Nouvelles
5 min
Université d'Abomey-Calavi
Était-ce mon destin ? Peut-être, oui !
Moi je suis différent. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais un extra-terrestre. Lors de mon accouchement, elle pouvait y laisser sa vie. Et même dans l'au-delà, elle serait fière d'avoir laissé au monde, un fils aussi talentueux. L'intelligence me connaît. Je suis né avec, et dès mon bas-âge, j'en donnais bien l'impression avant même de connaître le chemin des classes. L'école était devenue pour moi un jeu, dès mon inscription au cours d'initiation. Chaque soir, en bon écolier, je récitais mes leçons à ma mère. Ce fût ainsi jusqu'à mon passage au cours élémentaire deuxième année. Là, je rencontrai Christine, ma nouvelle maîtresse. Celle-ci s'exprimait avec aisance. Je me forçai du coup à lui ressembler, bref, à faire comme elle. Elle avait donc de l'admiration pour ma personne. Grâce à elle, je pouvais lire toutes sortes de livres à cette époque, sans me faire le moindre souci. J'étais donc dans cette ambiance de jeune écolier intelligent, quand deux événements pathétiques survinrent. En premier, le décès de mon voisin de table pendant les congés de détente. Puis ensuite, la mort effroyable de ma maîtresse pendant les vacances. Oui, celle pour qui j'avais un penchant très admiratif, a rendu l'âme dans des circonstances pitoyables. Alors qu'elle passait de vie à trépas, moi, ignorant absolu des évènements du centre-ville, je profitais de mes vacances chez mon grand-père maternel, à quelques kilomètres de là.
Cet homme, le septuagénaire environ, malgré son statut d'analphabète, savait bien orienter son entourage vers la quête du savoir. Ainsi, tous les soirs, et cette fois-ci du retour des champs, il exigeait de moi que je prenne mes livres, que j'en lise quelques pages et que je lui en fasse une petite interprétation. Des fois, pour être sûr que j'étais sur le droit chemin, et que je ne le roulais pas dans la farine, il faisait appel à certaines de mes tantes instruites, pour m'écouter. Ces dernières ne manquaient pas de lui avouer que c'était vrai tout ce que ma langue laissait entendre.
Un soir, et comme tous les autres d'ailleurs depuis mon arrivée en campagne, nous revenions des champs. Assis à même le sol, le dos contre ces murs en terre battue et lézardés, je vis venir vers moi une ombre familière. C'était ma mère.
Je courus à sa rencontre et elle me prit dans ses bras. Je remarquai alors que son visage, contrairement à l'accoutumée, était plein de tristesse.
- Que se passe-t-il maman ? Lui demandai-je.
- « Elle est morte, celle que tu aimais affectueusement » me répondit-elle d'un air abattu.
- Mais qui maman ? Lui rétorquai-je.
- « Christine, ta maîtresse. Elle est morte brûlée vive dans sa chambre la nuit dernière. J'ai rencontré tes camarades en venant ici et ce sont eux qui me l'ont annoncé. Ils revenaient justement des obsèques » m'avoua-t-elle avec soupirs.
Je n'en revenais pas. Tout venait de s'arrêter autour de moi. De mes yeux, coulait déjà une rivière de larmes. A cet instant précis, plusieurs interrogations commençaient à défiler dans ma tête. Je me demandais alors ce qu'une si bonne personne a pu faire pour mériter une mort aussi atroce et douloureuse. Pourquoi est-elle partit de sitôt sans rien me dire ? Mais pourquoi ?
La nuit, je n'ai pu fermer les yeux. Son visage ne cessait de me revenir à l'esprit, chaque fois et toutes les fois. Mes joies de jeune vacancier venaient ainsi de laisser place à la détresse, à l'amertume et au désarroi total.
