Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extra-terrestre. Pas plus tard que hier, à l'enterrement de mon père, j'ai éclaté d'un rire '' d'enfant possédé'', dira-t-on, devant un prêtre encore mal réveillé, abasourdi par mon comportement hors-norme. Mon rire, tel un '' Ave Maria'' a tenu éveillé un long moment, les murs claqués de la cathédrale. Et ils avaient bien raison les pauvres, plus rien ne les émouvait, que ce soient les veuves éplorées, les maris assassinés, une jeunesse sacrifiée, des familles tétanisées qui caressaient pour la première fois le visage transgenre de la mort. De là où j'étais assise, je pouvais entendre ces murs se taper une partie de cartes, indifférents à la douleur de ma mère et de mes sœurs. Ma pauvre mère, son regard triste et étonné me donna presque l'envie de me rouler par terre, pendant que mon rire hystérique résonnait dans les oreilles des anges.
Mon père avait été assassiné un beau matin, alors que le soleil vaniteux se pavanait comme à l'accoutumée sous sa cape étincelante de lumière à travers la folie de mon crasseux pays. Papa était mort comme il avait vécu, en silence. Il s'était pris, alors qu'il partait travailler, une balle à la tête des mains d'un délinquant drogué qui l'avait confondu avec son chien, comme il l'avait expliqué plus tard. Étrange paradoxe, le cadavre de cet homme, paisible, gentil, se complaisant à aider tout le monde alors qu'il était pauvre a passé une journée entière sur le trottoir de mon quartier, pareil à ce que l'on aurait fait à l'animal auquel il avait été confondu. J'ai voulu rédiger une épitaphe du type : « Ci-git, l'homme-chien ». Ma mère s'est opposée à l'idée, elle a défendu son honnête homme du bec et des ongles.
Ce ne fut que vers l'après-midi, à mon retour de l'école que je découvris le corps de mon père. Pas plus tard que hier, on le surnommait '' Petit Dieu" parce qu'il avait toujours une pièce de monnaie, un plat chaud, à distribuer à plus misérable que lui. Aujourd'hui, une foule indifférente s'était amusée à enjamber, photographier son corps sans le moindre scrupule. Dans mon pays, la mort baisait, depuis plusieurs années, le corps momifié de la vie, sous le regard vide d'un peuple qui s'était un jour crevé les yeux pour ne plus souffrir. Alors que d'une main tremblante, je fermais ses yeux, j'ai détesté mon père. Toute sa vie il avait aimé un pays psychopathe, qui l'avait torturé avec tous les moyens possibles et imaginables. Il n'avait rien fait pour s'échapper, à présent moi aussi, je ne pouvais plus être sauvée.
Plus tard dans la soirée alors que son corps refroidissait à la morgue, je reçus donc, avec un grand sourire son assassin. Je me dépêchais d'aller lui chercher une chaise et même lui préparer un thé. Bloc Zo avait à sa ceinture le beau pistolet qui avait ravi ce matin mon père de la terre. Il s'amusait même à le triturer sous nos yeux incrédules alors qu'il nous souhaitait ses plus sincères condoléances, le '' petit vieux" comme il se plaisait à l'appeler n'avait pas souffert, il pouvait même le jurer. Le pauvre bougre, il avait sans nul doute déjà été touché à la tête par les tirs de son pistolet, alors qu'il s'amusait en toute impudence avec son chien. Durant sa longue litanie d'innocence, je me plaisais à scruter ma mère ainsi que mes sœurs qui approuvaient religieusement de la tête d'un air compréhensif. Je ne comprendrai jamais la peur, en quelques secondes, elle vous enlève votre dignité, vos valeurs et vous convie à la table de votre pire cauchemar.
