La nuit des chouettes

En ce soir de novembre, je marchais calmement dans la rue. Il faisait nuit, et je devais vite rentrer chez moi. Un grand nombre de chouettes commençaient à hululer bruyamment. Je pensais que je n'en avais jamais autant entendues et cela me fit peur, mais je continuais de marcher. Cependant, ces chouettes ne voulaient pas s'arrêter, elles continuaient, continuaient. Et, là, une magnifique chouette au plumage blanc se posa sur mon épaule. Je sursautai de surprise par ce contact doux inattendu. La chouette majestueuse recommença à hululer fortement. C'est alors qu'une seconde chouette, prestigieuse, de loin plus grande que moi, atterrit délicatement sur le sol. Je ne sais pas si j'aurais dû partir en courant en voyant ça, mais je décidai de rester. Je baissai légèrement la tête devant la Prestigieuse dans l'espoir qu'elle comprenne que je la respectais. En voyant cela, elle inclina la tête à son tour. Alors, je m'approchai d'elle et la touchai doucement. Elle tourna la tête en direction de son dos, et je compris qu'elle voulait que je monte sur elle. Alors je grimpai sur ses plumes dorsales, la Majestueuse toujours sur mon épaule, et la Prestigieuse s'envola.
            Cette sensation d'envol m'était complétement étrangère. Il faut dire que je n'avais jamais volé sur une chouette géante ! Mais c'était agréable de sentir le vent contre soi, de regarder les personnes en train de rentrer chez elles, de monter haut, très haut dans le ciel, si bien que je dépassais vite les grands immeubles de la ville. C'était un spectacle splendide de voir toutes les lumières jaunes des maisons et des lampadaires. La chouette volait très haut, mais soudainement, elle fit une descente en piqué d'environ trente mètres en quelques secondes. Ceci me fit un haut-le-cœur et je crus un instant que j'allais m'écraser sur le sol. Néanmoins, quelques instants seulement après, un avion passa au-dessus de nos têtes. Heureusement que la Prestigieuse l'avait vu ! Je lui caressai la tête pour la remercier et elle repartit mais sans remonter aussi haut. La chouette m'emmena vers le sud et au bout d'environ une heure nous arrivâmes à un splendide lac argenté entouré de collines. Arrivées là, elle redescendit et me posa sur le sol. Je sautai de son dos et regardai autour de moi. Il y avait là quelque chose de surnaturel. Des centaines de chouettes de toutes les couleurs étaient autour de ce lac, mais elles étaient de taille normale contrairement à la Prestigieuse. Cette dernière se mit au centre des autres oiseaux et hulula de façon aigüe. Les autres lui répondirent ensemble gravement en baissant la tête. Il ne m'en fallut pas plus pour confirmer ce que je supposais, c'est-à-dire, que celle que je nommais la Prestigieuse était en fait la cheffe des autres chouettes et que la Majestueuse devait être aussi quelqu'un de noble, même si moins importante que la première. La cheffe illumina alors son plumage d'une teinte dorée, puis la Majestueuse éclaira ses plumes en argenté. Les autres chouettes, de gauche à droite, mirent elles aussi en lumière leur plumage, et le lac fit de même, laissant échapper une poussière d'étoile dans son fond. C'est alors que les plumes de la Prestigieuses prirent une teinte turquoise très apaisante et qu'une cinquantaine de chouettes s'envolèrent. La cheffe me fit monter sur son dos et repartit dans son envol, suivant de près le premier groupe. Derrière nous, toutes les autres chouettes s'étaient envolées et le lac s'était éteint. Le trajet dura encore longtemps. La plupart des oiseaux redescendaient vers le sol, chacun leur tour, si bien qu'au bout d'un moment il ne restait plus que moi, la Majestueuse et la Prestigieuse. 
Nous fîmes demi-tour et nous revînmes au lac qui était de nouveau illuminé. Mais cette fois la Prestigieuse ne me posa pas. Elle m'emmena au-dessus de l'étendue d'eau et plongea dedans. L'eau était gelée et n'étant pas prévenue, j'avais gardé la bouche légèrement entrouverte et était en train de m'étouffer. Je ne sais pas si elle le sentit mais elle remonta à la surface pour me permettre de reprendre mon souffle, ce qui me fit le plus grand bien. La prestigieuse replongea presque instantanément dans l'eau. Elle alla très profond jusqu'à arriver dans un trou béant où elle s'enfonça. J'avais peur de manquer d'air, ce qui d'ailleurs n'allait pas tarder à arriver. Mais la chouette tourna à droite puis remonta et je me retrouvai sur une roche agréablement chaude, un ciel étoilé au-dessus de ma tête. La Majestueuse et la Prestigieuse se mirent à côté de moi et se mirent à hululer, ce qui ressemblait à un chant fabuleux. Je me reposai quelques instants. J'avais une très grande envie de m'allonger sur la pierre et de me rendormir. Mais je savais qu'avant ça, il fallait que je rentre chez moi et vite. Je ne savais pas quelle heure il était, mais le ciel commença à rosir. On devait être à l'aube. Alors je m'approchai de la Prestigieuse et lui montrai le ciel pour lui faire comprendre que je devais rentrer rapidement. Je pensais qu'elle l'avait compris puisqu'elle me fit monter sur son dos et s'envola dans un ciel encore plus beau que précédemment. Mais, envahie par la fatigue, je m'endormis sur elle. 
Ce ne fut qu'un certain temps plus tard que je me réveillai sur le sol en pleine rue, là où j'avais croisé les deux chouettes. Je crus alors que tout ce qui s'était passé n'était en fait qu'un rêve merveilleux, que cette nuit à voler dans les airs et sous l'eau n'avait été que le fruit de mon imagination, mais je trouvai sur le sol deux plumes. Deux plumes blanches, l'une de taille normale et l'autre d'une taille énorme. J'étais persuadée que c'étaient les plumes de la Prestigieuse et de la Majestueuse. Je les mis dans ma veste et partis en direction chez moi en espérant très fort qu'elles reviendraient l'année prochaine.
 
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