Bien que le jour en fût obscurci, la perspective n’était pas absolument effacée. Dans la vallée du Rhône, que nos voyageurs laissaient derrière eux, le fleuve courait à travers mille détours ; cette belle eau limpide leur montrait alors une teinte plombée d’une tristesse navrante. Au loin, bien haut au-dessus de la route, ils apercevaient les glaciers et les avalanches suspendues au-dessus des passages qu’ils allaient franchir. Sur la route s’ouvraient des précipices sans fond et mugissaient des torrents ; de tous côtés s’élevaient les pics gigantesques, et ce paysage immense que n’égayaient point les jeux de la lumière, où pas un rayon de soleil ne glissait, se déroulait distinctement devant les yeux des deux jeunes gens dans toute sa sublime horreur.
Le courage de deux hommes, seuls et sans défense, pourrait certainement faiblir un peu, s’ils avaient à se frayer une route pendant plusieurs milles et plusieurs heures au milieu d’une légion d’ennemis, silencieux et immobiles… ; des hommes comme eux les regardaient d’un œil fixe, le front menaçant ; la peur ne doit-elle pas les gagner d’une atteinte bien plus vive, si cette légion se compose des géants de la nature, si ce front sinistre est celui des pics et des montagnes, dont les menaces vont bientôt se changer en une redoutable fureur ?
Ils montaient. La route était plus âpre et plus escarpée ; mais la gaieté de Vendale devenait plus franche, à mesure qu’il voyait le chemin se dérouler derrière lui ; il regardait cet espace conquis et s’applaudissait de la résolution qu’il avait prise. Obenreizer continuait à parler fort peu ; il songeait au but poursuivi ! Tous deux agiles, patients, déterminés, avaient bien les qualités nécessaires à une expédition si aventureuse. Si Obenreizer, le montagnard, voyait dans le temps quelque présage de mort, il se gardait bien d’en faire part à son compagnon.
– Aurons-nous traversé la passe ce soir ?… demanda Vendale.
– Non, répliqua Obenreizer, vous voyez combien la neige est plus épaisse ici qu’elle ne l’était plus bas. Plus nous monterons, plus nous la trouverons compacte et profonde… Et puis les jours sont encore si courts ! Si nous pouvons arriver à la hauteur du cinquième Refuge et coucher cette nuit à l’Hospice, c’est que nous aurons bien marché.
– Est-ce qu’il n’y a point de danger que la tempête s’élève dans la nuit ? demanda Vendale, un peu ému.
– Nous sommes environnés de beaucoup de dangers, dit Obenreizer avec un air de prudente réserve, n’avez-vous pas entendu parler du Pont de Ganther ?
– Je l’ai traversé une fois.
– En été ?
– Oui, dans la saison des voyages.
– Ah ! dans la présente saison, c’est bien différent ! dit Obenreizer avec un ricanement étrange. Nous ne sommes pas dans un moment de l’année où vous autres gentlemen, qui voyagez pour votre agrément, vous puissiez en trouver autant que d’habitude. Vous ne connaissez pas grand’chose à ce que vous voyez.
– Vous êtes mon guide, répliqua Vendale avec bonne humeur, je me fie à vous.
– Oui, je suis votre guide, dit Obenreizer, d’un air sombre, et je veux vous guider au but de votre voyage. Tenez, voici le pont devant nous.
Ils avaient, tout en causant, fait le tour d’une ravine immense et désolée. La neige roulait en flots épais sous leurs pieds, la neige était suspendue au-dessus de leurs têtes. Obenreizer s’arrêta pour montrer le pont à Vendale, qu’il observait en même temps avec une terrible expression de haine.
– Si je vous avais fait passer en avant, lui dit-il, si j’avais négligé de vous avertir, et si vous aviez poussé seulement une exclamation de surprise, un seul cri, vous auriez ébranlé les masses de neige qui auraient pu vous blesser en tombant, qui vous auraient enseveli peut-être…
– Cela est vrai ? dit Vendale.
– Oh !… très-vrai… mais je suis votre guide et je dois veiller sur vous. Passons en silence. Une imprudence nous coûterait la vie. En avant !
Il y avait là une prodigieuse agglomération de neige ; d’énormes fantômes blancs se balançaient au-dessus du pont, les rochers formaient des saillies effrayantes, et nos voyageurs se frayaient le passage comme à travers les lourdes nuées d’un ciel d’orage. Obenreizer se servait de son bâton avec une adresse extrême, sondant le terrain à mesure qu’il avançait, regardant sans cesse en l’air, et le dos tendu comme s’il se garait de la seule idée d’une avalanche. Il marchait avec une grande lenteur, Vendale le suivait de près, et ils avaient déjà parcouru la moitié de ce chemin périlleux, quand ils éprouvèrent une secousse violente aussitôt suivie d’un coup de tonnerre.