À chacun de ses mots, j'étais dangereusement d'humeur joyeuse, le type avait la verve facile quand même. Et quand ce fût le moment pour le pêcheur pardonné de prendre congé, ce fût tout naturellement que ma pauvre mère d'un ton solennel lui lança la bénédiction finale '' Fils, vous n'avez pas à vous inquiéter, nous comprenons parfaitement ce qui s'est passé, ce n'était pas de votre faute, franchement les fabricants d'armes à feu devraient faire attention et plus sécuriser leurs gâchettes, c'est de la malhonnêteté franchement de mettre sur le marché des pistolets aussi fragiles. Vous avez dû avoir une sacrée frayeur ! C'était un accident, je l'ai déjà déclaré à la police, allez vous reposer, vous devez être encore sous le choc ‘'.
Je fis la bise à l'assassin, les larmes muettes de ma maman désapprouvèrent le geste parce que c'était moi l'extra-terrestre. Derrière notre porte fermée à triple tour, je fus la seule à recevoir de véhémentes critiques, pour avoir commis ce sacrilège. Comme quoi, on pouvait pardonner le malheureux, et moi je n'avais pas le droit de l'accueillir et de l'embrasser pendant que la glace obèse pénétrait les moindres pores de mon père, déjà oublié par tout un quartier l'ayant vu grandir ?
Moi je suis différente, je l'ai toujours été. Pour ma mère, je resterai toujours une extra-terrestre, même après avoir rendu mon dernier souffle sur la tombe de mon père. Elle ne comprenait pas pourquoi pas j'étais partie, entourée de ces 10 cannettes de bière vide. Mon père avait toujours été un bon viveur, on aurait tous dû lui rendre ce dernier hommage à mon sens. Il s'en foutait de l'église, de ces hommes déguisés qui semblaient chaque matin, s'empiffrer au paradis et qu'ils prêchaient chaque jour à nos estomacs affamés la résignation en attendant d'y avoir accès nous aussi. Je ne comprenais pas pourquoi on s'était battu pour faire célébrer ses funérailles dans une église qui ne l'avait jamais aidé en quoi que ce soit toute sa vie, outre les sermons pompeux qui l'avait toujours condamné alors qu'il n'avait jamais vécu.
Dans la soucoupe volante qui m'emmenait vers mon autre planète, j'appris, à mon grand étonnement la mort de Bloc zo. La veille dans sa chambre, alors que je le contemplais dans son sommeil fétide de drogué, je voulus juste savoir s'il était humain. À l'école, on m'avait toujours appris que l'être humain avait un cœur qui contenait tous ses sentiments, pour moi, c'était normal de lui arracher le tien pour voir si ce dernier était identique aux autres. Dans ma soif de bien faire, je lui donnai par mégarde 50 coups de couteaux, en souvenir de mon père qui venait de célébrer le mois dernier ses 50 ans.
On annonçait dans les infos, qu'une jeune fille du ghetto, âgée de 15 ans, s'était suicidée sur la tombe de son père, le lendemain de ses funérailles alors qu'il venait tout juste de tuer l'assassin de ce dernier de 50 coups de couteau. Un cadavre de plus qui pullulait, telle de la mauvaise herbe, un autre recoin de ma ville dyssociale. Je ne voulais pas me suicider, mais c'était à ma grande tristesse la seule alternative si je voulais retrouver un semblant d'humanité. Sur la tombe de mon père, j'eus la stupidité de scruter mes mains. Et en dépit des gorgées de bière qui alourdissait mon esprit, je vis des tâches de sang sur mes mains, et j'eus peur. Peur d'avoir à mon tour perdu mon humanité, car on la perdait presque tous un jour ou l'autre dans mon pays. Certains l'enlevait, la déposait quelque part pour ne plus s'en rappeler, d'autres plus hardis la jetait tout simplement. Quoique je la sentis battre à toute vitesse dans ma poitrine, je voulus quand même m'en rassurer, après tout je venais d'une autre planète, peut-être que je n'en avais jamais eu. Peut-être qu'elle était tombée en poignardant Bloc zo? J'avais encore mon couteau entre les mains, je l'introduisis sans hésitation dans ma cage thoracique. Je ne vis pas mon cœur ce jour-là, alors que la vie s'échappait goutte à goutte de mon corps. Insensible à la douleur qui me tordait les trippes, je n'avais plus peur. J'entrevis bientôt, le visage souriant de mon père que je chérissais tant, ses yeux semblaient à la fois condamner et respecter mon geste. Nos douleurs, nos regrets en ce moment ne faisaient plus qu'un. J'adore ma mère, j'espère qu'elle me pardonnera et peut-être qu'avec moi, on enterrera ces monstres buveurs de sang qui nous ont détruit.
