Dans le mauvais corps

Moi je suis différent. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais un extra-terrestre. Mais elle n'est pas la seule. Que toutes ces personnes pensent que je ne suis pas normale m'importe peu. Je vois leur regard méprisant dans mon dos, leurs regards condescendants, ils m'épient tous comme si j'étais un phénomène, une bête de foire. J'entends leurs murmures, le tintamarre de leur silence. Et je suffoque. J'aimerais leur crier mon humanité. Comme eux j'ai un cœur qui bat, comme eux du sang coule dans mes veines. J'éprouve moi aussi des sentiments, je ressens moi aussi des émotions. Ai-je demandé à être moi ? ai-je demandé à naître ainsi ? Naître dans le corps d'un autre, naitre dans le corps d'un homme moi qui suis profondément femme. Je donnerais tout pour éviter leurs regards, pour fuir ce pays.
J'ai à l'esprit l'image de ces mamans qui pour éviter que leur jeune enfant me regarde, cachent son visage avec leur main. Je les vois mais je les ignore. Parce que je suis forte. Je ne leur donnerai pas la satisfaction de voir les meurtrissures de mon cœur, je refuse qu'ils voient comme je suis atteint par leur indifférence.
Cette histoire aurait pris une autre tournure si ma mère était comme toutes ces mamans qui soutiennent leurs enfants malgré leur différence. Chez nous en Afrique une mère est un appui, un soutien sans faille. Elle vous porte, vous dit combien vous êtes belle. Elle vous accepte comme vous êtes. Et lorsque tous vous rejettent, rien ne vaut les bras d'une mère. Maman est une femme bien différente.
« Seigneur c'est donc le prix que tu réserves à ceux qui te servent et te dévouent leur vie?
J'ai tout fait bien, depuis petite je me suis toujours efforcée de t'honorer.
J'ai consacré ma vie à aider mes semblables, à les défendre. J'ai pris tous les sacrements pour honorer ta parole. Et voilà que tu me prives de ce que mon cœur désire le plus.
Mais pourquoi seigneur ? Dis-moi ce que je n'ai pas bien fait ?
Si comme Job tu souhaites me mettre à l'épreuve, je préfère te le dire tout de suite, je n'ai ni sa patience ni sa détermination. Aide moi père. Ôte l'opprobre par devers moi je t'en prie. Honore-moi comme je t'ai honoré toutes ces années. Qu'est donc une femme si elle ne peut concevoir ? qu'est donc une femme si elle ne peut donner la vie ? »
Mon père entendait cette prière régulièrement durant sept ans. Puis je suis né.

Un soir alors que je rentrais des cours je surpris une conversation houleuse entre maman et papa. Une conversation à mon sujet.
-Je ne te laisserais pas gâcher la vie de mon fils lançait mon père.
-Ton fils ? répliqua ma mère, furieuse. Mais tu n'as pas de fils François. Tu n'as jamais eu de fils. Je ne te donnerais jamais de fils. Ton fils est une fille.
-Peu importe ce qu'il est. C'est mon enfant et je l'aimerais toujours. Tu entends Magalie, toujours !
-Que vont penser les voisins ? ce monde là dehors n'est pas fait pour les gens comme lui. Il sera la risée de tous et moi sa mère en premier.
- On s'enfiche de ce que pensent les gens dehors, c'est notre enfant et notre rôle en tant que parents, ton rôle de mère c'est de le protéger et de l'aimer.
Aujourd'hui j'ai 20 ans. J'ai les formes d'une fille, des seins à la place des pectoraux. Je suis une femme dans le corps et dans l'esprit seulement voilà je n'ai pas le bon sexe. Une femme avec le sexe d'un homme. À l'école je vois leurs regards, dans la rue j'entends leurs jurons. Ont-ils seulement conscience de mon mal être. Ma vie est un calvaire. Ma mère a tort, Dieu m'a puni plus qu'il ne l'a puni elle.
J'aurais marché droit dans mes bottes, la tête haute narguant leur mépris, si cette femme que j'admire tant m'avait ordonné de lever la tête. Un seul mot bienveillant de sa part aurait suffi pour que je m'accepte, un seul regard de mère depuis que je suis adulte aurait suffi pour ôter tout ce poids de mes épaules. Comment puis-je envisager une opération chirurgicale, avec cette culpabilité qui me ronge et me tue à petit feu.
Pour ma mère je suis un montre.