Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extra-terrestre. Il faut dire que petite, j'étais déjà un peu borderline. Combien de fois ai-je, dans un élan maladroit, mis mes pattes de mouches là où il ne fallait pas. Trop haut, me disait-elle. Trop bas. Applique toi un peu. Oh ! Je voyais bien qu'elle avait honte de son enfant brouillon, toujours tachée. Une véritable rature.
Le problème, c'est que je ne suis jamais vraiment rentrée dans les cases ; à vrai dire, je préférais les lignes. A force de punitions, on était même devenues intimes, elles et moi. La plupart du temps, lorsque j'essayais de mettre les points sur les i, c'était un poing que je me prenais dans la figure. Alors à la maison, c'était l'armée. Pas une lettre de travers. Lorsque ma mère m'implorait de la boucler, j'obtempérais sans trop poser de question. Après tout, c'était elle qui avait voix au chapitre. A la moindre faute, elle s'empressait de gommer mes traits jugés grossiers, d'essuyer les bavures, sans manquer de me menacer avec ses éclats de voix. Elle déliait sa langue, je déliais mes lettres. Et garde à moi si j'en faisais une de travers.
J'étais consciente qu'il me fallait de la discipline. Peu m'importait de traverser le couloir de la mort, que dis-je, la cursive de la mort. Elle voulait me préparer aux maux du monde, alors elle me noyait dans ses mots à elle, que je m'empressais de recopier. Et bientôt, je fus capable de m'exprimer sans fautes.
Ceci-dit, on commença à me traiter de véritable débauchée, à force de coucher mes mots partout. Que pouvais-je y faire ? Je n'allais tout de même pas réfréner la frénésie de ces pauvres gens. Qu'il était bon de sentir leur plume me chatouiller, épouser mes formes et titiller mes sens. Vous n'oserez imaginer le doigté de certains !
Il ne m'a pas fallu longtemps pour m'embarquer dans une sombre histoire héroïque, ou du moins d'héroïne. Complètement accro. J'étais déjà un grosse consommatrice de feuille à l'époque. Il suffisait d'une légère inspiration pour que je consume à une vitesse folle le papier. Enivrée, et presque ivre. Et quand je contais mon épopée pour me libérer des ravages de la consommation, on disait que je me la racontais. Je ne peux pas en vouloir à ces ignares à moitié aveugles, qui n'étaient pas capables de lire entre les lignes pour me déchiffrer.
Une histoire d'amour qui tournait mal et voilà que je m'enfilais des vers entiers. Me brûler la gorge, plutôt que laisser le temps aux mots de me brûler les lèvres. Quand j'appelais ma mère au secours, toujours porteuse de sages paroles, elle rétorquait que ce n'était pas une bouteille à la mer qu'il fallait que je jette, mais cette bouteille à l'encre. Et je m'empressais de vider cette maudite bouteille, espérant y voir plus clair. Vous ne devinerez pas combien de sentiments ai-je sauvé, en me portant messagère de mots d'excuses. Ces mots griffonnés à la va-vite, ou cette sérénade : je me faisais une joie de les transmettre, la brûlure de la passion m'étant beaucoup plus supportable.
« Un jour, je m'envolerai. Toi, tu resteras. » m'avait-elle susurré un jour.
Ma mère n'était pas du genre à proférer des paroles en l'air. Tout ce qu'elle avait en l'air, c'était les poings qu'elle brandissait chaque fois qu'elle clamait haut et fort un de ses fameux discours. Et il était hors de question que je lui laisse mettre un point final à son histoire. Sa disparition ferait couler beaucoup d'encre, et mes larmes ne feraient que la diluer. Mon chagrin l'emporterait et plus personne ne pourrait ni écrire, ni parler. Ainsi ce jour-là, je commençai à honorer notre seul lien, notre langage commun.
Ce n'est pas évident vous savez, de célébrer les mots. Il faut les amuser, les chérir, les confronter. Au fond, ce n'est qu'un jeu d'écriture.
Au temps pour moi, j'adore jouer.
Le problème, c'est que je ne suis jamais vraiment rentrée dans les cases ; à vrai dire, je préférais les lignes. A force de punitions, on était même devenues intimes, elles et moi. La plupart du temps, lorsque j'essayais de mettre les points sur les i, c'était un poing que je me prenais dans la figure. Alors à la maison, c'était l'armée. Pas une lettre de travers. Lorsque ma mère m'implorait de la boucler, j'obtempérais sans trop poser de question. Après tout, c'était elle qui avait voix au chapitre. A la moindre faute, elle s'empressait de gommer mes traits jugés grossiers, d'essuyer les bavures, sans manquer de me menacer avec ses éclats de voix. Elle déliait sa langue, je déliais mes lettres. Et garde à moi si j'en faisais une de travers.
J'étais consciente qu'il me fallait de la discipline. Peu m'importait de traverser le couloir de la mort, que dis-je, la cursive de la mort. Elle voulait me préparer aux maux du monde, alors elle me noyait dans ses mots à elle, que je m'empressais de recopier. Et bientôt, je fus capable de m'exprimer sans fautes.
Ceci-dit, on commença à me traiter de véritable débauchée, à force de coucher mes mots partout. Que pouvais-je y faire ? Je n'allais tout de même pas réfréner la frénésie de ces pauvres gens. Qu'il était bon de sentir leur plume me chatouiller, épouser mes formes et titiller mes sens. Vous n'oserez imaginer le doigté de certains !
Il ne m'a pas fallu longtemps pour m'embarquer dans une sombre histoire héroïque, ou du moins d'héroïne. Complètement accro. J'étais déjà un grosse consommatrice de feuille à l'époque. Il suffisait d'une légère inspiration pour que je consume à une vitesse folle le papier. Enivrée, et presque ivre. Et quand je contais mon épopée pour me libérer des ravages de la consommation, on disait que je me la racontais. Je ne peux pas en vouloir à ces ignares à moitié aveugles, qui n'étaient pas capables de lire entre les lignes pour me déchiffrer.
Une histoire d'amour qui tournait mal et voilà que je m'enfilais des vers entiers. Me brûler la gorge, plutôt que laisser le temps aux mots de me brûler les lèvres. Quand j'appelais ma mère au secours, toujours porteuse de sages paroles, elle rétorquait que ce n'était pas une bouteille à la mer qu'il fallait que je jette, mais cette bouteille à l'encre. Et je m'empressais de vider cette maudite bouteille, espérant y voir plus clair. Vous ne devinerez pas combien de sentiments ai-je sauvé, en me portant messagère de mots d'excuses. Ces mots griffonnés à la va-vite, ou cette sérénade : je me faisais une joie de les transmettre, la brûlure de la passion m'étant beaucoup plus supportable.
« Un jour, je m'envolerai. Toi, tu resteras. » m'avait-elle susurré un jour.
Ma mère n'était pas du genre à proférer des paroles en l'air. Tout ce qu'elle avait en l'air, c'était les poings qu'elle brandissait chaque fois qu'elle clamait haut et fort un de ses fameux discours. Et il était hors de question que je lui laisse mettre un point final à son histoire. Sa disparition ferait couler beaucoup d'encre, et mes larmes ne feraient que la diluer. Mon chagrin l'emporterait et plus personne ne pourrait ni écrire, ni parler. Ainsi ce jour-là, je commençai à honorer notre seul lien, notre langage commun.
Ce n'est pas évident vous savez, de célébrer les mots. Il faut les amuser, les chérir, les confronter. Au fond, ce n'est qu'un jeu d'écriture.
Au temps pour moi, j'adore jouer.