Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extraterrestre. Si les évènements n'étaient pas aussi chaotiques, elle m'aurait encore reproché mon incapacité à feindre le calme et à garder mes esprits.
Le faible tic-tac de ma montre devient une obsession, il me semble appartenir à une bombe à retardement. Ma jambe bouge avec frénésie. Avant que la foule postée devant le commissariat ne se jette sur moi, comme si j'avais été en apnée pendant 1O minutes, ma respiration se fait lourde, profonde et bruyante. Mais rien ne doit transparaître, surtout pas maintenant.
Je revois la maison de ma tante, à mes huit ans elle m'intimidait par sa grandeur. Spacieuse et lumineuse, elle frôlait même la perfection. Chaque article était astiqué, esthétique, parfait. Et puis dans une pièce un peu plus loin, il y'avait un tableau. Je n'avais jamais vu chose aussi laide. Non pas qu'il était foncièrement horrible, mais de chaque partie de son être émanait quelque chose qui jurait avec l'ensemble. C'était juste un chien, pas si mal réalisé mais pas non plus très bien représenté. Son visage avait été un peu raté et malgré les efforts du peintre, la malformation n'avait pas su être complètement dissimulée.
J'avais tout de suite aimé ce tableau. Qui aurait cru, que chez la petite dame d'une cinquantaine d'années qui transpirait la rigidité dorée, j'aurais trouvé pareille étrangeté. Quelque chose qui comme moi n'était pas forcément gâché mais détonnait face au reste du décor.
En proie à un élan de compassion... J'avais ressenti le besoin de lui donner un environnement dans lequel il serait à sa place. C'est-à -dire un endroit où tout serait d'une banalité criante et où le talent naissant qui était exprimé aurait pu ressortir.
Mais voilà ce qu'elle m'a répondu : « Je l'aurais donné volontiers. Mais il m'est tout simplement impossible de m'en séparer. Au fil des années j'ai fini par m'y attacher. Dans la vie il y'a toujours une pièce qui ne va pas avec les autres. Un peu comme toi. On veut s'en séparer, mais à force de fréquenter son étrangeté on finit par s'y habituer, presque à s'y attacher. »
N'importe quel autre enfant se serait senti insulté, voire méprisé ou même mal aimé si on le comparait à une telle chose. Mais pour moi ça n'avait pas une connotation péjorative. Elle disait la vérité. A ce moment elle est devenue ma tante préférée. Et même si elle semble être dérangée par ma présence, je sais qu'elle ne peut pas s'en passer.
Trois ans plus tard, elle était assise, dans son salon, sur son canapé noirci par les flammes et m'avait dit le sourire aux lèvres : « J'avais besoin de refaire le décore alors j'ai allumé un petit feu ». Dans la pièce au bout du couloir, le tableau était toujours là. Le seul à avoir été épargné par les flammes.
La semaine dernière : les lumières scintillaient dans la pièce, tout se voulait d'un blanc immaculé. Toute «la famille » était prête et avait l'air de dominer tout le monde de sa grandeur. Chacun essayant d'être plus digne et beau que l'autre.
Mais il y a bien une personne dont la beauté dépassait tous ceux qui étaient présents. Chacun de ses mouvements semblent toujours être calculés et chacune de ses courbes semblent avoir été taillées par le plus grand des sculpteurs. Un peu comme ces statues antiques. Celles qui sont tellement blanches et immaculées que beaucoup ne savent pas qu'à un moment elles étaient colorées, et que pendant de nombreuses années elles avaient forme humaine.
Je ne dirais pas que je suis laide mais à côté de ma mère je suis... banale
- En quoi tout ça me concerne ? Va à l'essentiel.
-Monsieur l'agent, ce que je raconte est important pour comprendre comment et pourquoi c'est arrivé. Mais si c'est ce que vous voulez j'irai à l'essentiel. Ne le regrettez pas.
C'est en montant à l'étage que j'ai vu Céline, et ma mère se disputer. Puis, j'ai appris qu'il était mort. Et en un rien de temps tout a brûlé.
-Qui est Céline et qui est mort ? Approfondissez.
