De Manuella à Manuel

Moi, je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère c'est comme si j'étais un extraterrestre.

Cet enfant bizarre que l'on cache ou qu'on désavoue en public.
Cet enfant dont l'identité nous laisse perplexe.

Les gens me décrivaient comme une "femme-garçon" juste parce que j'avais une voix plus grave que les filles de mon âge, une démarche dite d'homme et un style encore dit style d'hommes.
Je ne sais vraiment pas comment nous arrivons à rapporter chaque caractéristiques humaines à un genre spécifique.
Une voix grave est égal à une voix d'homme,
Un peu de muscles et hop vous avez un corps d'homme.
Une coupe de cheveux coupée ras ? Bingo ! Vous avez une coiffure d'homme.

Moi, j'ai une voix "d'homme", une démarche "d'homme", un style "d'homme" dans un corps de femme sauf que vous aurez préféré que je vous dise que malgré toutes ses caractéristiques, je me sens femme n'est-ce pas ?

Eh bien non! Tout comme ma mère, vous serez déçu de savoir que je me sens homme.
Suis-je transgenre ? Je n'ose pas me prononcer.
Suis-je non-binaire ? À cette question je peux répondre que non.

Le plus important c'est qu'aujourd'hui, je rentre dans mon pays avec ma compagne.
Notre couple est très atypique car Yahara est Sénégalaise et musulmane et moi, je suis ivoirien et chrétien.
Ce petit bout de femme aawo au teint ébène et au sourire ravageur me fait fondre.
Nous sommes en couple depuis trois ans et je n'ai jamais été aussi heureux de ma vie.

Nous avons célébré notre mariage religieux à Dakar avec toute sa famille.
C'était magnifique !
Vous vous demandez bien comment nous avons réussi à convaincre sa famille.
Je me suis faite passer pour un homme, quelques tours de bande pour applatir une poitrine presque inexistante , un petit coussin dans la culotte pour donner du volume et pour le reste comme le dit le dicton ivoirien «c'est Dieu donné» vu que je possède déjà des attributs d'hommes.

Sa famille a été conquise par mon charisme et ma supposée fortune.
Nous avons fait bombance dans Dakar durant quatre jours avant de prendre notre vol pour Abidjan.

L'avion vient d'atterrir à l'aéroport Félix Houphouët Boigny d'Abidjan.
«Oh bel Abidjan métropole, que tu ressembles à Montréal. Abidjan tu as le monopole comme ton peuple est si loyal» a chanté Tabu Ley Rochereau

Je vois des étoiles dans les yeux de Yahara. Elle n'est jamais venue à Abidjan.
Elle s'esclaffe à chaque carrefour,
«bébé regarde!», «c'est beau», «On pourra vivre à Abidjan n'est-ce pas ?».

Je souris. Je me demande si elle le fait exprès ou a-t-elle oublié que nous sommes en Afrique et que l'homosexualité est prohibée ?.
J'ai bien envie de lui répondre que cela ne sera pas possible mais ce serait placer une ombre de plus sur notre tableau déjà très sombre.

Je regarde Yahara, elle est tellement belle.
Je soupire. Comment réagira ma mère ?
Elle a accompagné une jeune femme à l'aéroport et elle retrouvera un jeune homme en face d'elle.
Tante Aïda m'a demandé d'y aller doucement.
Y aller doucement ? Comment ? En mettant une robe et des talons pour lui annoncer que j'ai commencé ma transition depuis deux ans et que je suis maintenant un homme marié ?
Ce sera dur. Très dur ai-je murmuré.
-Qu'est ce qui sera dur mon cœur ?

-Rien ma princesse, allez viens dans mes bras.

Son parfum qui d'habitude m'apaise n'eût pas le même effet à ce moment-là.