Le lendemain, je retournai à la maison avec ma mère, elle aussi sous le choc de cette mort affreuse de ma tendre Christine. Nous étions à environ quinze jours de la nouvelle rentrée. Malgré le chagrin qui m'animait, et la douleur que la perte de ma maîtresse me faisait ressentir, je décidai de ne point baisser les bras en si bon chemin. Pour moi, il fallait vaille que vaille poursuivre l'œuvre entamée, afin d'honorer la mémoire de ma tendre Christine.
Les années passèrent et je ne cessais de faire parler mon génie en sa mémoire. Elle pouvait dès lors être fière de son protégé. Deux ans après cet évènement tragique, je parvins à obtenir le certificat d'études primaires. Me voici à présent au collège où mes ambitions de réussite se multipliaient de nouveau.
Je fus admis dans un collège d'enseignement général au Sud du Bénin. Ce dernier, malgré sa capacité d'accueil limitée, était une véritable mine à génies. On ne pouvait en effet compter les têtes bien faites de la localité sans citer celles de ce collège. Mes copains et moi n'étions donc jamais absents dans le rang des heureux récipiendaires, à chaque fois qu'il fallait primer les majors de classes et de promotions. Le Brevet d'Etudes du Premier Cycle, nous l'avions obtenu avec brio. J'étais toujours déterminé à honorer la mémoire de ma tendre Christine.
Trois ans plus tard, alors que je devais commencer la Terminale, je pris la décision d'aller vivre loin de ma mère. J'allais donc passer le Baccalauréat hors de ma terre natale. Je voulais ressentir cette pression citadine dont faisait cas ces bouquins que je prenais du plaisir à lire. C'est ainsi que je débarquai à Porto-Novo, pour vivre ce rêve. Cependant, l'objectif n'avait pas changé.
A Porto-Novo, j'eu la chance de vivre avec l'une de mes tantes maternelles. Sage-femme d'Etat à la retraite, la soixantaine environ, celle-ci était simple et gentille. Je l'appelais sans contrainte, « maman ».
Au collège, montrer aux autres que j'avais moi aussi des choses à prouver, était devenu pour moi une exigence morale. D'ailleurs, mes notes l'ont montré et démontré toute l'année durant. Très confiant, je ne doutais point de mes capacités. Pour moi, faire partie des vaillants lauréats du baccalauréat cette année-là, n'était que simple formalité.
Le jour de la proclamation des résultats, l'atmosphère était bien détendue à travers la ville de Porto-Novo. Dans mon coin, je ne me faisais point de soucis. Bref, j'étais très serein. Mais c'était sans compter sur la malveillance du destin qui une fois encore, allait me jouer un sal tour. Il sonnait quatorze heures quand les résultats sortis.
- Maman, je vais au collège m'imprégner de mon résultat, dis-je à ma tante.
- « Non ! Reste à la maison. Suivons plutôt les résultats à la radio », m'ordonna-t-elle .
Je pris donc ma radio avec moi et je me rendis dans ma chambre. Mais quelques minutes plus tard, il eut du blanc à l'antenne. Maman envoya alors mes deux sœurs Marie et Nelly au collège. Deux heures venaient de s'écouler depuis leur départ, mais aucun signal de leur part. L'inquiétude gagna du coup la maisonnée. « Ai-je échoué ? » me demandai-je intérieurement. C'est alors que dans la foulée, un bruit d'engin retentit. C'était Oncle Hermann sur sa carcasse inégalable.
Il fit son entrée et annonça à maman, le succès de sa fille Bénette. Oui, ma cousine que j'entraînais, venait de décrocher son sésame. Pendant ce temps, toujours pas de nouvelles de mes sœurs parties au collège depuis quelques heures. Oncle Herman décida de les rejoindre. Je retournai alors dans ma chambre tout peinard, attendant leur retour. Un quart d'heure plus tard, ils revinrent tous à la maison. Je sortis en sursaut de mon lit, pour découvrir le sort que m'avait réservé le destin ce jour-là.