-Vous ne savez vraiment pas ce que vous voulez ! Maintenant il faut que je reprenne là où je m'étais arrêtée.
Deux jours après, une fête a été tenue. Tout était fait pour créer l'admiration. J'avais du mal à croire que quand ils avaient parlé d'une fête intimiste aux médias, ils parlaient de cette soirée avec plus de 400 invités, dont certains que je n'avais jamais vus de ma vie.
J'avais voulu défier le dress code et avais mis une robe rouge alors que tout le monde, était vêtu de blanc. Qui cette famille voulait tromper ? Même s'ils portaient les vêtements les plus blancs au monde, ça ne pourrait pas cacher la pourriture de leurs cœurs et l'odeur nauséabonde de l'argent qui finançait leurs projets.
J'avais envie d'afficher sous le regard de ma mère ma tenue alors je la cherchais du regard, les yeux pétillants d'impatience.
Elle parlait avec une femme que je ne connaissais pas. Elle était brune et avec des yeux d'un bleu profond, et lui ressemblait un peu. La conversation n'avait pas l'air d'être des plus joyeuses vue l'expression qui s'affichait sur le visage de ma mère malgré ses efforts pour rester de marbre.
Cette petite scène inhabituelle n'allait pas m'empêcher d'atteindre mon but. Alors je me dirigeais vers elles d'un pas assuré.
Suivie de ma mère, la petite femme s'est brusquement dirigée à l'étage. Je n'étais qu'à quelques centimètres. Mais elles ne m'avaient pas remarqué.
- « Céline tu oses dire être ma sœur après ça ?»
Jamais des émotions aussi vives n'avaient été vues sur son visage.
- « Il était dans une bonne famille, et il était très heureux. »
- « Vraiment ? Plus que s'il était avec sa mère ?! Je t'assure que je me retiens de te tuer !»
La tristesse était tellement forte que sa voix tremblait.
Elles sont rentrées dans une salle mais elles criaient si fort que je pouvais entendre.
- « Tu sais très bien que ton fils n'aurait jamais été accepté. Il aurait vécu comme un étranger dans cette famille. Même ton richissime mari était au courant ! Donc je ne suis pas la seule à blâmer. Et puis maintenant que l'enfant est mort c'est trop tard !»
J'ai toujours cru être fille unique. Personne ne m'avait parlé d'un frère. La curiosité me démangeait tellement que je suis rentrée.
Ma mère avait l'air détruite. Elle semblait si fragile.
Voir les mille émotions qui traversaient son visage m'a coupé dans mon élan. Je ne pouvais rien dire, rien demander.
Les révélations reçues étaient trop lourdes. Elle s'était levée sans dire un mot, poussée par un puissant sentiment de trahison et d'échec.
Je la suivais toujours sans savoir quoi dire ou même quoi faire. Elle alla dans le jardin. Saisie un bidon rouge duquel émanait une forte odeur d'essence.
Vu la colère que l'on pouvait lire sur son visage, elle s'apprêtait sûrement à faire quelque chose de fou. Mais je me sentais comme happée par les évènements et par l'atmosphère indescriptible qui régnait. J'étais incapable de faire quoi que ce soit.
En un rien de temps. Elle avait semé le liquide, craqué une allumette qu'elle avait prise je ne sais où. Et elle l'avait lâché. Les flammes commençaient à se frayer un chemin dans une ligne parfaite. Ravageant tout sur leur passage. Et alors qu'elle laissait son cœur s'embraser et exprimer des émotions plus fortes les unes que les autres, nos regards se sont croisés.
Pendant ce court instant, j'avais pu déceler la même lueur que celle que j'avais perçue dans les yeux de ma tante préférée. Cette envie de tout redécorer... comme si tout ce qui aux yeux des autres était grand avait été totalement gâché. A croire que la pyromanie était de famille...
A ce moment, tout comme moi, elle avait rejoint les rangs des extraterrestres. Elle avait laissé paraître sur ses parois de marbre des couleurs humaines, plus vives que le feu.
- Je vous assure qu'elle n'avait pas l'envie de tuer ! Juste l'envie de tout refaire. Un peu comme un potier qui en sortant son vase se rend compte qu'il est fêlé et ne peut que se résoudre à le brûler.
