J’ignore si cette histoire est neuve. Où sont-elles les histoires neuves ? J’ai même un vague souvenir de l’avoir quelque part entendue. Mais on vient de m’en montrer le héros ; des témoins oculaires, dignes d’être crus, m’ont conduit à l’endroit théâtre de l’aventure, et, ma foi ! je veux vous la raconter encore ; espérant tout au moins me rattraper sur les détails glanés en route, çà et là, comme ferait un voyageur qui décrit des pays déjà parcourus.
Sans que ce soit précisément à Tarascon, ni à Beaucaire, ni à Arles, la chose ne se passe pas loin du coin béni où le Tartarin de Daudet - à qui désormais les Alpes neigeuses servent de triomphant piédestal - vit le jour et fit ses premières armes.
Imaginez donc une de ces aimables petites villes comme il y en a en Provence, sévères à la fois et souriantes dans leur mélancolie doucement florentine, avec un arc antique qui s’écroule, des placettes silencieuses qu’une fontaine emplit de son bruit, de hautes maisons à tournure de palais, et des niches sculptées mais vides souvent à tous les angles des ruelles ; une de ces villes enfin dont les fillettes portant la coiffe, le ruban et le corsage arrangé en chapelle, évoquent à les voir passer comme une vision de Laure et font rêver de longs amours à la Pétrarque, fidèles et sans dénouement.
Depuis cinquante ans M. Pessugue habitait là, fort peu imprégné d’ailleurs, disons-le tout de suite, par cette atmosphère de poétique platonisme.
Bien au contraire, le gros monsieur Pessugue, Thibéry de son petit nom : Thibéry Pessugue ! professait en fait de sentiment la plus coupable matérialité.
Doué d’une santé de fer, mis au-dessus de l’opinion, grâce à sa fortune 15 000 francs de rente en biens fonds, Pessugue ne s’occupait guère, et cela avec la cruauté inconsciente et passionnée d’un collectionneur qui pique des papillons sur le liège, qu’à mettre des innocences à mal.
Des innocences pauvres surtout ! Pauvre, l’innocence se défend peu.
On ne comptait pas ses victimes.
Que d’ouvrières d’atelier, que de bonnes d’enfant, que de cuisinières ainsi immolées ! Toutes celles qui ne trouveront jamais mari, et que les garçons, connaissant leur faute, dévisagent ; toutes celles qui, cachées à Paris, à Lyon, à Marseille, n’osent plus revenir chez les vieux parents, le mois des fêtes, honteuses qu’elles sont de leurs robes trop riches et de leur peau trop blanche, avaient eu Pessugue pour premier vainqueur. Ce qui n’empêchait pas M. Pessugue d’afficher les dehors d’un excellent père de famille, patriarcal comme personne, avec sa face pleine et rosée, son bedon pointant où brimbale une chaîne d’or, quand il s’agissait d’accompagner, saluant le monde et salué, sa femme et ses filles à la promenade.
Madame Pessugue savait tout, mais ne s’inquiétait pas. Il faut que les hommes s’amusent ; et puis les femmes du Midi sont de moeurs quelque peu musulmanes : vraies tigresses pour ce qui touche à la tranquillité de leur intérieur, elles se montrent indifférentes volontiers aux fredaines sans conséquence qui se passent hors de la tente.
Les amis de Pessugue, gens austères, n’ignoraient rien, mais ils n’en admiraient Pessugue que davantage. Tous, d’ailleurs, plus ou moins, imitaient Pessugue en secret. Et Pessugue riait d’un joyeux rire qui éclairait soudainement son majestueux profil romain quand l’ami Sextius, le numismate, plaisantant sa face d’empereur romain et jouant sur son petit nom de Thibéry, l’appelait quelquefois Tibère.
Et Sextius n’avait pas tort. Rien de moins rare dans les provinces que ces sortes de Tibères bons vivants et bourgeois portant la pourpre et se créant dieux en d’intimes apothéoses. Car la Rome antique n’est pas morte tout entière ; et le vent, du haut des sept collines, a semé, au loin, jusque chez nous, comme une graine malfaisante, la cendre des Césars brûlés.
