Le Chasseur d'ours

C'était un bien beau caractère que celui de François Guigonnet : un caractère grand, ouvert, généreux. Il possédait le vrai courage, la résolution indomptable unie au sang-froid. Il y avait en lui une teinte de poésie qui le distinguait des autres hommes de la montagne, et l'entourait, à mes yeux, d'une véritable auréole.

Chez un Savoyard, le courage est chose ordinaire : il voit trop souvent la mort de près, pour qu'il en ait peur... Chez le montagnard, le courage se transforme en une sorte d'exaltation. Il aime le danger parce que c'est le danger ; parce que le danger est son élément. Il peut, à chaque instant, rouler d'abîme en abîme jusqu'au fond de ces précipices, dont aucun œil humain n'a jamais sondé la profondeur ; il peut être enseveli sous une avalanche, tomber dans une fente de glacier, mourir écrasé par la chute d'une roche, devenir la proie des loups ou des vautours ! Qui sait ? Il peut avoir à souffrir les tourments épouvantables de la faim et de la soif !...

Rien n'y fait.

Il part d'un pied leste, le front haut, l'œil fixe, le fusil sur l'épaule, et chantant à pleine voix l'antique chanson des montagnards :

Amis, que la montagne est belle !
Fuyons les bruits de la cité.
Courons gaîment fêter loin d'elle
Notre pays, en liberté !
Le sac au dos, en main la pique,
Pressons le pas.
Faisons un effort énergique,
Pressons le pas.
Que les dangers ne nous arrêtent pas,
Car les dangers pour nous n'existent pas !

Ce courage, cette exaltation leur donnent une adresse à nulle autre pareille. Ils luttent contre la montagne. Ils franchissent d'un pas ferme les passages les plus difficiles : ils mesurent, sans vertige, la profondeur des gouffres : ils marchent sans crainte sur les bords des crevasses des glaciers, ils défient l'orage et supportent avec indifférence les rafales du vent. Oh ! ce sont des hommes forts !

Et puis, sous leurs yeux se déroule un paysage immense autant que varié. Ils ne voient jamais deux fois la nature sous le même aspect. En hiver, c'est un vaste manteau de neige sur lequel tombe un maigre rayon de soleil qui donne à cette blancheur un chatoiement de perle ; alors, le ciel est gris, terne, pommelé de nuages ; alors, tout dort ! Mais au printemps, le monde s'éveille ; la neige a fondu et remplit maintenant les larges combes dans lesquelles mugissent les torrents noirs ; le mont revêt sa robe de verdure ; ce sont des prairies semées de fleurs, des arbustes qui grimpent sur des roches, couvrant leur nudité d'une guipure de feuillages ; des amandiers couverts de fleurs blanches, des sapins aux feuilles sombres qui couronnent les sommets altiers. Vient l'été, avec ses moissons jaunies, ses arbres chargés de fruits que le soleil mûrit lentement. Enfin l'automne, la plus belle des saisons, quoiqu'en disent les poètes ! Le Savoyard comprend et admire toutes ces splendeurs. Il saisit toutes les beautés du paysage ; il voit chaque jour avec un nouveau plaisir le soleil se lever du côté d'Italie et se coucher, là-bas, du côté de la France.

Quand l'astre disparaît, le ciel s'empourpre comme par l'effet d'un gigantesque incendie : tantôt il se diapre de nuages dorés, tantôt il s'efface en laissant derrière lui une traînée lumineuse.

Et le Savoyard contemple chaque jour un spectacle nouveau.