Élégies, « Aux deux frères Trudaine »

Je veux, accompagné de ma Muse sauvage,
Revoir le Rhin tomber en des gouffres profonds
Et le Rhône grondant sous d'immenses glaçons,
Et d'Arve aux flots impurs la Nymphe injurieuse.
Je vole, je parcours la cime harmonieuse
Où souvent de leurs cieux les anges descendus,
En des nuages d'or mollement suspendus,
Emplissent l'air des sons de leur voix éthérée.
Ô lac, fils des torrents ! Ô Thoun, onde sacrée !
Salut, monts chevelus, verts et sombres remparts
Qui contenez ses flots pressés de toutes parts !
Salut, de la nature admirables caprices,
Où les bois, les cités pendent en précipices !
Je veux, je veux courir sur vos sommets touffus ;
Je veux, jouet errant de vos sentiers confus,
Foulant de vos rochers la mousse insidieuse
Suivre de mes chevreaux la trace hasardeuse ;
Et toi, grotte escarpée et voisine des cieux,
Qui d'un ami des saints fut l'asile pieux,
Voûte obscure où s'étend et chemine en silence
L'eau qui de roc en roc bientôt fuit et s'élance,
Ah ! sous tes murs, sans doute, un cœur trop agité
Retrouvera la joie et la tranquillité !