Les Césars, pour le service de leurs plaisirs, avaient des affranchis et des eunuques.
Pessugue, lui, avait la Cristole, une femme sans préjugés qui remplaçait avantageusement et eunuques et affranchis. Le logis de la Cristole, maisonnette basse au fond d’un jardin, devenait ainsi, suivant les circonstances, le palais doré où Pessugue savourait, moyennant quelques écus, l’orgueil de commander et la joie de vivre.
Pessugue, étant sage, aurait dû s’en tenir là.
Par malheur il voulut varier ses caprices ; et, pris d’ambition, la Cristole aidant, il finit par décider à la chute une Bovary de province que les exploits d’un tel séducteur faisaient rêver.
Les amis de Pessugue, gens austères, n’ignoraient rien, mais ils n’en admiraient Pessugue que davantage. Tous, d’ailleurs, plus ou moins, imitaient Pessugue en secret. Et Pessugue riait d’un joyeux rire qui éclairait soudainement son majestueux profil romain quand l’ami Sextius, le numismate, plaisantant sa face d’empereur romain et jouant sur son petit nom de Thibéry, l’appelait quelquefois Tibère.
Et Sextius n’avait pas tort. Rien de moins rare dans les provinces que ces sortes de Tibères bons vivants et bourgeois portant la pourpre et se créant dieux en d’intimes apothéoses. Car la Rome antique n’est pas morte tout entière ; et le vent, du haut des sept collines, a semé, au loin, jusque chez nous, comme une graine malfaisante, la cendre des Césars brûlés.
Les Césars, pour le service de leurs plaisirs, avaient des affranchis et des eunuques.
Pessugue, lui, avait la Cristole, une femme sans préjugés qui remplaçait avantageusement et eunuques et affranchis. Le logis de la Cristole, maisonnette basse au fond d’un jardin, devenait ainsi, suivant les circonstances, le palais doré où Pessugue savourait, moyennant quelques écus, l’orgueil de commander et la joie de vivre.
Pessugue, étant sage, aurait dû s’en tenir là.
Par malheur il voulut varier ses caprices ; et, pris d’ambition, la Cristole aidant, il finit par décider à la chute une Bovary de province que les exploits d’un tel séducteur faisaient rêver.
Et discrètement, à pas de loup, ils redescendirent l’escalier.
Quand il n’entendit plus aucun bruit, Pessugue ranima la dame, ce qui lui prit un bon quart d’heure.
Puis, l’ayant fait évader, il voulut sortir à son tour. Mais auparavant, par prudence, afin de voir si la gendarmerie ne garderait pas les issues, il se hasarda sur le balcon.
- « Es sou !... C’est lui ! Un, deux, trois, quatre ! »
Alors une fanfare éclata. Des applaudissements, des bravos montèrent.
Le commissaire avait parlé. Toute la ville savait maintenant que l’auteur de Monte-Cristo se trouvait à l’hôtel, incognito, en bonne fortune, - oh ! ces poètes !...
Et la musique, réunie précisément à la mairie pour répéter, avait saisi cette occasion de faire prendre l’air à ses cuivres.
Un monde fou couvrait la place. Et Pessugue pétrifié, saluant à droite et à gauche en manière de contenance, voyait passer des bannières et défiler les prix d’une course de taureaux improvisée en son honneur.
Il descendit enfin ; pas assez vite pour empêcher l’aubergiste d’illuminer.
Quelques personnes l’ayant vu, le collet relevé, le chapeau sur les yeux, en train de courir vers la gare, prétendirent bien que ce n’était peut-être pas tout à fait Alexandre Dumas.
Mais l’amour-propre local fit taire ces voix discordantes. De sorte que la légende s’établit et que les habitants parlent encore, non sans une émotion d’orgueil, du jour où la ville tout entière, avec des drapeaux et des musiques, acclama l’illustre conteur.
