La Découverte australe par un homme volant

Victorin fut équipé à neuf, et à la mode ; on lui donna une petite somme d'argent, et quand tout fut prêt, on fixa le jour du départ. On était à la veille : mais Victorin ne s'était pas endormi. Comme sa province était le Dauphiné, le bourg de ***, sa patrie, ne se trouvait qu'à cinq ou six lieues du Mont-Inaccessible ; ainsi nommé, parce que cette montagne a la figure d'un pain de sucre renversé. Victorin prétextant une partie de chasse, était parti un matin avant-jour avec ses ailes, et des provisions pour la journée. Dès qu'il avait été dans la campagne, il s'était envolé vers le Mont-Inaccessible, et il y arriva à l'aurore naissante. Il trouva sur cette montagne, une esplanade très agréable, avec un petit filet d'eau, qui filtrait entre des rochers, et rentrait dans la terre presque aussitôt qu'il en était sorti. Une douce pelouse tapissait cet endroit charmant : du côté du nord, on voyait une caverne assez profonde, et du côté du midi, les bords escarpés du mont étaient garnis d'arbrisseaux, presque tous couverts des nids de mille oiseaux différents. Il y avait aussi quelques arbres sauvages, et entre autres un châtaignier. Un essaim d'abeilles bourdonnait autour d'un rocher exposé au midi, et fendu assez profondément pour loger ces utiles insectes. Victorin passa la journée dans ce joli endroit, où il eut la satisfaction d'apercevoir quelques chèvres sauvages. Lorsque la chaleur du jour fut à son plus haut degré, il parcourut son nouveau domaine, pour voir s'il ne recelait pas quelques bêtes venimeuses ; il trouva en effet deux ou trois couleuvres, qu'il tua. Ensuite il vola sur les rochers qui recouvraient la caverne, d'où il découvrit une autre esplanade, qui lui parut un lieu fort agréable pour l'été, à cause de sa fraîcheur et de l'ombre qu'y entretenaient les rochers. Il s'y abattit et le visita : il n'y trouva aucun reptile venimeux, mais beaucoup de tourterelles et de pigeons ramiers. Il y avait cinq à six petites sources, qui paraissaient produites par le cratère d'un volcan, tout rempli d'une glace qui ne se fondait qu'à peine dans les grandes chaleurs, attendu que le soleil ne pouvait y porter ses rayons ; ce cratère formait une glacière naturelle. Il but cette eau, et la trouva excellente. – Voici, dit-il en lui-même, mon palais d'été ; c'est ici que la belle Christine conservera les lis de son teint : l'autre esplanade sera mon séjour d'hiver, de printemps et d'automne.