Tu veux savoir, ami, si l'âge qui me presse,
En moi n'a pas éteint ce feu de ma jeunesse,
Ce feu sacré qui remplissait mon cœur ;
Ce feu dont m'embrasait sans cesse,
La vérité, la justice, l'honneur.
Non, je n'ai rien perdu de cette ivresse sainte :
Du temps elle brave l'atteinte ;
Par lui l'amour du bien ne peut être vaincu.
Jusqu à mon dernier jour, grands pensers, noble flamme,
De généreux transports vous remplirez mon âme ;
Je mourrai comme j'ai vécu !
Je mourrai comme j'ai vécu,
Bravant l'audace, l'injustice :
Loyale, n'ayant jamais su,
Ni m'élever par l'artifice,
Ni redouter un ennemi,
Ni dans un homme voir un maître,
Ni voir en paix briller le traître,
Ni douter du cœur de l'ami.
Jusqu'à mon dernier jour, beaux transports, noble flamme,
Oui, vous embraserez mon âme ;
Je mourrai comme j'ai vécu !
Je mourrai comme j'ai vécu,
Consacrant mes travaux, ma vie,
Ce feu qu en naissant j'ai reçu,
À combattre l'orgueil, l'envie :
À mettre au premier rang, partout,
Les droits et la noble pensée ;
Pour le bien toujours empressée,
Contre le mal toujours debout.
Jusqu'à mon dernier jour, beaux transports, noble flamme,
Oui, vous embraserez mon âme ;
Je mourrai comme j'ai vécu !
Je mourrai comme j'ai vécu,
Opposant l'amitié, l'étude,
Au malheur, à l'espoir déçu ;
Résignée à l'ingratitude :
Mais sentant, même en excusant
L'erreur, les faiblesses humaines,
Tout mon sang bouillir dans mes veines,
Au nom, à l'aspect du méchant.
Jusqu'à mon dernier jour, beaux transports, noble flamme,
Oui vous embraserez mon âme ;
Je mourrai comme j'ai vécu !
Je mourrai comme j'ai vécu,
Dans le palais, dans la chaumière,
Plaignant le faible, le vaincu,
M'indignant contre l'arbitraire ;
Cherchant, même au sein des honneurs,
Dont le hasard dota ma vie,
Un éclat plus digne d'envie ;
D'autres plaisirs, d'autres grandeurs.
Jusqu'à mon dernier jour, beaux transports, noble flamme,
Oui, vous embraserez mon âme ;
Je mourrai comme j'ai vécu !
Je mourrai comme j'ai vécu,
Simple mais juste, devant croire
Que femmes nous avons reçu
Ce qui des hommes fait la gloire,
Le talent ; offrant mon encens
Comme eux aux Filles de Mémoire,
Et me riant dans la victoire
De leurs jaloux emportements.
Jusqu'à mon dernier jour, beaux transports, noble flamme,
Oui vous embraserez mon âme ;
Je mourrai comme j'ai vécu !
Je mourrai comme j'ai vécu,
Tranquille, en paix avec moi-même.
Sans la comprendre ayant conçu
La grandeur d'un être suprême ;
Et me disant : De mes destins
Par lui la route fut tracée
Esprit, matière, âme, pensée,
Je remets tout entre ses mains.
Tu le vois, ami, cette flamme
Qui m'enivrait dans mes beaux jours,
N'est pas éteinte dans mon âme ;
Elle l'embrasera toujours.
Oui, je le sens, par les efforts de l'âge,
Par le temps, ce noble courage
En moi ne sera pas vaincu ;
Je pourrai dire encore à mon heure dernière :
Je vois la fin de ma carrière,
Mais Je meurs comme j'ai vécu !