« Viens t'asseoir près de moi mon garçon » me dit mon oncle d'un air pas trop rassurant, en s'asseyant au salon.
Inquiet, je lui lançai rapidement cette interrogation : « Alors Oncle, suis-je admis ? ». Malheureusement, j'eu droit à un soupir. Je venais enfin de réaliser que j'ai vraiment failli à cet examen. Ce n'était plus une illusion. Pour la première fois de ma vie, je venais d'avoir un obstacle sur mon chemin. Mon cœur saigna pour la seconde fois, neuf ans après la mort de ma tendre Christine. Torse nu et les yeux rivés vers le plafond, je coulai une interminable rivière de larmes. Oui, j'étais devenu inconsolable.
Mais que vais-je dire à ma mère, celle qui m'a toujours trouvé différent des autres ?
Était-ce mon destin ? Peut-être, oui !
Cet homme, le septuagénaire environ, malgré son statut d'analphabète, savait bien orienter son entourage vers la quête du savoir. Ainsi, tous les soirs, et cette fois-ci du retour des champs, il exigeait de moi que je prenne mes livres, que j'en lise quelques pages et que je lui en fasse une petite interprétation. Des fois, pour être sûr que j'étais sur le droit chemin, et que je ne le roulais pas dans la farine, il faisait appel à certaines de mes tantes instruites, pour m'écouter. Ces dernières ne manquaient pas de lui avouer que c'était vrai tout ce que ma langue laissait entendre.
Un soir, et comme tous les autres d'ailleurs depuis mon arrivée en campagne, nous revenions des champs. Assis à même le sol, le dos contre ces murs en terre battue et lézardés, je vis venir vers moi une ombre familière. C'était ma mère.
Je courus à sa rencontre et elle me prit dans ses bras. Je remarquai alors que son visage, contrairement à l'accoutumée, était plein de tristesse.
- Que se passe-t-il maman ? Lui demandai-je.
- « Elle est morte, celle que tu aimais affectueusement » me répondit-elle d'un air abattu.
- Mais qui maman ? Lui rétorquai-je.
- « Christine, ta maîtresse. Elle est morte brûlée vive dans sa chambre la nuit dernière. J'ai rencontré tes camarades en venant ici et ce sont eux qui me l'ont annoncé. Ils revenaient justement des obsèques » m'avoua-t-elle avec soupirs.
Je n'en revenais pas. Tout venait de s'arrêter autour de moi. De mes yeux, coulait déjà une rivière de larmes. A cet instant précis, plusieurs interrogations commençaient à défiler dans ma tête. Je me demandais alors ce qu'une si bonne personne a pu faire pour mériter une mort aussi atroce et douloureuse. Pourquoi est-elle partit de sitôt sans rien me dire ? Mais pourquoi ?
La nuit, je n'ai pu fermer les yeux. Son visage ne cessait de me revenir à l'esprit, chaque fois et toutes les fois. Mes joies de jeune vacancier venaient ainsi de laisser place à la détresse, à l'amertume et au désarroi total.
Le lendemain, je retournai à la maison avec ma mère, elle aussi sous le choc de cette mort affreuse de ma tendre Christine. Nous étions à environ quinze jours de la nouvelle rentrée. Malgré le chagrin qui m'animait, et la douleur que la perte de ma maîtresse me faisait ressentir, je décidai de ne point baisser les bras en si bon chemin. Pour moi, il fallait vaille que vaille poursuivre l'œuvre entamée, afin d'honorer la mémoire de ma tendre Christine.
Les années passèrent et je ne cessais de faire parler mon génie en sa mémoire. Elle pouvait dès lors être fière de son protégé. Deux ans après cet évènement tragique, je parvins à obtenir le certificat d'études primaires. Me voici à présent au collège où mes ambitions de réussite se multipliaient de nouveau.
