Journal du voyage en Italie par la Suisse et l'Allemagne, en 1580 et 1581

Je passai la montée du Mont-Cenis moitié à cheval, moitié sur une chaise portée par quatre hommes, et d'autres qui les rafraîchissaient. Ils me portaient sur leurs épaules. La montée est de deux heures, pierreuse et mal aisée à chevaux qui n’y sont accoutumés, mais autrement sans hasard et difficulté car la montagne se haussant toujours en son épaisseur, vous n’y voyez nul précipice ni danger que de broncher. Sous vous, au-dessus du mont, il y a une plaine de deux lieues, plusieurs maisonnettes, lacs et fontaines, et la poste : point d’arbres, oui bien de l’herbe et des prés qui servent en la douce saison. Lors tout était couvert de neige. La descente est d’une lieue coupée et droite, où je me fis ramasser à mes même Marrons, et de tout leur service à huit, je donnai deux écus. Toutefois le seul ramasser ne coûte qu’un teston, c’est un pesant badinage, mais sans hasard aucun et sans grand esprit : nous dînâmes à Lanebourg, deux postes, qui est un village au pied de la montagne, où est la Savoie, et vînmes coucher à deux lieues, à un petit village. Partout là il y a force truites, et vins vieux et nouveaux excellents. De là nous vînmes, par un chemin montueux et pierreux, dîner à S. Michel, cinq lieues, village où est la poste. De là vînmes au gîte, bien tard et bien mouillé, à La Chambre, cinq lieues, petite Ville d’où tirent leur titre les Marquis de la Chambre. Le Vendredi, 3 de Novembre, vînmes dîner à Aiguebelle, quatre lieues, Bourg fermé, et au gîte à Montmellian, quatre lieues, Ville et Fort, lequel tient le dessus d’une petite croupe qui s’élève au milieu de la plaine entre ces hautes montagnes ; assise ladite Ville, au-dessous dudit Fort, sur la rivière d’Isère qui passe à Grenoble, à sept lieues dudit lieu. Je sentais là évidemment l’excellence des huiles d’Italie : car celle jusque-là commençait à me faire mal à l’estomac, là où les autres jamais ne me revenaint à la bouche. Vînmes dîner à Chamberi, deux lieues, Ville principale de Savoie, petite, belle et marchande, plantée entre les monts, mais en un lieu où ils se reculent fort et font une bien grande plaine. De là nous vînmes passer le Mont du Chat, haut, roide et pierreux, mais nullement dangereux ou mal aisé, au pied duquel se sied un grand lac, et le long de celui-ci un Château nommé Bordeau, où se font des épées de grand bruit ; et au gîte à Hyene, quatre lieues, petit Bourg. Le Dimanche matin nous passâmes le Rosne que nous avions à notre main droite, après avoir passé sur celui-ci un petit Fort que le Duc de Savoie y a bâti entre des rochers qui se serrent bien fort ; et le long de l’un d’eux il y a un petit chemin étroit au bout duquel est ledit Fort, non guère différent de Chiusa, que les Vénitiens ont planté au bout des montagnes du Tirol. De là continuant toujours le fond entre les montagnes, vînmes d’une traite à S. Rambert, sept lieues, petite ville au dit vallon. La plupart des Villes de Savoie ont un ruisseau qui les lave par le milieu ; et les deux cotés jusqu'au dit ruisseau où sont les rues, sont couverts de grands auvents, en manière que vous y êtes à couvert et à sec en tout temps ; il est vrai que les boutiques en sont plus obscures. Le Lundi six de Novembre, nous partîmes au matin de S. Rambert, auquel lieu le sieur Francesco Cenami, Banquier de Lyon, qui y était retiré pour la peste, m’envoya de son vin et son neveu, avec plusieurs très honnêtes compliments. Je partis de là Lundi bon matin, et après être enfin sorti tout à fait des montagnes, je commencça d’entrer aux plaines à la Française. Là je passai en bateau la rivière d’Ain, au pont de Chesai, et m’en vins d’une traite à Monloel, six lieues, petite Ville de grand passage appartenant à Monsieur de Savoie, et la dernière des siennes. Le Mardi après-dîner, je pris la poste et vins coucher Lyon, deux postes, trois lieues. La Ville me plut beaucoup à la voir.