La Nuit

An 2097. Le réchauffement climatique a rendu la surface de la Terre inhabitable. Les occupants de toute la planète ont été obligés de fuir. Mais par manque de sécurité et de temps, la voie spatiale fut écartée. Alors, les gens par milliards se sont enfoncés dans les entrailles de la terre, empruntant les tunnels creusés par des hommes aidés de machines. Ils sont descendus, profondément, pour échapper aux rayons destructeurs du soleil, emportant avec eux matériaux de construction, objets personnels et appareils électriques. Ils bâtirent nombres de cités souterraines, cultivant des plantes à l'aide de la lumière artificielle et accueillant dans des zoos tous les animaux survivants qu'ils purent trouver. Après ce que les historiens appelèrent le Grand Exil, la vie reprit plus ou moins un cours normal, et les humains s'adaptèrent assez vite à cet univers inconnu. Cependant, une facette du monde demeurerait changée à jamais : la surface étant interdite d'accès, la plupart des humains ne reverraient plus jamais le soleil. La lumière naturelle, pour eux, n'était plus qu'un souvenir. La nuit fraiche régnait en maitresse absolue dans ce nouveau monde. C'était dans la ville d'Under Town, située dans une caverne creusée, soixante ans après le Grand Exil, que vivait Séléna. C'était une jeune fille pétillante, dotée d'une chevelure noire de jais, d'une peau basanée et de beaux yeux noisette. Aujourd'hui, comme chaque soir, Séléna était perchée à sa fenêtre, agrippée fiévreusement à son petit télescope, observant avec fascination toutes les particules flottant dans la grotte et les champignons bioluminescents, qui étaient les seules choses dans l'obscurité à émettre leur propre lueur, pure et non fabriquée par des humains. Ces petits points lumineux dansant dans l'airs étaient pour Séléna très semblables à la description des étoiles faite par ses professeurs. Selon eux, avant, des télescopes surpuissants pouvaient percer les mystères de l'univers et même dévoiler d'autres planètes aux humains. C'était peut-être le seul aspect de la surface que Séléna aurait aimé voir. Car la jeune fille était née bien après le Grand Exil, et avait vécu toute sa vie dans l'obscurité, ne regrettant donc pas le soleil. Pour elle, les ténèbres étaient réconfortantes. Elle s'y sentait à sa place, ses soucis semblaient disparaitre lorsqu'il faisait sombre. La nuit, c'était son élément. Perdue dans la contemplation du paysage nocturne, Séléna reléguait tout ce qui se trouvait autour d'elle en arrière-plan. Voilà pourquoi elle ne se rendit compte qu'une violente dispute avait éclaté au rez-de-chaussée que lorsqu'elle décolla son œil de la lentille d'observation. Elle sursauta. C'étaient sa sœur et sa tante qui se querellaient. La sœur de Séléna, Maya, aurait pu être sa jumelle si ses yeux n'avaient pas été aussi bleus et si elles n'avaient pas eu un an d'écart. Elles étaient très proches toutes les deux, et s'étaient réconfortées mutuellement lorsque leur mère était morte, les laissant à la merci de leur tante Cassandre, une femme sèche et hautaine qui ne les aimait pas. Maya se révoltait souvent contre les manières dures de leur tante, et la plupart de leurs discussions se terminaient en joute verbale. Mais ce soir, c'était différent. Leur ton était étrange, comme si autre chose perçait sous la colère. Séléna détestait hausser la voix, elle resta donc dans sa chambre en attendant la fin de l'orage. Soudain, la porte claqua. Un mauvais pressentiment poussa Séléna à descendre.

- Tante Cassandre ? Hasarda -t-elle en voyant sa tutrice affalée sur une chaise, la mine défaite. Que s'est-il passé ?

- Rien. Siffla Cassandre entre ses dents. Tu es trop jeune pour comprendre.

Séléna insista. Elle finit par lui tirer la vérité, et se figea en l'écoutant.

- Nous nous disputions à propos des sottes idées de ta sœur, comme d'habitude, et le ton montait. Nous avons fini par aborder le sujet de la disparition de vos parents, elle m'a mise hors de moi... j'ai fini par dire que je pensais que votre père n'était pas mort, mais qu'il était à la surface, travaillant sur un projet dont il m'avait parlé, qui pourrait nous permettre de vivre là-haut à nouveau.

- Quoi ! Non, impossible... souffla Séléna.

- Je crois que ta sœur s'est mise en tête de retrouver votre père.

Après avoir rassemblé des affaires dans un sac, Séléna, sans un regard pour sa tante, sortit de la maison et s'enfonça dans la nuit. Sa sœur n'avait tout de même pas osé braver les interdits pour aller à la surface ? Mais elle savait que si c'était pour retrouver son père, Maya en était capable. Elle devait l'en empêcher. Après une heure de marche, elle se retrouva devant l'unique ascenseur de la ville pouvant accéder à la surface. Seul un petit groupe de personne pouvait y accéder pour des travaux dangereux. Séléna se glissa sous la barrière, louant le gardien qui avait décidé de faire une sieste à ce moment-là. Elle enfila une combinaison rafraichissante et sauta dans l'ascenseur. S'il était déjà redescendu, cela voulait dire que Maya était en haut. L'ascenseur se mit en route dès que Séléna fut à l'intérieur. La montée lui parut interminable et lorsqu'elle arriva, elle tenta de chasser la peur qui grondait en elle. La paroi de métal était son seul rempart contre l'extérieur. Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent. La lumière crue et ardente lui vrilla aussitôt le crâne, la pliant en deux. Et cette chaleur, qui la brûlait même à travers le tissu spécial ! Lorsqu'elle put ouvrir les yeux, elle resta bouche bée. Elle se trouvait dans un village désert. La terre était craquelée, desséchée, les arbres nus et calcinés, et des colonnes de fumée noire montaient de l'horizon.

- Maya ! appela Séléna.

Où était-elle donc ? Elle s'appuya contre le mur d'une grange... et soudain, ce fut le chaos. Le bâtiment s'effondra, projetant Séléna à terre. Sa dernière pensée fut pour sa sœur, puis elle sombra dans la nuit qu'elle chérissait tant, sauvée à nouveau de la réalité par les ténèbres...

 

 

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