Je fus admis dans un collège d'enseignement général au Sud du Bénin. Ce dernier, malgré sa capacité d'accueil limitée, était une véritable mine à génies. On ne pouvait en effet compter les têtes bien faites de la localité sans citer celles de ce collège. Mes copains et moi n'étions donc jamais absents dans le rang des heureux récipiendaires, à chaque fois qu'il fallait primer les majors de classes et de promotions. Le Brevet d'Etudes du Premier Cycle, nous l'avions obtenu avec brio. J'étais toujours déterminé à honorer la mémoire de ma tendre Christine.
Trois ans plus tard, alors que je devais commencer la Terminale, je pris la décision d'aller vivre loin de ma mère. J'allais donc passer le Baccalauréat hors de ma terre natale. Je voulais ressentir cette pression citadine dont faisait cas ces bouquins que je prenais du plaisir à lire. C'est ainsi que je débarquai à Porto-Novo, pour vivre ce rêve. Cependant, l'objectif n'avait pas changé.
A Porto-Novo, j'eu la chance de vivre avec l'une de mes tantes maternelles. Sage-femme d'Etat à la retraite, la soixantaine environ, celle-ci était simple et gentille. Je l'appelais sans contrainte, « maman ».
Au collège, montrer aux autres que j'avais moi aussi des choses à prouver, était devenu pour moi une exigence morale. D'ailleurs, mes notes l'ont montré et démontré toute l'année durant. Très confiant, je ne doutais point de mes capacités. Pour moi, faire partie des vaillants lauréats du baccalauréat cette année-là, n'était que simple formalité.
Le jour de la proclamation des résultats, l'atmosphère était bien détendue à travers la ville de Porto-Novo. Dans mon coin, je ne me faisais point de soucis. Bref, j'étais très serein. Mais c'était sans compter sur la malveillance du destin qui une fois encore, allait me jouer un sal tour. Il sonnait quatorze heures quand les résultats sortis.
- Maman, je vais au collège m'imprégner de mon résultat, dis-je à ma tante.
- « Non ! Reste à la maison. Suivons plutôt les résultats à la radio », m'ordonna-t-elle .
Je pris donc ma radio avec moi et je me rendis dans ma chambre. Mais quelques minutes plus tard, il eut du blanc à l'antenne. Maman envoya alors mes deux sœurs Marie et Nelly au collège. Deux heures venaient de s'écouler depuis leur départ, mais aucun signal de leur part. L'inquiétude gagna du coup la maisonnée. « Ai-je échoué ? » me demandai-je intérieurement. C'est alors que dans la foulée, un bruit d'engin retentit. C'était Oncle Hermann sur sa carcasse inégalable.
Il fit son entrée et annonça à maman, le succès de sa fille Bénette. Oui, ma cousine que j'entraînais, venait de décrocher son sésame. Pendant ce temps, toujours pas de nouvelles de mes sœurs parties au collège depuis quelques heures. Oncle Herman décida de les rejoindre. Je retournai alors dans ma chambre tout peinard, attendant leur retour. Un quart d'heure plus tard, ils revinrent tous à la maison. Je sortis en sursaut de mon lit, pour découvrir le sort que m'avait réservé le destin ce jour-là.
« Viens t'asseoir près de moi mon garçon » me dit mon oncle d'un air pas trop rassurant, en s'asseyant au salon.
Inquiet, je lui lançai rapidement cette interrogation : « Alors Oncle, suis-je admis ? ». Malheureusement, j'eu droit à un soupir. Je venais enfin de réaliser que j'ai vraiment failli à cet examen. Ce n'était plus une illusion. Pour la première fois de ma vie, je venais d'avoir un obstacle sur mon chemin. Mon cœur saigna pour la seconde fois, neuf ans après la mort de ma tendre Christine. Torse nu et les yeux rivés vers le plafond, je coulai une interminable rivière de larmes. Oui, j'étais devenu inconsolable.
Mais que vais-je dire à ma mère, celle qui m'a toujours trouvé différent des autres ?
Était-ce mon destin ? Peut-être, oui !