Jacques

Jacques était déjà levé depuis longtemps ; assis auprès de mon lit, comme la veille, il me regardait dormir, et vraiment je ne sus pas d'abord s'il s'était passé une nuit ou un quart d'heure depuis le dernier baiser qu'il m'avait donné. « Ah ! mon Dieu ! quel bon lit ! m'écriai-je ; je veux me lever bien vite, et voir ce beau château où l'on dort si bien. Quel temps fait-il, Jacques ? Tes fleurs sentent-elles aussi bon ce matin qu'hier soir ? » Il m'enveloppa dans mon couvre-pied de satin blanc et rose et me porta auprès de la fenêtre. Je jetai un cri de joie et d'admiration à la vue du sublime aspect déployé sous mes yeux. « Aimes-tu ce pays ? me dit Jacques. Si tu le trouves trop sauvage, j'y ferai bâtir des maisons ; mais quant à moi, j'aime tant les lieux déserts, que j'ai acheté cinq ou six petites propriétés éparses çà et là, afin d'enlever de ce point de vue les habitations qui, pour moi, le déparaient. Si tu n'es pas du même goût, rien ne sera plus facile que de semer cette vallée de maisonnettes et de jardins ; je ne manquerai pas, pour la peupler, de familles pauvres, qui y feront prospérer leurs affaires et les nôtres. – Non, non, lui dis-je, tu es assez riche pour secourir tes goûts et les miens. Cet aspect sauvage et romantique me plaît à la folie ; ces grands bois sombres semblent n'avoir jamais plié leur libre végétation à la culture ; ces prairies immenses doivent ressembler à des savanes ; cette petite rivière, avec son cours désordonné, vaut mieux qu'un beau fleuve. Ah ! ne changeons rien aux lieux que tu aimes. Comment aurais-je d'autres goûts que les tiens ? Crois-tu donc que j'aie des yeux à moi ? » Il me pressa sur son cœur en s'écriant : « oh ! premier temps de l'amour ! oh ! délices du ciel ! puissiez-vous finir jamais ! »

Il m'a fallu plus de huit jours pour voir toutes les beautés de cette maison et des alentours. Cette terre a appartenu à la mère de Jacques ; c'est là qu'il a passé ses premières années, et c'est son séjour de prédilection. Il a un pieux respect pour les souvenirs que ce lieu lui retrace, et il me remercie tendrement de partager ce respect, et de ne désirer aucun changement ni dans les choses ni dans les gens dont il est entouré. Bon Jacques ! quel monstre stupide il faudrait être pour lui demander de pareils sacrifices !