C'était une belle nuit d'été. Les étoiles parsemaient le ciel et éclairaient faiblement le village endormi. J'étais allongée dans l'herbe haute, écoutant paisiblement le hululement d'une chouette ou les cris perçants des criquets.
La lune brillait faiblement, voilée par un nuage. Et parfois un satellite clignotait, brisant l'enchantement et l'humanité reprenait tous les droits sur la nature affaiblie.
L'ombre d'un oiseau masqua les étoiles et survola la forêt qui s'étirait jusqu'au village. Il piqua dans la réserve d'eau et en ressorti un poisson. Il s'éloigna ensuite de ce lac artificiel et se refugia dans les saillies des montagnes. Je tournai de nouveau la tête vers les étoiles et prolongea ma contemplation de la voie lactée.
Soudain des bruits de pas se firent entendre. Je tendis l'oreille. Le doux bruissement du vent agitant les feuilles des arbres, le chant des insectes et les miaulements d'un chat de quartier m'empêcha d'entendre la respiration haletante d'un enfant en fuite.
Puis des cris brisèrent le silence de la forêt. Je me relevai précipitamment et grimpai en haut d'un tilleul. J'attendis quelques instants. Des hommes se rapprochaient. Leurs voix criaient des ordres dans tous les sens. Ils cherchaient l'enfant qui leur avait filé entre les doigts. Leurs lampes illuminaient la nuit, indiquant leur position à des kilomètres.
Et je l'entendis. L'enfant. Son souffle irrégulier trahissait sa présence à quelques arbres de moi.
Je me déplaçai lentement d'une branche à l'autre dans la dense canopée de la forêt, jusqu'à sa cachette.
Je me laissai glisser le long de l'arbre et retombai à quelques mètres de lui. L'enfant hoqueta de surprise. Je posai un doigt sur mes lèvres. Paralysé par la peur il hocha la tête. Je le pris par la main et le guida dans la forêt sombre tentant de l'éloigner de la menace des hommes.
Arrivés à mon repère je l'aidai à se hisser dans ma cabane. Je l'assis sur le tapis de paille qui me servait de lit, remplit un verre d'eau et le lui donna. Je m'assis en tailleur, face à lui, et l'observai attentivement pendant qu'il buvait.
Il était jeune. Son visage rond trahissait son âge. Ses yeux d'un bleu profond étaient marqués de cernes, ses cheveux noirs tombaient en bataille sur son front. Il portait une chemise trop grande et un short troué.
- D'où viens-tu ? lui demandai-je.
Il resta muet.
- Comment t'appelles-tu ? tentai-je de nouveau.
Il leva les yeux, m'observa quelques instants avant de baisser la tête. Je soupirai et laissai l'enfant seul. Je montai l'échelle qui menait sur le toit de ma cabane et me replongea dans la contemplation du ciel étoilé, avant de m'endormir.
Lorsque j'ouvris les yeux, l'enfant m'observait. Dès qu'il croisa mon regard il descendit précipitamment du toit. Je me relevai et le suivis. Puis je me dirigeai vers la partie de la cabane qui me servait de cuisine. Je sortis des baies et les lui apporta. Il hésita avant d'en prendre une et de la déguster. Je tentai de nouveau de lui parler.
- Tu as bien dormi ?
Il leva la tête, me regarda de haut en bas, puis acquiesça. Je souris.
- Tu aimes les framboises ?
Il acquiesça de nouveau sans hésiter cette fois ci.
- Tu as un nom ? tentai-je
Il fronça les sourcils.
- Illian.
- Et tu as quel âge ?
Il se renferma dans son mutisme. Je levai les yeux au ciel et récupéra le reste des baies.
- Et toi ?
Je me retournai, étonnée, haussa les épaules et répondit.
- Ça n'a pas d'importance.
Il tapa du pied et cria :
- Si tu ne me dis pas, je ne répondrai plus à tes questions !
- Ok ! tentai-je de le calmer, je m'appelle Nyx.
Il croisa les bras, sceptique.
- J'ai six ans et demi.
- Et... tu viens d'où ?
- De l'orphelinat. Tu habites ici ?
- Oui.
- Pourquoi ? demanda-t-il étonné.
- Je fuis les hommes, le monde. Et toi ? Pourquoi les gardes te poursuivent ?
- Je... je ne voulais pas partir avec la nouvelle famille. Je voulais rester avec Luna. Et...
Une branche craqua. Je plaquai ma main contre sa bouche.
- Chut !
Des pas approchaient de notre repère. Je pris l'enfant par la main et l'emmena sur le toit. Il tenta de me poser une question mais je lui intimai le silence. Je lui montrai comment se déplacer d'arbre en arbre le plus discrètement possible.
Lorsque nous nous fûmes suffisamment éloignés de la menace, je trouvai un arbre confortable et nous nous y installâmes. Des oiseaux vinrent nous tenir compagnie, un cerf se coucha à son pied. Puis le soleil laissa place à la lune. Les étoiles illuminèrent le ciel et Illian s'endormi.
Incapable de fermer l'œil, je décidai de monter au sommet de l'arbre et d'observer librement les étoiles. Epuisée je m'endormis.
Lorsque j'ouvris les yeux une lumière aveuglante éclairait la forêt. Les étoiles avaient disparu. La lune ne brillait plus. Pourtant ce n'était pas le soleil qui éclairait le paysage. C'était une étoile. Elle éclipsait toutes les autres. Les rendait invisibles.
Mais cette étoile se rapprochait, inexorablement. L'air devenait brulant, étouffant.
Et plus elle se rapprochait plus j'étais persuadée de deux choses. D'une, ce n'était pas une étoile, mais une comète. Et de deux. Lorsqu'elle percutera la terre ce ne sera pas la bêtise de l'humanité qui réduira en cendre la planète Terre, mais une énorme boule de feu, elle sauvera in extremis l'humanité de s'éteindre dans la souffrance, mais elle détruira entièrement la Terre sans en laisser la moindre trace.
Je descendis précipitamment vers Illian. Il dormait encore, paisiblement. Je l'observai quelques instants. Devrais-je le réveiller ? Son dernier souvenir devrait-il être la peur ? Ou son dernier rêve devrait-il être infini ?
Je le pris sur mon dos et m'installa à la cime des arbres attendant que la mort tombe du ciel. Elle arriva à grande vitesse. Brulante, aveuglante. En quelques minutes le paysage devint invisible. La terre trembla. Des arbres tombèrent. Et la comète ne dévia pas de sa trajectoire.
Puis ce fut le noir complet. La nuit éternelle.