Jusqu'à ce que la mort nous réunisse

Moi, je suis différent. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais un extra-terrestre.

Ici, tout le monde a un père, une mère, une famille. Oui, tout le monde excepté un seul, un enfant, un jeune adolescent, un fils de réfugié.

Certes, ce dimanche soir, père aussi est mort, mort sans avoir conscience, mort dans son coma. Mon père aurait sans doute largement plus que cet âge qu'on le lui attribut dans ce registre de décès. Moi, abattu par cette nouvelle, je ne savais que faire. Je me suis vu emporté par une brise aussi légère que mélancolique au sein d'un trou noir. Mais il était absent le fait que je ne sois comme disparu, réduit au néant, pour ne pas dire ôter du monde ; pourtant je n'ai pu échapper à l'immense force qui effondra tous mes muscles.

Mon père est mort. Le soleil ne cesse de briller et la terre ne fait que tourner à chaque instant. Hélas ! La vie continue. Mais quelle vie ?

Le jeudi passé, a lieu son enterrement dans la plus grande discrétion et le manque de tant de personnes. Mais je ne me fie à cela. À vrai dire, j'ignore encore ce qui m'aurait réellement rendu tout ce temps durant le moral, sachant qu'avec mes amis j'ai gardé la tête haute, l'air confiant et les yeux clairs.

Notre Père qui est aux cieux, que ton Nom soit sanctifié... ne nous soumet pas à la tentation mais délivre-nous du mal. Amen !

Le prêtre, cet homme de Dieu, dans son aube, récita cette dernière prière en la mémoire de l'homme qui à jamais aura marqué mon enfance, mon adolescente et ma récente vie d'homme adulte. L'on a que ses yeux pour pleurer, moi je ne voulais pas de larmes, donc j'ai préféré saigner mon cœur de l'intérieur pour que nul n'est à voir dans mon visage de la tristesse, de la faiblesse, du désespoir, du deuil.

Je suis appelé à être père, moi qui viens de perdre mon père, celui-là même qui n'est autre que mon repère. Remplacer quelqu'un c'est difficile ; mais remplacer un visage, ça jamais. Un père ne peut être pair, il est unique. Que les cieux me lancent l'assaut final car je ne tiendrai plus pour longtemps. Et si le temps était tant, j'aimerais tant fuir ce temps.

Un an plus tôt, j'ai regardé le ciel et cette plage vide d'homme, ces deux voisins insensibles et stériles, se priver de répondre à mes messages, à mes prières. L'un était si loin qu'il me faudrait des années-lumière pour l'atteindre et l'autre immense que même quatre- vingt jours ne me feront pas quitter ce pays. Une seule chose hantait mon esprit " pourquoi moi ? ". Un an plus tôt, je n'avais aucune idée sur ce que laisse la mort après son passage. La mort qui tant de fois en a voulu à la vie, qui sans face ni corps mais aux couleurs noire, sombre, pâle a gagné méfiance dans les cœurs, m'a souri en ce mois d'Octobre. Elle avait les lèvres fermes et une teinture toute blanche sur ce qui restait du visage de...

La mer fut celle qui comptait encore à mes yeux. Quand je faisais sortir mes peines et mes peurs, elle seule pouvait les prendre et les faire éloigner de moi en m'apportant en retour de la fraicheur dans les pieds. Je me suis assis sur ce gros cailloux, loin de la maison, mais si proche de l'horizon où elle séjourne. J'ai eu le malheur de penser aussi infini que puisse paraitre l'avenir aux jours d'après celui-ci. Car l'évidence fait figure de manque d'une vie, d'une vie qui porte la vie, d'une vie qui donne la vie, d'une vie qui n'est plus. J'ai perdu le père de l'amour dont le cœur bat telles les mélodies de cantiques divins ; j'ai perdu la mère de toutes les émotions qui puisse exister ; j'ai perdu une créature extraordinaire dont Dieu lui-même appela Ezer, j'ai perdu une femme qui n'est autre que ma mère.