- Et M. Pessugue ?
- M. Pessugue ne protesta point, au contraire ! Seulement, renonçant à ses amours de haut vol, il a, c’est madame Pessugue qui est contente ! repris tout doucement ses bonnes petites habitudes.
Sans que ce soit précisément à Tarascon, ni à Beaucaire, ni à Arles, la chose ne se passe pas loin du coin béni où le Tartarin de Daudet - à qui désormais les Alpes neigeuses servent de triomphant piédestal - vit le jour et fit ses premières armes.
Imaginez donc une de ces aimables petites villes comme il y en a en Provence, sévères à la fois et souriantes dans leur mélancolie doucement florentine, avec un arc antique qui s’écroule, des placettes silencieuses qu’une fontaine emplit de son bruit, de hautes maisons à tournure de palais, et des niches sculptées mais vides souvent à tous les angles des ruelles ; une de ces villes enfin dont les fillettes portant la coiffe, le ruban et le corsage arrangé en chapelle, évoquent à les voir passer comme une vision de Laure et font rêver de longs amours à la Pétrarque, fidèles et sans dénouement.
Depuis cinquante ans M. Pessugue habitait là, fort peu imprégné d’ailleurs, disons-le tout de suite, par cette atmosphère de poétique platonisme.
Bien au contraire, le gros monsieur Pessugue, Thibéry de son petit nom : Thibéry Pessugue ! professait en fait de sentiment la plus coupable matérialité.
Doué d’une santé de fer, mis au-dessus de l’opinion, grâce à sa fortune 15 000 francs de rente en biens fonds, Pessugue ne s’occupait guère, et cela avec la cruauté inconsciente et passionnée d’un collectionneur qui pique des papillons sur le liège, qu’à mettre des innocences à mal.
Des innocences pauvres surtout ! Pauvre, l’innocence se défend peu.
On ne comptait pas ses victimes.
Que d’ouvrières d’atelier, que de bonnes d’enfant, que de cuisinières ainsi immolées ! Toutes celles qui ne trouveront jamais mari, et que les garçons, connaissant leur faute, dévisagent ; toutes celles qui, cachées à Paris, à Lyon, à Marseille, n’osent plus revenir chez les vieux parents, le mois des fêtes, honteuses qu’elles sont de leurs robes trop riches et de leur peau trop blanche, avaient eu Pessugue pour premier vainqueur. Ce qui n’empêchait pas M. Pessugue d’afficher les dehors d’un excellent père de famille, patriarcal comme personne, avec sa face pleine et rosée, son bedon pointant où brimbale une chaîne d’or, quand il s’agissait d’accompagner, saluant le monde et salué, sa femme et ses filles à la promenade.
Madame Pessugue savait tout, mais ne s’inquiétait pas. Il faut que les hommes s’amusent ; et puis les femmes du Midi sont de moeurs quelque peu musulmanes : vraies tigresses pour ce qui touche à la tranquillité de leur intérieur, elles se montrent indifférentes volontiers aux fredaines sans conséquence qui se passent hors de la tente.
Les amis de Pessugue, gens austères, n’ignoraient rien, mais ils n’en admiraient Pessugue que davantage. Tous, d’ailleurs, plus ou moins, imitaient Pessugue en secret. Et Pessugue riait d’un joyeux rire qui éclairait soudainement son majestueux profil romain quand l’ami Sextius, le numismate, plaisantant sa face d’empereur romain et jouant sur son petit nom de Thibéry, l’appelait quelquefois Tibère.
Et Sextius n’avait pas tort. Rien de moins rare dans les provinces que ces sortes de Tibères bons vivants et bourgeois portant la pourpre et se créant dieux en d’intimes apothéoses. Car la Rome antique n’est pas morte tout entière ; et le vent, du haut des sept collines, a semé, au loin, jusque chez nous, comme une graine malfaisante, la cendre des Césars brûlés.
Les Césars, pour le service de leurs plaisirs, avaient des affranchis et des eunuques.
