Le complexe

Il faisait nuit. Ce n'était pas une nuit normale, elle était écrasante, on avait l'impression que le ciel allait nous tomber dessus. Seules quelques étoiles brillaient, environ une trentaine, pourtant il n'y avait ni pollution lumineuse ni Lune pour les occulter. Cela donnait un caractère spécial à cette nuit d'été. D'ailleurs, je ne savais même pas comment j'étais au courant que nous étions en été. En y réfléchissant, je ne savais rien. Rien du passé, rien du présent, rien du futur. Je ne m'étais même pas rendue compte que je tenais dans ma main gauche une lampe torche. Cette lampe me paraissait particulière, elle était disproportionnée par rapport à mon corps. Au bout d'un moment à l'observer, je me rendis compte qu'elle ne produisait pas de lumière. Pourtant, je ne sus expliquer pourquoi, mais j'arrivais à distinguer le faisceau lumineux qu'elle produisait mais aussi l'ombre de ma main quand je la passais devant. Après avoir pris conscience de ma vue, je pris conscience de mon environnement. J'étais encadrée par quatre immeubles. A l'aide des quelques étoiles de ce ciel quasi vide, et de mon étrange lampe, je parcourus du regard leurs silhouettes. Elles n'étaient pas exactement pareilles mais une ligne directrice les liait. La forme de chacun de ces immeubles était très architecturale, futuriste. En me rapprochant de l'un d'eux, j'aperçus la fine couche de végétation mousseuse qui le recouvrait et qui dessinait des courbes très graphiques. Le sol était couvert d'une pelouse verdoyante où quatre chemins de dalles partaient de chaque immeuble pour se rejoindre au centre du complexe d'immeuble. Je m'arrêtai quelques secondes pour admirer le lieu où je me trouvais. Il était utopique.
Aucun bruit n'était présent, le calme de la nuit m'envahit. Je me trouvais dans un lieu inconnu, dans un silence que même ma respiration ne pouvait troubler, sans aucun souvenir mais malgré cela, je me sentis vivante pour la première fois. Je resta ainsi, étendue dans l'herbe à côté d'un des chemins. Je profitais de la scène unique que je vivais : moi, allongée seule dans ce lieu illusoire. Rien ne pouvait briser l'instant que je savourais. Pourtant, un tremblement se fit ressentir, brisant le silence absolu de ce lieu vagabond. Le moment où j'ai cru avoir attraper une barrière pour m'accrocher et éviter le pire n'était qu'illusoire, mes mains ne s'agrippèrent pas, me laissant tomber lamentablement. Ma tête se fracassa contre les dalles du sol.
Après ce qu'il me sembla être quelques heures à être inconsciente, j'ouvris enfin les yeux et me redressai pour pouvoir être assise. Le Soleil aurait dû être levé mais ce n'était pas le cas, le ciel était noir, de la nuance la plus foncée que je connaissais. La nuit était redevenue le silence qu'elle était, mais les rares étoiles qui occupaient la voûte céleste avaient disparu, me plongeant dans un vide absolu. Je n'entendais rien, ne voyais rien, ne sentais rien. Les seules choses que je percevais étaient mon mal de crâne, les brins d'herbes au sol et la lampe que je tenais encore dans ma main. Sans ces sensations là, j'aurais pensé être morte sur le coup.
Une fois mes esprits repris, j'allumai la lampe avec un sentiment d'appréhension. Voire la lumière me rassura. Je ne sais pas pourquoi, mais j'étais sûre d'avoir perdu la vue à cause de ma chute. J'avais peur de redevenir comme avant. Je me surpris à savoir comment j'étais avant, mais une chose était sûre, avant je ne voyais pas. Au loin, j'entendais des voix qui brisèrent le silence, cela me mit dans un état d'inquiétude. La panique me fit prendre la décision d'explorer les immeubles pour trouver de l'aide, sortir d'ici. Je ne me sentais pas à ma place. Cet endroit qui, quelques heures auparavant m'avait l'air idyllique me plongea maintenant dans un profond mal-être. Je ne me sentais plus à ma place. Les courbes qui m'avaient semblé harmonieuses devenaient désaccordées et ce lieu qui me paraissait le plus accueillant au monde me devenait effrayant. L'angoisse montait en moi, je n'avais jamais ressenti ça. Prise d'un élan de peur, je me dirigeai vers l'un des immeubles en courant du mieux que je pouvais. Mon corps étais raide, sûrement à cause du stress qui m'envahissait, je bougeais si lentement que j'avais l'impression que je ne n'atteindrais jamais l'immeuble seule. A mesure que les voix se rapprochaient, je me rigidifiais, j'oubliais le peu de souvenir que j'avais mais malgré cela, un sourire se dessinait sur mon visage. Les voix se rapprochèrent tellement que cela m'immobilisa sur place. J'entendis ceci :
«Mathias, vraiment dis moi où tu as mis ma Barbie® !
-Je te l'ai dit, je ne te la rendrais pas avant deux jours !
-Pourquoi ?
-Parce que je l'utilise comme figurante dans ma maquette super importante de fin d'année. Je te le répète, en étude d'architecture, il y a un grand coefficient sur les maquettes, j'ai besoin qu'elle soit la plus réalistes possible !
- Bon d'accord, mais laisse moi au moins la voir avant que tu n'emmènes ta maquette à l'école.
-Ok, la maquette est dans la boîte noire qu'on a déplacée tout à l'heure, normalement ta Barbie® y ait. »
Le moment qui suivit ce dialogue me parut bizarre, le ciel « s'ouvrit » laissant passer des filets de Soleil, un peu comme si c'était le couvercle d'une boîte opaque. Un fois le ciel totalement ouvert, je me rigidifiai tel un pantin, un sourire étincelant se plaqua sur mon visage et ce que je vis m'horrifia: deux géants me regardaient. L'un d'entre eux me prit, me toucha les cheveux avec ses énormes mains et au fur et à mesure où on m'extrayait du lieu mystérieux, ma vision et mon audition se troublaient. La dernière chose que j'entendis était :
« -Oh mon adorable Barbie®, comme tu m'as manquée ! »
Je n'ai jamais compris cette phrase, ni pensé jusqu'au moment où je me suis retrouvée dans un endroit sombre, où j'étais entassée avec plein de filles blondes qui me ressemblaient.
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