"Moi je suis différent. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais un extra-terrestre.", me dit mon dernier client de la journée.
Un peu surprise, je relève le nez de mes notes, et le dévisage. Je dois même ajuster mes lunettes, qui avaient glissé délicatement. Quelle histoire rocambolesque vient-il de me raconter.
"Vous êtes heureux ?", le questionnais-je, désemparée.
Toujours allongé de tout son long sur le grand canapé de velours, il répondit presque instantanément, avec un sourire dans la voix.
"Évidemment."
Il se passa encore quelques minutes de récits tous plus improbables les uns que les autres, avant que je n'accompagne mon tout nouveau patient à la porte. Une fois claquée, je m'effondre au sol. Il est heureux ? J'enfouis mes mains dans mon visage, le temps de réfléchir. Elles semblent être un peu moites, probablement à cause du catalogue d'émotions par lequel je suis passée pendant cette séance. Puis je me lève, titubante, et marchant tant bien que mal jusqu'à la bibliothèque bien fournie de mon bureau. Il y aurait forcément un recueil parlant de ce phénomène sur une des nombreuses étagères organisées par ordre alphabétique. Dépoussiérant un ouvrage, je commence quelque chose pouvant se rapprocher à un périple, feuilletant religieusement chacun des écrits, tous rédigés par des grands noms de la psychanalyse et de la psychologie. Je n'ai pas quitté mon fauteuil en cuir avant plusieurs heures.
Je ne le reverrai pas avant deux jours. Cela me laissait un peu de temps afin de réfléchir à ce qu'il s'était passé pendant cette séance. Mais je ne pouvais m'empêcher de penser à ce client. Au milieu de la nuit, alors que je relevais la tête d'un livre traitant de la philosophie eudémoniste, je décide de rentrer chez moi. Je me lève péniblement du fauteuil, devenu inconfortable après quelques heures avachies dedans, je rassemble mes affaires et ferme la porte à double tour, après avoir réajusté mes lunettes qui ne cessent de glisser. Il faudrait sérieusement penser à les faire resserrer.
Le lendemain, les clients s'enchainèrent. La journée est passée rapidement, trop rapidement. Tous les jours se succèdent de la même manière. Sauf que depuis hier j'ai toujours cet étrange client en tête. On avait toujours un rendez-vous prévu demain, mais il ne semblait pas en avoir demandé d'autres. Pendant la pause, devant mon tupperware contenant une sorte de bouillie végane industrielle trop chaude à l'extérieur mais encore froide à l'intérieur, je ressors le dossier de son écrin de papier crème, ne pouvant me sortir son récit de la tête. J'ajuste mes lunettes. Fermé, ce dossier n'avait rien d'exceptionnel.
Trouver une personne vraiment heureuse était comme trouver un billet de 100 par terre. Infiniment rare. Les grandes tours grises ayant pris le dessus sur les pauvres petits brins d'herbe, au matin, on sortait d'un immeuble grisâtre, marchait dans une rue grisâtre pour travailler dans un autre immeuble grisâtre. Et inversement le soir. Les rayons du soleil eux-mêmes semblent sombres et monocordes, seules preuves des jours qui passent en ville.
Il n'y a évidemment personne qui m'attend à l'appartement lorsque je peux enfin partir du boulot. Un silence plat me souhaite la bienvenue à mon arrivée. Je croise mon propre regard dans le miroir. Un air hagard. Cela n'était pas dû à mon manque de sommeil, il s'agissait simplement de mon air habituel.
Le moment du rendez-vous avec mon nouveau client énigmatique est arrivé plus vite que prévu. J'avais tout de même mis quelques écrits de côté dans ma quête de réponses, mais rien d'aussi pertinent que je ne l'aurai voulu. Il arrivera enfin. Ouvrit la porte. Me regarda.
Puis, il quitta mon bureau. Sans un mot. Intriguée, je ne savais que faire de cette information. Malgré cela, la curiosité était plus forte que tout. Je commence alors à le suivre en silence. Après tout, quoi qu'il puisse arriver, je n'avais pas grand-chose à perdre, c'est mon dernier client de la journée.
Il paraissait aller juste assez rapidement pour que je puisse le suivre confortablement. Slalomant entre les gratte-ciels, le soleil baissant de plus en plus, je le suivais toujours.
Après plusieurs dizaines de minutes, mon corps commençait à fatiguer, mais mes jambes continuaient à porter ce dernier, et surtout à avancer. Puis, au détour d'un dernier immeuble, se trouva un champ, qui s'étalait à perte de vue. L'homme s'arrêta, et je vins m'arrêter à ses côtés.
Il y avait des arbres. Les derniers rayons de soleil caressaient les hautes herbes de fin d'été.
les feuilles tombaient comme des petites gouttes de pluie
et se transformaient rapidement en une fine boue une fois le sol atteint
le vent
les portait
le vent
nous portait
les couleurs étaient chatoyantes
tout semblait trop agressif
mais était en réalité si délicat
Tout était si soudain. Je m'efforçais à profiter et à analyser chacun des plus petits détails composant ce moment.
La chaleur était douce. Qui était cet homme ? Que sait-il que nous ne savons pas ? A-t-il des réponses ?
Je retire mes chaussures et plonge mes pieds dans la terre. Elle est chaude aussi, la terre. Je sens des petits insectes grouiller dans le sol. J'avais l'impression de m'être réveillée pour la première fois.
Lui ne bouge pas. Mais il m'observe. Il a vu que je lui avais fait confiance.
Toutes les règles du monde semblaient abolies. Comme une sorte de petits plaisirs simples qui forment un tout, d'entrées en résonance avec une force supérieure pendant un court instant."C'est ça le bonheur ?" lui demandais-je.