Mon père avait été assassiné un beau matin, alors que le soleil vaniteux se pavanait comme à l'accoutumée sous sa cape étincelante de lumière à travers la folie de mon crasseux pays. Papa était mort comme il avait vécu, en silence. Il s'était pris, alors qu'il partait travailler, une balle à la tête des mains d'un délinquant drogué qui l'avait confondu avec son chien, comme il l'avait expliqué plus tard. Étrange paradoxe, le cadavre de cet homme, paisible, gentil, se complaisant à aider tout le monde alors qu'il était pauvre a passé une journée entière sur le trottoir de mon quartier, pareil à ce que l'on aurait fait à l'animal auquel il avait été confondu. J'ai voulu rédiger une épitaphe du type : « Ci-git, l'homme-chien ». Ma mère s'est opposée à l'idée, elle a défendu son honnête homme du bec et des ongles.
Ce ne fut que vers l'après-midi, à mon retour de l'école que je découvris le corps de mon père. Pas plus tard que hier, on le surnommait '' Petit Dieu" parce qu'il avait toujours une pièce de monnaie, un plat chaud, à distribuer à plus misérable que lui. Aujourd'hui, une foule indifférente s'était amusée à enjamber, photographier son corps sans le moindre scrupule. Dans mon pays, la mort baisait, depuis plusieurs années, le corps momifié de la vie, sous le regard vide d'un peuple qui s'était un jour crevé les yeux pour ne plus souffrir. Alors que d'une main tremblante, je fermais ses yeux, j'ai détesté mon père. Toute sa vie il avait aimé un pays psychopathe, qui l'avait torturé avec tous les moyens possibles et imaginables. Il n'avait rien fait pour s'échapper, à présent moi aussi, je ne pouvais plus être sauvée.
Plus tard dans la soirée alors que son corps refroidissait à la morgue, je reçus donc, avec un grand sourire son assassin. Je me dépêchais d'aller lui chercher une chaise et même lui préparer un thé. Bloc Zo avait à sa ceinture le beau pistolet qui avait ravi ce matin mon père de la terre. Il s'amusait même à le triturer sous nos yeux incrédules alors qu'il nous souhaitait ses plus sincères condoléances, le '' petit vieux" comme il se plaisait à l'appeler n'avait pas souffert, il pouvait même le jurer. Le pauvre bougre, il avait sans nul doute déjà été touché à la tête par les tirs de son pistolet, alors qu'il s'amusait en toute impudence avec son chien. Durant sa longue litanie d'innocence, je me plaisais à scruter ma mère ainsi que mes sœurs qui approuvaient religieusement de la tête d'un air compréhensif. Je ne comprendrai jamais la peur, en quelques secondes, elle vous enlève votre dignité, vos valeurs et vous convie à la table de votre pire cauchemar.
À chacun de ses mots, j'étais dangereusement d'humeur joyeuse, le type avait la verve facile quand même. Et quand ce fût le moment pour le pêcheur pardonné de prendre congé, ce fût tout naturellement que ma pauvre mère d'un ton solennel lui lança la bénédiction finale '' Fils, vous n'avez pas à vous inquiéter, nous comprenons parfaitement ce qui s'est passé, ce n'était pas de votre faute, franchement les fabricants d'armes à feu devraient faire attention et plus sécuriser leurs gâchettes, c'est de la malhonnêteté franchement de mettre sur le marché des pistolets aussi fragiles. Vous avez dû avoir une sacrée frayeur ! C'était un accident, je l'ai déjà déclaré à la police, allez vous reposer, vous devez être encore sous le choc ‘'.
