La nuit

Sarah Joubin

L'odeur de la terre, les flammes, le bruit des obus qui explosent sur le sol, tout ce brouhaha me rappelle cette tragique, mystérieuse et sombre nuit quand la guerre a commencé. Tient vint le temps d'écrire une lettre à ma famille :
"Cette nuit, cette obscure nuit, sûrement ma dernière, sans plus jamais vous voir. Sachez que même dans l'au-delà, vous resterez dans mon cœur pour toujours."
Un peu plus tard dans la nuit, je me surprends à réfléchir au fait de m'enfuir pour ma famille ou mourir pour mon pays. Ces deux questions me tourmentaient, me broyaient le cerveau. Après quelque temps de réflexion, je décide de m'enfuir pour mes proches. Je pensais que la nuit allait m'aider, comment ? Dans les moments de pénombre, on imagine plus facilement ce qu'on désire et tout paraît plus accessible.
 
J'entends une voix, je me retourne, c'était la majestueuse lune tout de blanc vêtu : "Bonjour madame la lune !" dis-je d'une voix plus forte que ce que j'aurais souhaité. Cette charmante et brillante lune ne me répondit point, peut-être qu'il s'agissait juste d'une hallucination. Je repris mon chemin, motivé à sortir de ces tranchées boueuses ; une fois extirpé de ces lieux terribles, je sens comme un air de liberté. Mais malheureusement, il ne fallait pas se réjouir trop rapidement car le camp ennemi pouvait tirer à tout moment. Finalement, l'expression "la nuit porte conseil" commence à se vérifier en ce qui me concerne. J'avais probablement pris la bonne décision, celle de sauver ma vie pour retrouver les miens, plutôt que de la sacrifier. Oui, de la sacrifier et au nom de qui ? De quoi ? Jamais je n'aurais cru pouvoir le tenter. Maintenant, arrêtons de tergiverser ; il me restait encore mille épreuves à franchir, je devais encore contourner la vigilance du gardien et ça c'était très compliqué. 
 
Je pris mon courage à deux mains, je saisis une de mes chaussures, devenue très humide sans doute avec le temps, et je la lançai sur la tête de cet homme statique pour l'assommer. Ouf, cible touchée ! C'était une première pour moi qui n'avais jamais réussi à attaquer une seule fois le camp ennemi. Il faut que j'y aille maintenant. Cela faisait trois heures que je marchais. J'avais beau adorer la nuit, cependant, en pleine forêt seul dans l'obscurité, c'était assez effrayant. Le craquement des branches sous mes pieds, sans oublier les hiboux qui hurlent sans cesse, ne pouvait pas me rassurer pleinement ; à ce moment, je ne savais pas pourquoi, mais j'eu comme une intuition, comme si quelqu'un me suivait et cherchait à m'effleurer. Oh non ! C'était la pluie ! Tout cela me faisait sourire. J'ai bien survécu à la guerre, ce n'était quand même pas une averse qui allait m'empêcher d'aller jusqu'au bout de ma fuite. Au bout d'un moment, épuisé, je décidais enfin de faire une pause. Tiens si j'écrivais un poème. Je pris ma plume et laissai mes pensées s'allonger sur une feuille jaunie, qui avec moi avait traversé toutes ces épreuves.
 
"Oh toi, mystérieuse nuit,
Nuit noire, nuit blanche,
Je ne t'oublierai jamais,
Puis toi, la lune tout de blanc vêtu,
Tu te ventes la nuit et te tais le jour,
La nuit abondante et incontrôlable tu es.
Michel le 7 septembre 1939"
 
Je finissais par être rattrapé par la fatigue physique et mentale. Je pensais encore à la tête de mes parents quand ils ont appris que je partais à la guerre. Ma mère pleurait toutes les larmes de son corps, mon père essayait de camoufler ses émotions tant bien que mal. Pour me rassurer, je me disais que ce serait une très bonne expérience de vie ou une mauvaise page de mon existence et que peut-être que ma bonne étoile me permettrait de vivre dans un meilleur monde. Je me persuadais encore. Le problème, avec toutes ces idées idéalistes, c'est que mes parents devraient me cacher, me faire passer pour disparu de guerre donc me considérer comme mort. Sinon, je serais, au nom de la nation, un "DÉSERTEUR". Je serais la honte de notre belle nation. Maintenant que j'y pense, le sentiment de honte m'envahit. J'ai peur...
 
J'imagine les voisins proclamer : "Michel, dix-neuf ans, DÉSERTEUR, le plus grand déshonneur de notre pays. Je me sens mal, c'était cette nuit dramatique qui m'avait fait prendre cette décision de finir comme lâche, c'était elle la coupable, qui était une mauvaise conseillère. Je pensais à disparaître, à m'effacer de ce monde cruel pour ne pas avoir à subir ce supplice.
J'ai faim...
J'ai soif...
La nuit est longue...
 
Au loin, je finis par apercevoir une lueur. Peut-être ma maison ? Oui, c'est bien ça ? L'idée de retrouver la chaleur de mon foyer me réjouissait profondément. J'adorais cette nuit finalement. Elle finit par me porter conseil...
 
Quelques jours plus tard, les journaux de mon village exposaient en première page "Michel, le héros de notre village, disparu pour notre patrie." Oui, vous le devinez, je me suis éclipsé de cette existence.
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