La défunte

« Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extra-terrestre », pensait Janine. A 62 ans, sa mère hantait encore ses pensées. « Hantait » oui c'était le mot. En ce moment Janine est en train de vivre l'enterrement de sa mère : de sa défunte génitrice. Face aux lames qui coulent devant elle, Janine reste de marbre. Sa mère ne représente plus la figure maternelle qu'elle était depuis longtemps. Pleurer sa mort, pour Janine, est une chose improbable.
La mère de Janine ne faisait plus partie de sa vie. Ces deux femmes, que la vie a uni par les liens du sang, sont pour autant très différentes. Janine a toujours voulu aider les autres, être solidaire et croire en l'humain tandis que sa mère a toujours été égoïste et insipide. La génitrice de Janine l'avait élevée seule. Elle avait eu Janine avec un amant, et pour vivre, sa mère enchaînait les conquêtes. Janine est convaincue que sa mère est une « agasse-pissette », et en plus de cela, c'est une croqueuse de diamants. À 19 ans Janine a eu le courage de quitter sa mère et de faire sa vie. Aujourd'hui elle se retrouve devant son cercueil, ne pouvant s'empêcher de penser que sa mère la voyait comme une extra-terrestre sous prétexte qu'elles n'ont jamais eu la même vision de la Vie.
Derrière ses lunettes de soleil, Janine regagne sa voiture. Les funérailles sont terminées. Elle prend donc le volant, roulant vers le chemin qui l'éloignera le plus de cette femme aussi morte soit-elle. Seule dans sa voiture, Janine se mit à penser et réfléchir à haute voix, quand soudain, elle versa une larme, ne sachant quoi penser.

« Pardon maman, mais je ne comprends pas. Je ne comprendrai jamais. Je connais la femme que tu étais. Je déteste la mère que tu as été. Est-ce normal ? Je suis fille unique et tu n'as jamais été maternelle ! Pas un geste tendre s'est échappé de ta main pour me caresser les cheveux. Je n'ai jamais pu avoir de câlin de toi car tu étais trop occupée à câliner un autre amant chaque soir en lui prenant son argent. Et c'est seulement à 62 ans que je me rends compte que je ne t'ai jamais parlé. Je ne t'ai jamais dit ce que je ressens au plus profond de moi. Néanmoins, je ne ressens aucun regret d'avoir quitté ta vie. J'ai en tête que remord de ne pas avoir su te parler. Je ne sais même pas si toi tu as des regrets ou des remords. Je suis ta fille et pourtant je ne connais rien de toi. Mes souvenirs sont sombres et obscurcis par les mauvaises habitudes que tu m'as fait subir étant plus jeune. En y réfléchissant je ne sais pas si je dois être plus en colère contre toi ou moi. A ton enterrement qui a eu lieu il y a quelque minute j'étais la seule à ne pas avoir versé une seule minable larme. Et là dans ma voiture je me retrouve les yeux mouillés à ne savoir que faire et que penser de tout cela. Pourquoi réalise-je trop tard que la vie passe ? En 62 ans je ne t'ai jamais dit je t'aime. Est-ce que je t'aime ? Non, je te suis reconnaissante pour m'avoir mise au monde. Mais je t'aime car grâce à toi j'ai su éviter les gens tel que toi. Dois-je me sentir coupable pour ce que j'éprouve à ton égard ? j'ai été plus humaine envers des inconnus qu'avec ma propre mère. Peut-être qu'à mon jugement dernier cela jouera en ma défaveur. Mais à l'heure d'aujourd'hui que puis-je faire ? Il est déjà trop tard. Je n'ai pas vu le temps passer. Je suis trop préoccupée par l'idée de te fuir que par l'idée de te comprendre. J'ai renié ta vie pour profiter de la mienne. J'ai réalisé un acte égoïste pendant que j'essayais d'apprendre les grands principes de solidarité chaque jour. Toi qui ne me trouvais jamais comme il faut. Toujours à me juger sous prétexte que je ne te ressemblais pas. Mais c'est de ta faute maman ! C'est toi qui me rends extra-terrestre ! j'ai eu l'esprit engourdi toute ma vie. »

Janine gare sa voiture dans son garage et rentre se coucher. Elle ne trouve néanmoins pas le sommeil. Les événements de cette journée sont encore dans sa tête et l'empêchent de s'endormir. Elle repense à toute la souffrance qu'elle a vécue lorsqu'elle vivait encore avec sa mère. La réflexion que Janine s'apprête à avoir est un mélange de remords et de haine. Cela témoigne d'une douleur immuable tout au fond de son âme.
Janine s'interroge :
« Pourquoi t'ai-je appelé « Madeleine » et non plus « maman » ? Est-ce moi qui aie cessée d'être une petite fille à sa maman ? Surement. Nous étions tellement différentes. Toi, tu étais de nature extravertie, tu étais entourée d'ami de personnes qui t'admiraient. Tandis que moi j'ai toujours été dans l'ombre. Je me cachais derrière ceux qui avaient besoin d'aide. Mais aujourd'hui j'ai 62 ans, je suis à la retraite. Je n'ai plus personne à aider pour me cacher. Pour que tu t'intéresses à moi j'ai adopté un comportement qui est à l'opposé du tient dans l'espoir d'attirer l'attention comme toi tu y arrivais avec tes amis et quelques inconnus. Mais cela n'a pas marché. Malgré les efforts, je n'arrive pas à te pardonner. Je te déteste pour m'avoir donné une mauvaise image de la femme et une mauvaise image de mère. A dix-neuf ans j'ai quitté la maison sans un revoir. Je ne reflétais pas l'adolescente stéréotypée par la société. Je ne me suis jamais rebellée contre toi. J'ai fui. C'est l'une des meilleures décisions que j'ai prises. Il faut s'éloigner des personnes nocives même si ces personnes nous sont proches. Je suis bien contente que tu sois partie. Je le dis haut et fort. Je n'ai pas de regret. J'ai le remord de ne pas avoir eu meilleure mère. Heureusement j'ai été assez intelligente en ne reproduisant aucun de tes actes envers mes enfants. Eux ils ont grandi avec amour. L'amour, l'humilité et la solidarité ne sont pas des émotions « extra-terrestres » ; chose que tu n'as jamais su comprendre... »
Janine se tait et sombre dans un sommeil profond.
L'aube se lève. Janine se sent en meilleure forme. Une forme olympique, qu'elle n'a pas éprouvée depuis longtemps. Elle peut débuter sa retraite paisiblement. Sa mère n'est pas prête à revenir hanter ses pensées.