L’APPEL DE LA NUIT

La voix murmura, encore une fois. La voix murmura inlassablement, comme chaque nuit, le même unique mot :
- Asra... Asra... Asra...
Et, comme chaque nuit, Asra se réveilla en sursaut. Comme chaque nuit, elle jeta un coup d'œil à son réveil, et comme chaque nuit, l'écran affichait toujours la même heure : 1h30 du matin. Elle poussa un soupir las. Depuis sa naissance, chaque nuit à 1h30, cette même voix mystérieuse la réveillait. Chaque nuit, elle avait ignoré cet appel irrésistible et peinait à se rendormir. Mais, contrairement aux autres nuits, Asra sentait que cette fois était la bonne. Elle allait enfin répondre à la voix qui la taraudait depuis toujours. Elle la laissa prendre les commandes. Elle savait ce qu'elle devait faire, où elle devait aller. Elle se leva, puis laissa ses pieds la guider. Ils la conduisirent hors de sa chambre, hors de sa maison, dans une petite clairière de son jardin éclairée par le clair de lune. Elle s'allongea dans l'herbe brûlée par l'écrasant soleil d'Août et laissa la brise fraîche caresser son visage. Pour la première fois de sa vie, elle se laissa complètement aller et s'abandonna à contempler le spectacle qui s'offrait à elle. Dans les abysses infinies, les étoiles formaient des milliers et des milliers de motifs tous plus intrigants les uns que les autres. Elles semblaient danser d'un même pas, chanter d'une même voix et jouer d'un même instrument, toutes guidées par une même cheffe d'orchestre. Cette cheffe d'orchestre était d'un blanc laiteux, semblait scintiller plus encore que les instrumentistes et éclairait le ciel pourtant ténébreux comme un gigantesque puits sans fond d'une lumière envoûtante qui se reflétait dans les yeux noirs d'Asra, créant une parfaite réplique de l'orchestre lumineux qui s'offrait à elle. C'est alors que la voix, qu'elle identifiait à présent comme le vent dans les arbres, au cri-cri des grillons et à tous les autres bruits de la nuit associés dans une parfaite symbiose, se mit à chanter à son oreille :
-    Lorsque le jour se meurt,
Les nuages se parent de couleurs, 
Avant que les ombres ne parsèment les cieux, 
Et le hibou sort d'un arbre creux.
Les lumières s'éteignent, 
Les ténèbres règnent,
Aucun bruit ne perce cette mystérieuse ambiance.
 
Une étoile apparaît près de l'astre lunaire,
Dans l'obscurité unique source de lumière.
Lorsque les enfants s'apaisent,
Les grillons se taisent, 
Les chauve-souris partent à la chasse, 
Et seul le hurlement d'un loup vorace 
Ose briser la grandeur du silence.

Suite à ces paroles, Asra disparut. Asra n'existait plus. Son corps appartenait au ciel, son âme à la lune et ses yeux aux étoiles. Qui était-elle vraiment ?
La voix chuchota et Asra l'entendit dans tout son corps vibrant d'émotion.
- Asra, il est à présent temps que je te laisse. J'ai accompli ma mission.
- Qui êtes-vous ? demanda Asra dans un souffle.
   La voix murmura ses dernières paroles avant de se taire à jamais.
- Je suis ton corps. Je suis ton cerveau. Je suis ton cœur. Je suis ta volonté. Je suis ton âme. Je suis toi. Je suis tout. Je suis rien. Je suis la nuit.
 
 
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