Le taxi est désormais sur la voie menant au domicile de maman.
Pourquoi ai-je voulu descendre ici? Nous aurions dû descendre dans un hôtel et moi je devrai préparer le terrain avec maman. Zut!
Le taxi se gare devant la maison.
Elle est plus imposante que dans mes souvenirs, je prends peur.
Les fleurs qui recouvrent le mur ont l'air de tentacules prêtes à bondir sur leur proie.
La clôture toujours aussi haute que celle d'une prison a été construite ainsi pour éviter que je fasse le mur.

J'inspire profondément avant de donner quelques coups à la porte.
Yahara se met instinctivement derrière moi. Je souris encore. Elle sait disparaître quand il le faut.

La porte s'ouvre.
-Bonsoir Moussa, ma mère est là ?

- Votre mère , monsieur ?

Je souris.

-Moussa c'est moi, Manuella.

-Mademoiselle Manuella ?

-Oui Chef Moussa. Je ne vous remercierai jamais assez pour m'avoir couvert toute les fois où je suis rentrée ivre morte de mes soirées.

-C'est vraiment vous mademoiselle euh... monsieur.

Je lui donne une tape sur l'épaule.

-Ma mère est là ?

-Oui, elle vous attend dans le salon.

-Merci.

Yahara et moi empruntons le chemin de la salle de séjour.
Plus nous avançons, plus mon cœur se serre et comme si Yahara le ressentait, elle me serre la main.
C'est elle, ma bonbonne d'oxygène en ce moment.
Nous sommes face à la porte.
Mon épouse et moi nous nous faisons face et inspirons profondément.
Tu es fort mon amour me dit-elle.
Elle me fait un bisou puis se met derrière moi.

J'ouvre la porte, maman est là, assise sur une chaise face à la porte, le sourire qui se dessinait sur son visage s'est éteint.

-Qui êtes-vous Monsieur ?

-...

-Monsieur ?? Moussa? Moussa? se met-elle à crier

-Maman...

-Qui est votre mère jeune homme ?

-Maman, c'est moi, Manuella.

-Si c'est une blague elle est de très mauvais goût

-Non maman, c'est bien moi Nuella.
Papa est mort peu de temps après ma naissance, tu disais que je lui ressemblais. Mémé et toi m'appeliez Robert Junior en mémoire de papa.

Les yeux de maman se remplissent de larmes.
-Tu te souviens qu'à l'école primaire je refusais de mettre des robes parce que je les trouvais trop lourdes et pas commodes pour courir ?

- Assez! Je ne veux plus rien entendre.
C'est donc pour ça que tu refusais de m'envoyer tes photos depuis deux ans.
Es-tu donc aussi lâche Manuella?

-Maman, je voulais juste le dire en face ?

-Qu'est-ce que ça aurait changé?Aurais-tu arrêté de te détruire ? Et de faire souffrir mon cœur de mère ? Regarde ton amie derrière toi. Mademoiselle, venez svp.

Yahara avance.

-Regarde là Manuella ! Regarde là ! Ce corps ne te plaît pas ? Cette belle robe ne te donne pas envie ?
ce beau rouge à lèvre serait-il laid sur tes lèvres ?

-Maman, j'aime ce corps, j'aime cette robe, j'aime ce rouge à lèvres et ce que j'aime plus que tout là personne qui porte toutes ses choses.

-Que suis-je sensée comprendre?

-Maman, c'est Yahara et c'est beaucoup plus qu'une amie. C'est mon épouse

-Pardon Manuella ? Tout sauf ça ! Tout sauf ça !

-Mamaaaaaaan !!

Ma mère venait de s'écrouler, elle suffoquait et disait des choses incohérentes.
Yahara est sortit appeler Moussa, celui-ci lui a remis la clé de la voiture de maman.
Moussa la porte jusque dans la voiture.

Je pleure et je formule cette prière :
Seigneur, Moi, je suis différent. Je l'ai toujours été. Pour ma mère c'est comme si j'étais un extraterrestre mais s'il te plaît je ne veux pas être la cause de sa mort. S'il te plaît mon Dieu.