Je fis la bise à l'assassin, les larmes muettes de ma maman désapprouvèrent le geste parce que c'était moi l'extra-terrestre. Derrière notre porte fermée à triple tour, je fus la seule à recevoir de véhémentes critiques, pour avoir commis ce sacrilège. Comme quoi, on pouvait pardonner le malheureux, et moi je n'avais pas le droit de l'accueillir et de l'embrasser pendant que la glace obèse pénétrait les moindres pores de mon père, déjà oublié par tout un quartier l'ayant vu grandir ?
Moi je suis différente, je l'ai toujours été. Pour ma mère, je resterai toujours une extra-terrestre, même après avoir rendu mon dernier souffle sur la tombe de mon père. Elle ne comprenait pas pourquoi pas j'étais partie, entourée de ces 10 cannettes de bière vide. Mon père avait toujours été un bon viveur, on aurait tous dû lui rendre ce dernier hommage à mon sens. Il s'en foutait de l'église, de ces hommes déguisés qui semblaient chaque matin, s'empiffrer au paradis et qu'ils prêchaient chaque jour à nos estomacs affamés la résignation en attendant d'y avoir accès nous aussi. Je ne comprenais pas pourquoi on s'était battu pour faire célébrer ses funérailles dans une église qui ne l'avait jamais aidé en quoi que ce soit toute sa vie, outre les sermons pompeux qui l'avait toujours condamné alors qu'il n'avait jamais vécu.
Dans la soucoupe volante qui m'emmenait vers mon autre planète, j'appris, à mon grand étonnement la mort de Bloc zo. La veille dans sa chambre, alors que je le contemplais dans son sommeil fétide de drogué, je voulus juste savoir s'il était humain. À l'école, on m'avait toujours appris que l'être humain avait un cœur qui contenait tous ses sentiments, pour moi, c'était normal de lui arracher le tien pour voir si ce dernier était identique aux autres. Dans ma soif de bien faire, je lui donnai par mégarde 50 coups de couteaux, en souvenir de mon père qui venait de célébrer le mois dernier ses 50 ans.
On annonçait dans les infos, qu'une jeune fille du ghetto, âgée de 15 ans, s'était suicidée sur la tombe de son père, le lendemain de ses funérailles alors qu'il venait tout juste de tuer l'assassin de ce dernier de 50 coups de couteau. Un cadavre de plus qui pullulait, telle de la mauvaise herbe, un autre recoin de ma ville dyssociale. Je ne voulais pas me suicider, mais c'était à ma grande tristesse la seule alternative si je voulais retrouver un semblant d'humanité. Sur la tombe de mon père, j'eus la stupidité de scruter mes mains. Et en dépit des gorgées de bière qui alourdissait mon esprit, je vis des tâches de sang sur mes mains, et j'eus peur. Peur d'avoir à mon tour perdu mon humanité, car on la perdait presque tous un jour ou l'autre dans mon pays. Certains l'enlevait, la déposait quelque part pour ne plus s'en rappeler, d'autres plus hardis la jetait tout simplement. Quoique je la sentis battre à toute vitesse dans ma poitrine, je voulus quand même m'en rassurer, après tout je venais d'une autre planète, peut-être que je n'en avais jamais eu. Peut-être qu'elle était tombée en poignardant Bloc zo? J'avais encore mon couteau entre les mains, je l'introduisis sans hésitation dans ma cage thoracique. Je ne vis pas mon cœur ce jour-là, alors que la vie s'échappait goutte à goutte de mon corps. Insensible à la douleur qui me tordait les trippes, je n'avais plus peur. J'entrevis bientôt, le visage souriant de mon père que je chérissais tant, ses yeux semblaient à la fois condamner et respecter mon geste. Nos douleurs, nos regrets en ce moment ne faisaient plus qu'un. J'adore ma mère, j'espère qu'elle me pardonnera et peut-être qu'avec moi, on enterrera ces monstres buveurs de sang qui nous ont détruit.
Pourquoi on a aimé ?
Parsemé d’humour noir, ce texte irrévérencieux traite, avec beaucoup d’ironie, de la condition de vie des Haïtiens. Empli de douleur, il
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Pourquoi on a aimé ?
Parsemé d’humour noir, ce texte irrévérencieux traite, avec beaucoup d’ironie, de la condition de vie des Haïtiens. Empli de douleur, il