Un an plus tôt, ma mère est morte la première ou devrais-je dire morte en étant en travail, morte avec ma sœur. Elle a sombré ce jour-là au point de ne plus accorder une once de valeur à l'existence. Ses cris, ses gémissements et ses souffrances ne livraient qu'un message : jusqu'à quand ? Douleurs et mort ont bien eu raison d'elle. Ma mère s'est éteinte comme l'aurore d'une lampe qui éclaire l'étroitesse des couloirs d'un tunnel, elle s'est faite évaporer laissant tout ce qui a de plus physique, son corps. De femme gracieuse aux regards aimants, ma mère perdit sa voix sous cette croix qu'est l'enfantement, elle perdit cet air joyeux et ce caractère bleu ou marron que seuls ses yeux renvoyaient dans le cœur de mon père pour qu'avec elle, il décide de vivre l'éternité.

Ma mère m'a quitté sans un dernier mot, sans un sourire, sans un regard. Tant bien même le ciel demeure bleu, je ne perçus que du noir. Je suis croyant pourtant je ne pouvais y croire. Dites-moi plutôt que ma mère tardera à rentrer ce soir

Toujours occupé et jamais présent quand le besoin survint, je constate que mes parents, eux, n'ont guère manqué à s'occuper de moi. Je revenais à la maison à des heures inappropriées, tard dans la nuit, vingt-trois heures, minuit et plus quand tous se sont donner à la douceur du sommeil. Je suis un garçon, jeune et virile ; ce ne sont pas les hormones qui manquent à moi dans l'extase de l'existence. Toute ma vie a été externe, loin de la famille, loin de mon père, loin de ma mère. Si je n'ai aujourd'hui que ma voix pour s'exprimer, je compte bien évidemment avouer ce que dans la fierté ou l'amour de soi-même à entraver pour ceux qui, réunis par le destin m'ont eu comme fruit de leur union, ma plus grande lâcheté.

Moins je parlais à ma mère et pire mon père lui n'avait que mes salutations comme seule conversation que nous échangions jusqu'au jour où la mort s'empare du côté féminin de notre famille. Plus de la moitié de ma vie a été dehors dans la rue à chercher je ne sais quoi, de l'argent, du confort, le bonheur ou mon avenir ?

Mon père fut un étranger sur ces terres qui ont vues mes pieds fouillés chaque coin, chaque rue, les moindres points d'eau et hauteurs de ce paysage. Cependant à me voir, personne ne devinera que je ne suis pas chez moi et qu'en fin de compte je viens d'ailleurs, et d'où ; qui sais ?

Je ne connais pas mes origines ; d'où venait mon père et pourquoi a-t-il préféré vivre ici ? Mais une chose est sûre il est allé rejoindre sa maison, sa femme et sa fille dans l'au-delà après ces onze mois que j'ai passé auprès de lui. Et ces jours ont fait de moi un fils dont un père pouvait être fier. Rien que l'équivalent d'une année pour que je passe de voyou à un attentionné. On peut changer, on peut se réaliser, on peut décider mais peut-on prévoir ?

Ma mère avait raison sur moi, je suis un extra-terrestre. Bien qu'avant elle confondait ce terme du fait que je parte de la maison à ma guise sans le dire à quiconque, que je ne me soucie pas des autres car la seule chose qui prenait le devant n'est autre que ma propre personnalité et que je néglige mon devoir en tant que fils, aujourd'hui j'ai ma propre vision des choses. Je n'ai pas de père, je n'ai pas de mère, je suis un orphelin. Je n'ai plus de parent et encore moins une sœur, je n'ai pas de famille.

Serge, tu as tout compris autant pour moi que je les rejoigne au plus tôt car je n'ai plus aucun goût, plus aucune envie si ce n'est le désir de voir nous quatre réunis ; mon père, ma mère, ma sœur et moi comme une famille parmi tant d'autres.

Je ne veux plus être d'un autre monde, je veux quitter cette terre. Nous nous reverrons dans une autre vie.



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Jean me fixa des yeux une dernière fois. Il se confessa à moi car il est évident que ma voix n'a aucune portée et il ne voulait pas qu'on l'interrompe. Je suis son ami et je suis muet.

Il ouvrit la bouche et laisse pénétrer y quelques gouttes du liquide contenu dans le flacon en ses mains. Le temps d'avoir une image concrète de ce qu'il avait l'intention de faire, le voilà qui s'effondra à terre. Sans plus tarder, je courus chercher de l'aide...