui à force d'être malmenés par la vie se croient trop abimés pour continuer, pour être aimé ou même parfois pour pouvoir s'aimer !
Un souffle chaud me ramène à l'instant présent, ses topazes son accroché à mes yeux essayant de lire en moi... Des lèvres douces me frôlent à peine mais c'est suffisant pour me transmettre ce que j'étais déjà parvenu à sentir à travers son regard, nos respirations se sont synchronisé et nos cœur battent à un même rythme. C'est à ce moment que j'entends une voix écorchée, qui pour sure n'a pas servi depuis un moment : « Je t'aime, ne me fait plus jamais aussi peur ! ». Et ces simples mots, ses mots suffisent à me réconcilier avec la vie, je sais que le chemin de la reconstruction reste long et qu'il me faudra m'accrocher mais pour nous je le ferais, pour moi je le ferai...