"Évidemment".
Un peu surprise, je relève le nez de mes notes, et le dévisage. Je dois même ajuster mes lunettes, qui avaient glissé délicatement. Quelle histoire rocambolesque vient-il de me raconter.
"Vous êtes heureux ?", le questionnais-je, désemparée.
Toujours allongé de tout son long sur le grand canapé de velours, il répondit presque instantanément, avec un sourire dans la voix.
"Évidemment."
Il se passa encore quelques minutes de récits tous plus improbables les uns que les autres, avant que je n'accompagne mon tout nouveau patient à la porte. Une fois claquée, je m'effondre au sol. Il est heureux ? J'enfouis mes mains dans mon visage, le temps de réfléchir. Elles semblent être un peu moites, probablement à cause du catalogue d'émotions par lequel je suis passée pendant cette séance. Puis je me lève, titubante, et marchant tant bien que mal jusqu'à la bibliothèque bien fournie de mon bureau. Il y aurait forcément un recueil parlant de ce phénomène sur une des nombreuses étagères organisées par ordre alphabétique. Dépoussiérant un ouvrage, je commence quelque chose pouvant se rapprocher à un périple, feuilletant religieusement chacun des écrits, tous rédigés par des grands noms de la psychanalyse et de la psychologie. Je n'ai pas quitté mon fauteuil en cuir avant plusieurs heures.
Je ne le reverrai pas avant deux jours. Cela me laissait un peu de temps afin de réfléchir à ce qu'il s'était passé pendant cette séance. Mais je ne pouvais m'empêcher de penser à ce client. Au milieu de la nuit, alors que je relevais la tête d'un livre traitant de la philosophie eudémoniste, je décide de rentrer chez moi. Je me lève péniblement du fauteuil, devenu inconfortable après quelques heures avachies dedans, je rassemble mes affaires et ferme la porte à double tour, après avoir réajusté mes lunettes qui ne cessent de glisser. Il faudrait sérieusement penser à les faire resserrer.
Le lendemain, les clients s'enchainèrent. La journée est passée rapidement, trop rapidement. Tous les jours se succèdent de la même manière. Sauf que depuis hier j'ai toujours cet étrange client en tête. On avait toujours un rendez-vous prévu demain, mais il ne semblait pas en avoir demandé d'autres. Pendant la pause, devant mon tupperware contenant une sorte de bouillie végane industrielle trop chaude à l'extérieur mais encore froide à l'intérieur, je ressors le dossier de son écrin de papier crème, ne pouvant me sortir son récit de la tête. J'ajuste mes lunettes. Fermé, ce dossier n'avait rien d'exceptionnel.
Trouver une personne vraiment heureuse était comme trouver un billet de 100 par terre. Infiniment rare. Les grandes tours grises ayant pris le dessus sur les pauvres petits brins d'herbe, au matin, on sortait d'un immeuble grisâtre, marchait dans une rue grisâtre pour travailler dans un autre immeuble grisâtre. Et inversement le soir. Les rayons du soleil eux-mêmes semblent sombres et monocordes, seules preuves des jours qui passent en ville.
Il n'y a évidemment personne qui m'attend à l'appartement lorsque je peux enfin partir du boulot. Un silence plat me souhaite la bienvenue à mon arrivée. Je croise mon propre regard dans le miroir. Un air hagard. Cela n'était pas dû à mon manque de sommeil, il s'agissait simplement de mon air habituel.
Le moment du rendez-vous avec mon nouveau client énigmatique est arrivé plus vite que prévu. J'avais tout de même mis quelques écrits de côté dans ma quête de réponses, mais rien d'aussi pertinent que je ne l'aurai voulu. Il arrivera enfin. Ouvrit la porte. Me regarda.
Puis, il quitta mon bureau. Sans un mot. Intriguée, je ne savais que faire de cette information. Malgré cela, la curiosité était plus forte que tout. Je commence alors à le suivre en silence. Après tout, quoi qu'il puisse arriver, je n'avais pas grand-chose à perdre, c'est mon dernier client de la journée.
Il paraissait aller juste assez rapidement pour que je puisse le suivre confortablement. Slalomant entre les gratte-ciels, le soleil baissant de plus en plus, je le suivais toujours.
Après plusieurs dizaines de minutes, mon corps commençait à fatiguer, mais mes jambes continuaient à porter ce dernier, et surtout à avancer. Puis, au détour d'un dernier immeuble, se trouva un champ, qui s'étalait à perte de vue. L'homme s'arrêta, et je vins m'arrêter à ses côtés.
Il y avait des arbres. Les derniers rayons de soleil caressaient les hautes herbes de fin d'été.
les feuilles tombaient comme des petites gouttes de pluie
et se transformaient rapidement en une fine boue une fois le sol atteint
le vent
les portait
le vent
nous portait
les couleurs étaient chatoyantes
tout semblait trop agressif
mais était en réalité si délicat
Tout était si soudain. Je m'efforçais à profiter et à analyser chacun des plus petits détails composant ce moment.
La chaleur était douce. Qui était cet homme ? Que sait-il que nous ne savons pas ? A-t-il des réponses ?
Je retire mes chaussures et plonge mes pieds dans la terre. Elle est chaude aussi, la terre. Je sens des petits insectes grouiller dans le sol. J'avais l'impression de m'être réveillée pour la première fois.
Lui ne bouge pas. Mais il m'observe. Il a vu que je lui avais fait confiance.
Toutes les règles du monde semblaient abolies. Comme une sorte de petits plaisirs simples qui forment un tout, d'entrées en résonance avec une force supérieure pendant un court instant."C'est ça le bonheur ?" lui demandais-je.
"Évidemment".