"Une étoile filante !" je chuchote. Mais ils dorment déjà.
Je soupire, un petit nuage s'échappe de ma bouche. Au-dessus de moi, des étoiles, des milliards de galaxies lointaines, une infinité de systèmes solaires.
Je suis seule face à cet univers mystère.
J'ai peur.
Fffiiiooouuu... une autre ! Dommage que mon père et mon frère ne soient pas réveillés. Ou peut-être tant mieux, car je ne l'aurais pas entendu. Ce murmure, flouté par les années. Une voix douce, familière, douloureuse aussi. Elle est là, tout près de moi. Je sens son regard depuis la voie lactée. Elle m'observe, m'appelle. Elle me sourit.
Une larme glisse sur ma joue.
"Maman ?"
Les étoiles sourient. Je souris aussi. Parmi les paillettes éclatantes de l'univers, j'aperçois ses yeux noisette, ses dents blanches, j'entends son rire, je sens son odeur de printemps et de tendresse. Je revois nos voyages, nos câlins, nos moments complices, ces après-midi où nous dansions dans la chambre d'amis. Je pleure, aussi, beaucoup, parce que je ne sais pas si elle est vraiment là, quelque part, perdue dans cette infinité de tout et de rien. Je ne pourrais jamais savoir.
"Maman, fais-moi un signe, je sanglote. Je compte jusqu'à trente et s'il ne s'est rien passé, ça voudra dire que tu n'existes vraiment plus."
Je commence.
1, 2, 3...
J'observe le ciel, je scrute la nuit dans l'espoir qu'elle me montre sa présence.
17, 18, 19...
Le vent se lève, les arbres s'agitent.
23, 24, 25...
Je désespère. À quoi pensais-je ?
28, 29...Un filet doré traverse le ciel.
Non, là, une étoile filante ?! Fffiiiooouuu... une deuxième ! Une troisième ! Encore !
Difficile de croire à une coïncidence. Et pourtant, il reste cette petite probabilité que les étoiles ne soient réellement qu'un mauvais hasard. Où peut-elle bien être partie ? Où est-elle en ce moment, que fait-elle, là, maintenant ? J'aimerais tellement, mais tellement, me souvenir distinctement de sa voix, de son visage, de ses rires. Quelle sensation cela faisait de la serrer dans mes bras, déjà ?
Lorsqu'on nous demande quel est notre vœu le plus cher, nombreux sont ceux qui répondent vouloir être célèbres, devenir millionnaires, arrêter toutes les guerres et la famine dans le monde. Moi, dans tout mon égoïsme, dans toute ma faiblesse, dans toute cette douleur qui m'a fait grandir, je ne réponds rien de tout cela. Ce que je désire le plus, plus même que mes rêves les plus sincères, c'est pouvoir la prendre dans mes bras une dernière fois, ne serait-ce qu'une fraction de seconde. Lui dire au revoir. Imprimer dans ma mémoire sa présence. Graver sa voix, son rire, son visage, ses caresses.
Mon père, ma grand-mère, ma famille m'envient quand je leur dis que Maman me rend visite en rêve, des fois. C'est vrai que ce sont toujours les songes les plus beaux, les nuits les plus délicates, la garantie de me réveiller de bonne humeur. Mais il en reste inéluctablement cet arrière goût amer. Parce que ce n'est que mon imagination. Parce que ce n'est peut-être même pas fidèle à la réalité d'antan.
Alors, dès que je peux, je regarde le ciel pour me sentir plus proche d'elle. C'est irrationnel, ridicule, mais je ne peux pas m'en empêcher. Une part de moi veut qu'elle soit encore là, quelque part, tout près. Cette part de moi déteste les nuages, pleure comme ce soir devant les étoiles, lui parle dans les moments où j'ai besoin d'une mère. Cette part de moi qui lui en veut tellement, mais tellement, de m'avoir créée, de m'avoir imposé cette souffrance qu'elle savait inévitable. Mais cette part de moi comprend, aussi. Je suis un bout d'elle. Elle m'a transmis le flambeau. Je vis pour moi et pour elle. Tant que je vivrais, elle vivra. Tant que mon cœur battra, elle existera. Je n'ai pas le droit de me plaindre. Je n'ai pas le droit de gâcher ma vie. Je ne peux pas mourir avant d'avoir atteint mes objectifs. Pas quand je sais qu'elle s'est battue chaque seconde de sa vie. Pas quand je sais qu'elle avait encore des dizaines d'années devant elle. Pas quand je sais qu'elle a vécu chaque jour au maximum alors qu'elle avait conscience que ça ne serait pas éternel. Elle avait tout pour être malheureuse, elle a donc été la plus heureuse. Personne ne lui aurait reproché d'abandonner, elle n'a donc jamais abandonné. Elle savait qu'elle ne respirerait pas longtemps, alors elle a respiré à fond. Elle savait que ça ne durerait pas, alors elle en a profité.
Elle avait raison, ma mère. La vie est courte, encore plus pour elle. Et finalement, c'est ce qu'il y a de mieux dans la vie.
Je soupire, mais ce n'est pas un soupire triste ou agacé. Mon soupire est un sourire, un poids qui s'envole, une autre étoile filante dans le ciel noir.
Noir ?
Il me semble si clair, soudainement, si blanc, si lumineux. Mes larmes ont séché, mon corps est détendu, mon père ronfle à ma droite, mon frère est presque entièrement sorti de son duvet à ma gauche. Je me redresse et le remets sous les couvertures. Ce serait vraiment bête qu'il attrape froid lors d'une si belle nuit. Je souris. Lui aussi, je veux qu'il profite de la vie, qu'il ait conscience d'à quel point elle est précieuse, vu qu'on a tendance à l'oublier. Je l'embrasse sur le front et me recouche.
Face à face avec les étoiles, je pense une dernière fois avant de m'endormir.
Ma mère, où qu'elle soit, restera accrochée à mon âme. Elle sera éternellement dans mon cœur, dans mes souvenirs, dans mon esprit le plus pur. Elle vit à travers mes rires et mes pleurs, apparaît sur les traits de mon visage et les facettes de mon caractère. Et c'est tout ce qui compte.
Un sourire se dessine lentement sur mes lèvres alors que je ferme les yeux.
Bonne nuit, Maman.