Différente : la maîtresse ou moi ?

Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extra-terrestre.

J'ai toujours aimé ce qui n'est pas commun, le contraire de ce que les autres personnes « normales » de mon âge aiment ou font, mais ceci ne m'a pas empêché de m'entendre avec autrui. Nous sommes surement même tous différent, chacun est unique et je pense que ces différences font nos forces.

C'est en 2006, lorsque j'entrais en CP, que je me suis sentie différente pour la première fois. Ecoutant le bruit de la pluie qui tombait dans la cour de récréation, assise sur une chaise en bois, je me revois fixer le porte clé de l'alien Yoda dans Star Wars sur le bureau de la maîtresse, qui lui avait été offert puisqu'elle adorait la science-fiction mais surtout car tout le monde la voyait différente, toujours souriante et de bonne humeur. C'était pourtant moi qui allais devenir l'extra-terrestre.

Je venais d'entrer à l'école élémentaire et c'est ce qui, habituellement inquiète les parents de voir son enfant devenir « un peu plus grand », mais les parents sont par la suite rassurés une fois les premières semaines passées mais cette fois ci, l'inquiétude fut réelle et justifiée.

Je me souviens du jour où nous étions laissés sans surveillance dans la classe pendant quelques minutes, faisant une activité manuelle qui consistait à peindre des œuvres que nous avions réalisées avec les autres élèves. Comme il n'y avait personne pour vérifier que nous ne faisions pas de bêtises ou autre, nous en avons tiré profit pour jouer avec tout objet qu'il y avait à notre disposition, pinceaux, ciseaux, peinture bordeaux, feuilles de papier et éponges.

Et le pire aurait pu arriver, une chaise aurait pu se casser, un enfant aurait pu se blesser, mais ce qui s'est réellement passé c'est bien évidemment le chahut dans toute la classe qui a été causé, des pots de peintures vidés sur les tables, sur le bureau de la maitresse mais moi ce qui a attiré mon attention était le porte clé vert que j'admirais depuis plusieurs semaines.

Il était là devant moi, à comme me scruter et se languissait d'être sur ce bureau pendant des heures... « la maîtresse arrive ! » dit un de mes camarades, ni une ni deux j'attrapa le porte clé et tira pour le détacher des clés qui l'entouraient mais prise de panique je cassa le porte clé en porcelaine et le laissa par terre pour retourner à ma place sans que l'enseignante me voie.
Elle débarqua et vu le capharnaüm dans la salle, nos parents ont tous été convoqués par la suite mais ce qui lui avait surtout mis la puce à l'oreille était « son Yoda » en mille morceaux, et je me rappellerais à vie de ce camarade Théo qui avait révélé mon nom sous la pression, depuis ce jour-là, on avait vu un autre visage de cette dame aimante.

La semaine d'après, elle nous abhorrait tous, tout était devenu différent à part en dehors de cette salle de classe où elle laissait son « faux masque ». En rentrant de récréation, nous devons nous ranger par deux devant la classe, on était en décembre, le temps était glacial et mon écharpe a eu le malheur de se coincer dans la fermeture de ma parka rouge, « Range-toi tout de suite avec ton camarade au lieu de fracasser les objets » hurla-t-elle.
Je n'y arrivais pas et elle bouillonnait, elle s'approcha et m'attrapa par le col, me tira de force loin des portes manteaux en faisant en sorte de m'attraper des mèches de cheveux, je vis son regard noir et, offusquée je ne sus quoi dire et nous rentrons en classe, moi avec mon manteau que je réussis à ôter au bout de longues minutes.

Le soir même, je fis comme si de rien n'était car j'étais aveuglée par sa gentillesse, et obstinée à penser que ce n'était qu'une erreur de sa part, qu'elle n'avait pas voulu me heurter ou me faire mal. Je me voilais clairement la face, mais les jours qui suivaient, j'étais à chaque fois disputée et punie pour un oui ou pour un non, nous étions pourtant plusieurs à avoir salit la classe. J'avais changé aux yeux de l'institutrice, j'étais différente, on ne me voyait pas de la même manière et j'endossais toutes les actions de mes camarades qui révélait d'un manque de discipline, à moi toute seule.

Etant impassible de nature, la seule personne qui a su remarquer mon anxiété était ma mère, boule au ventre le matin, je me suis tu pendant plusieurs jours, pensant que c'était moi la fautive et que personne ne me croirait vu le profil de la femme, j'étais jeune mais quand même assez âgée pour comprendre la colère d'un adulte.
Mais pourquoi ? A cause d'un simple porte clé cassé ? On pourrait simplement le réparer ou en acheter un nouveau, mais pas un enfant.

J'en ai parlé à ma mère et le lendemain nous nous retrouvions ma mère, la directrice de l'école, l'enseignante et moi, pour en parler mais la maitresse a nié les faits et comme elle avait le don d'amadouer tout le monde, j'étais dorénavant considérée comme une menteuse à l'école.

Lorsque l'on fait confiance à un adulte, on a du mal à se dire que cette personne puisse faire une chose pareille, que c'est surement une erreur que cet enfant a beaucoup d'invention, surtout quand connait cette femme depuis des années. Alors, les adultes me dévisageaient quand ils l'ont appris, se disant que je suis un enfant qui a voulu ruiner cette personne, mais quel profit en aurais-je tiré et pourquoi vouloir cela ? C'est vrai que les enfants mentent parfois, mais pas que et j'en avais la preuve ce jeudi-là.

J'aurais voulu avoir un doute de la part des personnes extérieures, se dire que les chances que cette enseignante puisse mentir ne soient pas minimes. Alors, pendant ces mois-là, je changeais d'avis constamment auprès de ma famille et mes amis, disant que je m'étais trompée puis revenais sur ma position par peur qu'on ne me croit pas encore une fois.
J'ai par la suite demandé à mes parents s'ils pouvaient faire en sorte que je change de classe, ils m'ont répondu « peut-être », il faut savoir que « peut-être » est un adverbe composé mais aussi qu'il prend une tournure négative chez mes parents. Ils ont finalement décidé de demander ce changement et j'ai pu redevenir une enfant un peu moins différente des autres.

Je l'ai recroisée quatre ans plus tard, mais j'avais grandi et tout cela était déjà derrière moi le jour où cette maitresse n'a plus été la mienne. D'autres enfants ont témoigné car je n'étais pas la seule qui avait été prise comme victime, ils avaient été un vrai souffre-douleur, la vérité a été ensuite révélée et l'affaire résolue.

Mais pendant des mois j'ai paru totalement différente, seule, on ne m'a cru pourtant la vérité sort toujours de la bouche des enfants non ?