Obenreizer se retourna, mit la main sur la bouche de Vendale, et lui montra le sentier qu’ils venaient de traverser. Il n’y en avait plus de trace. L’avalanche avait tout recouvert et roulait vers le torrent, au fond de l’abîme.
Le courage de deux hommes, seuls et sans défense, pourrait certainement faiblir un peu, s’ils avaient à se frayer une route pendant plusieurs milles et plusieurs heures au milieu d’une légion d’ennemis, silencieux et immobiles… ; des hommes comme eux les regardaient d’un œil fixe, le front menaçant ; la peur ne doit-elle pas les gagner d’une atteinte bien plus vive, si cette légion se compose des géants de la nature, si ce front sinistre est celui des pics et des montagnes, dont les menaces vont bientôt se changer en une redoutable fureur ?
Ils montaient. La route était plus âpre et plus escarpée ; mais la gaieté de Vendale devenait plus franche, à mesure qu’il voyait le chemin se dérouler derrière lui ; il regardait cet espace conquis et s’applaudissait de la résolution qu’il avait prise. Obenreizer continuait à parler fort peu ; il songeait au but poursuivi ! Tous deux agiles, patients, déterminés, avaient bien les qualités nécessaires à une expédition si aventureuse. Si Obenreizer, le montagnard, voyait dans le temps quelque présage de mort, il se gardait bien d’en faire part à son compagnon.
– Aurons-nous traversé la passe ce soir ?… demanda Vendale.
– Non, répliqua Obenreizer, vous voyez combien la neige est plus épaisse ici qu’elle ne l’était plus bas. Plus nous monterons, plus nous la trouverons compacte et profonde… Et puis les jours sont encore si courts ! Si nous pouvons arriver à la hauteur du cinquième Refuge et coucher cette nuit à l’Hospice, c’est que nous aurons bien marché.
– Est-ce qu’il n’y a point de danger que la tempête s’élève dans la nuit ? demanda Vendale, un peu ému.
– Nous sommes environnés de beaucoup de dangers, dit Obenreizer avec un air de prudente réserve, n’avez-vous pas entendu parler du Pont de Ganther ?
– Je l’ai traversé une fois.
– En été ?
– Oui, dans la saison des voyages.
– Ah ! dans la présente saison, c’est bien différent ! dit Obenreizer avec un ricanement étrange. Nous ne sommes pas dans un moment de l’année où vous autres gentlemen, qui voyagez pour votre agrément, vous puissiez en trouver autant que d’habitude. Vous ne connaissez pas grand’chose à ce que vous voyez.
– Vous êtes mon guide, répliqua Vendale avec bonne humeur, je me fie à vous.
– Oui, je suis votre guide, dit Obenreizer, d’un air sombre, et je veux vous guider au but de votre voyage. Tenez, voici le pont devant nous.
Ils avaient, tout en causant, fait le tour d’une ravine immense et désolée. La neige roulait en flots épais sous leurs pieds, la neige était suspendue au-dessus de leurs têtes. Obenreizer s’arrêta pour montrer le pont à Vendale, qu’il observait en même temps avec une terrible expression de haine.
– Si je vous avais fait passer en avant, lui dit-il, si j’avais négligé de vous avertir, et si vous aviez poussé seulement une exclamation de surprise, un seul cri, vous auriez ébranlé les masses de neige qui auraient pu vous blesser en tombant, qui vous auraient enseveli peut-être…
– Cela est vrai ? dit Vendale.
– Oh !… très-vrai… mais je suis votre guide et je dois veiller sur vous. Passons en silence. Une imprudence nous coûterait la vie. En avant !
Il y avait là une prodigieuse agglomération de neige ; d’énormes fantômes blancs se balançaient au-dessus du pont, les rochers formaient des saillies effrayantes, et nos voyageurs se frayaient le passage comme à travers les lourdes nuées d’un ciel d’orage. Obenreizer se servait de son bâton avec une adresse extrême, sondant le terrain à mesure qu’il avançait, regardant sans cesse en l’air, et le dos tendu comme s’il se garait de la seule idée d’une avalanche. Il marchait avec une grande lenteur, Vendale le suivait de près, et ils avaient déjà parcouru la moitié de ce chemin périlleux, quand ils éprouvèrent une secousse violente aussitôt suivie d’un coup de tonnerre.
Obenreizer se retourna, mit la main sur la bouche de Vendale, et lui montra le sentier qu’ils venaient de traverser. Il n’y en avait plus de trace. L’avalanche avait tout recouvert et roulait vers le torrent, au fond de l’abîme.