La nuit qui coule

- Maman ?
Mélanie se retourna doucement vers sa fille et s'approcha d'elle.
- Oui Deborah, lui dit-elle d'une voix douce.
- J'ai peur...
Mélanie s'assit au pied de son lit et lui demanda calmement les yeux remplis de tendresse.
- De quoi ma chérie ?
- De la nuit, lui annonça Deborah la voix pleine d'inquiétude.
Les yeux de Mélanie se remplirent aussitôt de tristesse, une tristesse aussi profonde que les souvenirs qu'elle renfermait. Mélanie s'allongea à côté de Deborah et la pris dans ses bras.
- Tu n'as rien à craindre, lui murmura-t-elle, la nuit n'est pas dangereuse.
- Et si elle me mange ! s'écria Deborah en se redressant sur son lit.
Mélanie regarda un instant les yeux de sa fille remplis de peur, et se souvint de tout. Des sanglots au milieu de la nuit, des cris tranchants comme des éclairs le silence de la maison. Elle se revoyait 20 ans plus tôt, dans sa chambre, dans son lit, les larmes coulants à toute vitesse sur ses joues, la respiration entrecoupée par de douloureux spasmes et le cœur, le cœur manquant à chaque battement d'éclater.
Cette peur, elle croyait l'avoir tué, enterré au plus profond d'elle-même. Elle croyait l'avoir oublié, s'interdisant à tout prix d'y penser.
Mais c'était trop tard, Deborah l'avait déjà ressuscité, déterré. Cette terreur absurde avait traversé une génération et maintenant sa fille la partageait à son tour. Un sentiment de culpabilité gagnait peu à peu Mélanie au fur et à mesure que ses souvenirs revenaient en mémoire.
- Maman ?
La voix de Deborah résonna en Mélanie comme un lointain écho. Elle avait comme la tête sous l'eau, se sentant couler doucement dans les abysses de ses souvenirs.
- Maman !
Cette fois, Mélanie releva la tête, et regarda Deborah.
- Désolé ma chérie, dit-elle en se relevant doucement, déboussolée, j'étais comme perdue dans mes pensées.
Deborah observa sa mère, soucieuse.
- Tu sais, reprit Mélanie, quand j'étais petite je connaissais une petite fille d'environ ton âge à qui elle aussi, la nuit faisait très peur.
- C'est vrai ? demanda Deborah. 
- Oui, acquiesça Mélanie, chaque soir, lorsque la nuit arrivait, elle fermait tous les volets de la maison et allumait toutes les lumières dans l'espoir de la tenir à distance. Pour la petite fille, la nuit regorgeait de montres, de peur, de solitude, de froid... Et elle refusait de se laisser sombrer dans le sommeil que cette horrible nuit apportait avec elle. Pour la petite fille, s'endormir c'était comme couler doucement dans les eaux sombres de la nuit jusqu'aux rives de l'aube. Elle ne voulait pas s'endormir, elle ne voulait pas couler. Elle lutait contre son sommeil jusqu'à tomber de fatigue. A ces mots, Mélanie marqua une pause, sa voix tremblait. Elle respira profondément et repris. Mélanie regarda un instant Deborah et lui pris la main avant de continuer son histoire, alors sa mère, tous les soirs lui tenait la main, et essayait de la calmer. Pour la petite fille, cette main était comme un phare dans l'obscurité, une bouée de sauvetage pour l'empêcher de se noyer, que la petite fille tenait fort. Cette main, comme si tout ce qu'il y avait de plus précieux sur Terre s'était niché en son creux, dans ses doigts, et que la petite fille refusait de laisser partir. Elle s'accrochait à la main, comme un mourant s'accroche à la vie. Sa mère, voyant avec tristesse la terreur que sa fille ressentait pour des choses aussi simples et inoffensives que sont la nuit et le sommeil, lui racontait chaque soir combien la nuit était belle. « Tu sais, lui disait-elle, la nuit n'est pas dangereuse. » Elle racontait à la petite fille que la nuit abritait des choses merveilleuses, qu'elle n'était pas seulement faite de cauchemars, d'obscurité et de monstres. Mais aussi de magnifiques rêves. 
A ces mots, Deborah se détendit, elle paraissait plus sereine, calme. Mélanie continua d'une voix douce et rassurante, la petite fille imaginait les rêves comme d'immenses papillons dorés, ils avaient de si longues ailes, qu'ils éclairaient la nuit d'une lueur tendre et chaleureuse. Les dormeurs, montaient alors sur le dos des papillons et exploraient la nuit jusqu'à l'aube, où les papillons déposaient les rêveurs dans leur lit et partaient pour revenir la nuit tombée. Peu à peu, la petite fille avait moins peur de la nuit, sa mère, tous les soirs lui répétant qu'elle n'avait rien à craindre, que la nuit n'était pas mauvaise. « Tu sais, la nuit apporte les rêves, et ces rêves au petit matin, ont à chaque fois une chance de se réaliser. Sans rêves, la vie serait encore plus sombre que la nuit. » lui disait sa mère. Et puis, il y avait les étoiles, ces perles de feu qui brillaient dans la nuit. Ces perles de feu qui guidaient les pêcheurs à travers les flots de la nuit. Ces perles de feu, la petite fille en les regardant se sentait moins seule, elle se disait que ces perles de feu avaient traversé des millions de kilomètres rien que pour l'éclairer.     
- J'ai compris ! s'écria Deborah, sans la nuit, les petites perles de feu ne pourraient pas exister, ni les papillons dorés ou encore la lune ! Maman, peut-être qu'au final la nuit n'est pas méchante. Peut-être, que sans elle, des milliers de pêcheurs se seraient perdus sans les petites perles de feu et que les papillons dorés ne seraient pas venus. Moi aussi, je veux voyager avec eux ! dit Deborah. Mélanie sourit, tu vois, je t'avais bien dit que la nuit n'était pas méchante, lui dit-elle en l'embrassant dur le front. Puis, Mélanie se leva et se dirigea vers la porte.
- Maman ?
- Oui, ma chérie ?
- La petite fille, demanda prudemment Deborah, c'était toi ?
Mélanie acquiesça lentement. Ses yeux se remplirent de larmes, qui finirent par couler le long de ses joues.
- Ne pleure plus maman, dit doucement Deborah, vient t'allonger avec moi. Mélanie sourit et alla s'allonger près de sa fille. Deborah lui pris la main et lui dis en chuchotant, comme ça les papillons dorés nous emmènerons toutes les deux et nous voyagerons ensemble à travers les eaux sombres de la nuit.
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