Pessugue, lui, avait la Cristole, une femme sans préjugés qui remplaçait avantageusement et eunuques et affranchis. Le logis de la Cristole, maisonnette basse au fond d’un jardin, devenait ainsi, suivant les circonstances, le palais doré où Pessugue savourait, moyennant quelques écus, l’orgueil de commander et la joie de vivre.
Pessugue, étant sage, aurait dû s’en tenir là.
Par malheur il voulut varier ses caprices ; et, pris d’ambition, la Cristole aidant, il finit par décider à la chute une Bovary de province que les exploits d’un tel séducteur faisaient rêver.
Les amis de Pessugue, gens austères, n’ignoraient rien, mais ils n’en admiraient Pessugue que davantage. Tous, d’ailleurs, plus ou moins, imitaient Pessugue en secret. Et Pessugue riait d’un joyeux rire qui éclairait soudainement son majestueux profil romain quand l’ami Sextius, le numismate, plaisantant sa face d’empereur romain et jouant sur son petit nom de Thibéry, l’appelait quelquefois Tibère.
Et Sextius n’avait pas tort. Rien de moins rare dans les provinces que ces sortes de Tibères bons vivants et bourgeois portant la pourpre et se créant dieux en d’intimes apothéoses. Car la Rome antique n’est pas morte tout entière ; et le vent, du haut des sept collines, a semé, au loin, jusque chez nous, comme une graine malfaisante, la cendre des Césars brûlés.
Les Césars, pour le service de leurs plaisirs, avaient des affranchis et des eunuques.
Pessugue, lui, avait la Cristole, une femme sans préjugés qui remplaçait avantageusement et eunuques et affranchis. Le logis de la Cristole, maisonnette basse au fond d’un jardin, devenait ainsi, suivant les circonstances, le palais doré où Pessugue savourait, moyennant quelques écus, l’orgueil de commander et la joie de vivre.
Pessugue, étant sage, aurait dû s’en tenir là.
Par malheur il voulut varier ses caprices ; et, pris d’ambition, la Cristole aidant, il finit par décider à la chute une Bovary de province que les exploits d’un tel séducteur faisaient rêver.
Et discrètement, à pas de loup, ils redescendirent l’escalier.
Quand il n’entendit plus aucun bruit, Pessugue ranima la dame, ce qui lui prit un bon quart d’heure.
Puis, l’ayant fait évader, il voulut sortir à son tour. Mais auparavant, par prudence, afin de voir si la gendarmerie ne garderait pas les issues, il se hasarda sur le balcon.
- « Es sou !... C’est lui ! Un, deux, trois, quatre ! »
Alors une fanfare éclata. Des applaudissements, des bravos montèrent.
Le commissaire avait parlé. Toute la ville savait maintenant que l’auteur de Monte-Cristo se trouvait à l’hôtel, incognito, en bonne fortune, - oh ! ces poètes !...
Et la musique, réunie précisément à la mairie pour répéter, avait saisi cette occasion de faire prendre l’air à ses cuivres.
Un monde fou couvrait la place. Et Pessugue pétrifié, saluant à droite et à gauche en manière de contenance, voyait passer des bannières et défiler les prix d’une course de taureaux improvisée en son honneur.
Il descendit enfin ; pas assez vite pour empêcher l’aubergiste d’illuminer.
Quelques personnes l’ayant vu, le collet relevé, le chapeau sur les yeux, en train de courir vers la gare, prétendirent bien que ce n’était peut-être pas tout à fait Alexandre Dumas.
Mais l’amour-propre local fit taire ces voix discordantes. De sorte que la légende s’établit et que les habitants parlent encore, non sans une émotion d’orgueil, du jour où la ville tout entière, avec des drapeaux et des musiques, acclama l’illustre conteur.
- Et M. Pessugue ?
- M. Pessugue ne protesta point, au contraire ! Seulement, renonçant à ses amours de haut vol, il a, c’est madame Pessugue qui est contente ! repris tout doucement ses bonnes petites habitudes.