Le faible tic-tac de ma montre devient une obsession, il me semble appartenir à une bombe à retardement. Ma jambe bouge avec frénésie. Avant que la foule postée devant le commissariat ne se jette sur moi, comme si j'avais été en apnée pendant 1O minutes, ma respiration se fait lourde, profonde et bruyante. Mais rien ne doit transparaître, surtout pas maintenant.
Je revois la maison de ma tante, à mes huit ans elle m'intimidait par sa grandeur. Spacieuse et lumineuse, elle frôlait même la perfection. Chaque article était astiqué, esthétique, parfait. Et puis dans une pièce un peu plus loin, il y'avait un tableau. Je n'avais jamais vu chose aussi laide. Non pas qu'il était foncièrement horrible, mais de chaque partie de son être émanait quelque chose qui jurait avec l'ensemble. C'était juste un chien, pas si mal réalisé mais pas non plus très bien représenté. Son visage avait été un peu raté et malgré les efforts du peintre, la malformation n'avait pas su être complètement dissimulée.
J'avais tout de suite aimé ce tableau. Qui aurait cru, que chez la petite dame d'une cinquantaine d'années qui transpirait la rigidité dorée, j'aurais trouvé pareille étrangeté. Quelque chose qui comme moi n'était pas forcément gâché mais détonnait face au reste du décor.
En proie à un élan de compassion... J'avais ressenti le besoin de lui donner un environnement dans lequel il serait à sa place. C'est-à -dire un endroit où tout serait d'une banalité criante et où le talent naissant qui était exprimé aurait pu ressortir.
Mais voilà ce qu'elle m'a répondu : « Je l'aurais donné volontiers. Mais il m'est tout simplement impossible de m'en séparer. Au fil des années j'ai fini par m'y attacher. Dans la vie il y'a toujours une pièce qui ne va pas avec les autres. Un peu comme toi. On veut s'en séparer, mais à force de fréquenter son étrangeté on finit par s'y habituer, presque à s'y attacher. »
N'importe quel autre enfant se serait senti insulté, voire méprisé ou même mal aimé si on le comparait à une telle chose. Mais pour moi ça n'avait pas une connotation péjorative. Elle disait la vérité. A ce moment elle est devenue ma tante préférée. Et même si elle semble être dérangée par ma présence, je sais qu'elle ne peut pas s'en passer.
Trois ans plus tard, elle était assise, dans son salon, sur son canapé noirci par les flammes et m'avait dit le sourire aux lèvres : « J'avais besoin de refaire le décore alors j'ai allumé un petit feu ». Dans la pièce au bout du couloir, le tableau était toujours là. Le seul à avoir été épargné par les flammes.
La semaine dernière : les lumières scintillaient dans la pièce, tout se voulait d'un blanc immaculé. Toute «la famille » était prête et avait l'air de dominer tout le monde de sa grandeur. Chacun essayant d'être plus digne et beau que l'autre.
Mais il y a bien une personne dont la beauté dépassait tous ceux qui étaient présents. Chacun de ses mouvements semblent toujours être calculés et chacune de ses courbes semblent avoir été taillées par le plus grand des sculpteurs. Un peu comme ces statues antiques. Celles qui sont tellement blanches et immaculées que beaucoup ne savent pas qu'à un moment elles étaient colorées, et que pendant de nombreuses années elles avaient forme humaine.
Je ne dirais pas que je suis laide mais à côté de ma mère je suis... banale
- En quoi tout ça me concerne ? Va à l'essentiel.
-Monsieur l'agent, ce que je raconte est important pour comprendre comment et pourquoi c'est arrivé. Mais si c'est ce que vous voulez j'irai à l'essentiel. Ne le regrettez pas.
C'est en montant à l'étage que j'ai vu Céline, et ma mère se disputer. Puis, j'ai appris qu'il était mort. Et en un rien de temps tout a brûlé.
-Qui est Céline et qui est mort ? Approfondissez.
-Vous ne savez vraiment pas ce que vous voulez ! Maintenant il faut que je reprenne là où je m'étais arrêtée.
