La nuit sans étoiles

Lisa Roset

Image de Savoie-Biblio - La nuit
Image de Collèges 74
Sofia, une jeune fille de treize ans, se précipita vers l'hôtel. Elle courut le plus vite possible, avec la peur d'être punie. Elle remit sa jupe en place et passa sa main, remplie de cicatrices, dans sa longue chevelure dorée. Sofia respira un grand coup et ferma ses yeux pendant quelques longues secondes. Elle pensa à sa vie d'avant, de bons souvenirs lui remontèrent le moral, elle secoua sa tête, elle dut être très courageuse, ce qu'elle dut traverser était le pire des cauchemars.
 
Lorsqu'elle poussa la porte, un vieillard la dévisagea. La tête du vieil homme ressemblait à son poisson, et cette idée la fit rigoler. Il pinça ses lèvres, puis ouvrit sa bouche, sans dire aucun mot. Sofia fit un faux sourire au vieil homme. Pour enlever la tension, elle décida, avec force, de se présenter.
 
« Bonjour, je m'appelle Sofia, je suis votre nouvelle esclave. Puis-je connaître votre nom, cher maître ? » dit-elle.
 
L'homme se boucla sa moustache aussi grise qu'un ciel orageux, il mit son béret puis tourna la tête vers la fenêtre de son bureau cafardeux.
 
« Tu n'as pas besoin de connaître mon nom, sale esclave ! Tu dois absolument m'appeler : Mon Intelligent, Charmant Maître. Allez ! File ! À moins que tu ne veuilles être aperçue par quelques soldats, comme tes parents... »
 
Sofia haleta, elle eut les larmes aux yeux. Elle ne put se défendre, surtout pas devant ce monsieur. Elle ne méritait pas cette vie, cette vie monstrueuse.
 
Sofia avait perdu ses parents dans un camp de concentration juif, et elle était seule, seule dans un monde où l'on ne pouvait pas faire confiance, on risquait d'être trahi, d'être poignardé dans le dos.
 
Elle rentra tard chez elle, son maître l'avait fait travailler d'une manière considérable. Sofia détestait le mot maître, elle trouvait que personne ne devrait appartenir à qui que ce soit, à chaque fois qu'elle entendait ce mot, des frissons l'envahissaient.
 
La jeune fille vivait dans un champ de lavande, elle avait choisi ce lieu car la lavande montait à une hauteur extrême ! Ce lieu lui rappelait aussi des souvenirs avec ses parents, avant cette terrible guerre mondiale. Elle avait toujours le sourire aux lèvres, son père la regardait avec des yeux de couleur émeraude, plein d'amour.
 
Sofia se coucha sur un tas de terre en regardant les étoiles briller dans le ciel. Elle imagina, chaque soir, que les deux plus grandes étoiles qui scintillaient, étaient en fait ses parents, qui veillaient sur elle. C'était la seule chose qui lui donnait envie de continuer, d'être courageuse.
 
Elle ferma les yeux rêvant d'un monde sans guerre, en paix. Elle imagina que tous les pays étaient en paix, qu'elle puisse porter son étoile juive cousue sur son manteau avec fierté.
 
Lorsqu'elle reprit conscience, elle suffoqua et trembla comme une feuille. Elle avait les yeux tout rouges, comme le diable. Ses paumes transpirèrent et son cœur se mit à palpiter à une vitesse affolante.
 
Quand elle ouvrit ses yeux avec précaution, Sofia ne vit rien. Il n'y eut aucune étoile dans le ciel, même pas les deux étoiles qui symbolisaient ses parents. Elle se gratta les yeux, avec l'espoir qu'il s'agisse seulement d'une hallucination. Elle se pinça, se tapa, se griffa, mais non, ceci n'était pas un mauvais rêve.
 
La jeune fille agrippa un bouquet de lavande, puis prit un silex qu'elle avait trouvé lors d'une "aventure" à la mine à proximité du champ. Elle souffla sur les bourgeons, et tous les bourdons et les abeilles s'échappèrent très rapidement.
 
Elle regarda attentivement le ciel. PENDANT COMBIEN DE TEMPS VA-T-ELLE RESTER DANS LE NOIR !
 
Sofia décida quand même d'aller au travail pour en savoir plus, car l'une de ses amies était passionnée par l'astronomie.
 
Lorsqu'elle se trouva sur place, elle interrogea Ramona. Ramona était transpirante et ses outils, pour observer le ciel, glissaient de ses mains moites. Sofia ne l'avait jamais vue dans cet état-là. Ramona était une fille calme, gracieuse et élégante, mais elle menait une vie très mystérieuse. À chaque fois que Ramona entendait un mot en rapport avec sa sœur, elle frémissait.
 
« Je... Je. Je ne comprends pas. J'étudie l'astronomie depuis toute petite. Mais. Je. N'ai. Jamais. Vu. Une. Chose. Pareille. »
 
Elle se mit à pleurer comme une madeleine. Sofia rentra chez elle après cette journée obscure.
 
Sofia passa ainsi un mois, sans aucune lumière, à travailler. Elle n'avait jamais autant souffert. Les journées étaient longues et les Allemands en profitaient pour la faire travailler encore plus longtemps. Elle soupira puis regarda le ciel avec détresse. Pourquoi Murphy s'attaquait-il à elle ? Elle n'avait rien demandé. Elle ne voulait pas que cette guerre commence, elle ne voulait pas que ses parents meurent et elle ne voulait surtout pas que cette obscurité soit présente pendant toute sa vie ! Sofia s'endormit. Des larmes coulaient contre sa joue chaude.
 
Elle entendit une voix. Deux voix. Elle se réveilla. Quoi? Mais... COMMENT EST-CE POSSIBLE ?
 
Lorsqu'elle se réveilla, elle regarda autour d'elle. Elle vit l'ancien poster de sa célébrité préférée. Sofia vit aussi la même couleur de mur que son ancienne chambre. Elle prit quelques secondes pour réfléchir... Elle se trouvait en fait dans sa chambre ! Elle descendit des escaliers, et là, elle vit ses deux parents assis à la table du petit déjeuner.
 
Ils sourirent et dirent « Coucou princesse, on t'attendait ! ». Sofia courut et leur fit un grand câlin chaleureux. Elle n'entendait aucun fusil, aucun bruit de guerre. Elle entendait seulement le sifflement des hirondelles. C'est là qu'elle réalisa que c'était seulement... Un rêve...
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