Deux jours après, une fête a été tenue. Tout était fait pour créer l'admiration. J'avais du mal à croire que quand ils avaient parlé d'une fête intimiste aux médias, ils parlaient de cette soirée avec plus de 400 invités, dont certains que je n'avais jamais vus de ma vie.
J'avais voulu défier le dress code et avais mis une robe rouge alors que tout le monde, était vêtu de blanc. Qui cette famille voulait tromper ? Même s'ils portaient les vêtements les plus blancs au monde, ça ne pourrait pas cacher la pourriture de leurs cœurs et l'odeur nauséabonde de l'argent qui finançait leurs projets.
J'avais envie d'afficher sous le regard de ma mère ma tenue alors je la cherchais du regard, les yeux pétillants d'impatience.
Elle parlait avec une femme que je ne connaissais pas. Elle était brune et avec des yeux d'un bleu profond, et lui ressemblait un peu. La conversation n'avait pas l'air d'être des plus joyeuses vue l'expression qui s'affichait sur le visage de ma mère malgré ses efforts pour rester de marbre.
Cette petite scène inhabituelle n'allait pas m'empêcher d'atteindre mon but. Alors je me dirigeais vers elles d'un pas assuré.
Suivie de ma mère, la petite femme s'est brusquement dirigée à l'étage. Je n'étais qu'à quelques centimètres. Mais elles ne m'avaient pas remarqué.
- « Céline tu oses dire être ma sœur après ça ?»
Jamais des émotions aussi vives n'avaient été vues sur son visage.
- « Il était dans une bonne famille, et il était très heureux. »
- « Vraiment ? Plus que s'il était avec sa mère ?! Je t'assure que je me retiens de te tuer !»
La tristesse était tellement forte que sa voix tremblait.
Elles sont rentrées dans une salle mais elles criaient si fort que je pouvais entendre.
- « Tu sais très bien que ton fils n'aurait jamais été accepté. Il aurait vécu comme un étranger dans cette famille. Même ton richissime mari était au courant ! Donc je ne suis pas la seule à blâmer. Et puis maintenant que l'enfant est mort c'est trop tard !»
J'ai toujours cru être fille unique. Personne ne m'avait parlé d'un frère. La curiosité me démangeait tellement que je suis rentrée.
Ma mère avait l'air détruite. Elle semblait si fragile.
Voir les mille émotions qui traversaient son visage m'a coupé dans mon élan. Je ne pouvais rien dire, rien demander.
Les révélations reçues étaient trop lourdes. Elle s'était levée sans dire un mot, poussée par un puissant sentiment de trahison et d'échec.
Je la suivais toujours sans savoir quoi dire ou même quoi faire. Elle alla dans le jardin. Saisie un bidon rouge duquel émanait une forte odeur d'essence.
Vu la colère que l'on pouvait lire sur son visage, elle s'apprêtait sûrement à faire quelque chose de fou. Mais je me sentais comme happée par les évènements et par l'atmosphère indescriptible qui régnait. J'étais incapable de faire quoi que ce soit.
En un rien de temps. Elle avait semé le liquide, craqué une allumette qu'elle avait prise je ne sais où. Et elle l'avait lâché. Les flammes commençaient à se frayer un chemin dans une ligne parfaite. Ravageant tout sur leur passage. Et alors qu'elle laissait son cœur s'embraser et exprimer des émotions plus fortes les unes que les autres, nos regards se sont croisés.
Pendant ce court instant, j'avais pu déceler la même lueur que celle que j'avais perçue dans les yeux de ma tante préférée. Cette envie de tout redécorer... comme si tout ce qui aux yeux des autres était grand avait été totalement gâché. A croire que la pyromanie était de famille...
A ce moment, tout comme moi, elle avait rejoint les rangs des extraterrestres. Elle avait laissé paraître sur ses parois de marbre des couleurs humaines, plus vives que le feu.
- Je vous assure qu'elle n'avait pas l'envie de tuer ! Juste l'envie de tout refaire. Un peu comme un potier qui en sortant son vase se rend compte qu'il est fêlé et ne peut que se résoudre à le brûler.