Coup du destin

« Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extraterrestre ». Cela ne date pas aujourdhui. Quand j'étais encore une « boudourwa », une jeune fille, je faisais pleurer maman tous les jours. Je suis allée m'inscrire à la SIL quand j'avais dix ans. Une classe où j'étais l'une des deux filles présentes et j'occupais toujours le dernier banc.
En effet, le premier jour je suis allée trouver le « maloum », le maître de la classe ; je lui ai dit que je voulais fréquenter son école et que mon père ne le voulait point. Il m'a secrètement inscrite à ses frais et j'allais tout en me cachant.
La première semaine, je disais à mère que j'aimais passer la journée chez ma tante, Habibou , celle dont le mari avait voyagé pour N'djaména. Ma mère s'en félicitait puisque pensant que Habibou me donnait des leçons du souddou teggal(mariage) et cela continuait à la deuxième semaine . Papa, me demandait toujours en soirée comment se portait sa sur et je répondais juste « ça va » en pensant que je serais cuite le jour où il découvrirais que je n'y mettais pas pied.
Mon maître avait peur d'être pris et tué selon la tradition. C'est un monsieur gentil qui venait d'une autre région. Secrétaire du chef de mon village, il avait tous les problèmes et l'on l'accusait de vouloir dépraver la jeunesse.
Les jours passèrent et un jour maman commença à s'inquiéter de mon absence et m'annonça que le lendemain nous irions ensemble voir tante Habibou, question de se faire natter. J'ai cherché à lui enlever cette idée en lui disant :
-J'ai oublié maman, La tante va un peu mal et je pense que c'est la chaleur qui lui crée cette maladie.
-mal, qu'est-ce qu'elle a?
-Non, elle me disait que c'est sa voisine qui allait mal et qu'elle s'occuperait à lui faire la bouille demain.
Je ne savais pas mentir, j'étais encore naïve sur ce plan. Et Papa arriva soudain quand nous échangions avec maman. Fatigué, le vieillard revenait de la brousse où il passa ses journées à faire pâturer ses bufs. Il nous interrompu et nous montra une plaie sur son front. Il avait subi lattaque dun buf. Il se dirigea vers son boukarou , sa case, en ordonnant à maman d'amener de l'eau aux quelques têtes de cabris qui passaient la nuit dans ma chambre près de mon « arnaguo », mon lit en bois. Maman le fit vite et revint me dire:
-Dans ce cas, nous irons juste lui dire bonjour et moi je rentrerai.
Mon cur commença à battre et je lui ai avoué ce que je faisais, elle pleurait et m'a dit:
-Si ton père venait à lapprendre, nous serions, toutes deux chassées.
Soudain, un cri survint de la chambre de papa. Nous courûmes vers le lieu et trouvâmes que le vieil homme agonisait sous le choc de sa blessure. Et ce théâtre passa.
Après la mort de papa, pour moi c'était une joie, car cela me permettrait d'aller étudier et d'aller lire chaque soir chez mon amie Edwige, la nièce de notre maitre qu'on appelait « Elvize ».
Maman me laissa continuer l'école tout en s'inquiétant. Elle me proposa de me faire exciser et je suis allée à l'école demander à monsieur Komsa, mon maître qui refusa. Et jépousais lidée de mon maître en disant non à mère. Pour la première fois une fille disait non à la tradition. Pour certains la faute revenait à ma mère et pour dautre jétais dépravée par mon enseignant. Ma mère ne pouvait plus marcher tête haute dans le village. Car elle était pointée du doigt partout où elle allait. Et moi, cette situation ne me laissait pas indifférente mais il fallait que je continue avec les études.
A lâge de 15 ans, je venais datteindre la classe de CM1. Un homme de 56 ans se présenta à la maison et disait vouloir me prendre pour quatrième épouse. Ma mère était très contente car cétait là une occasion pour elle de se débarrasser dune diablotine qui a bouleversé toute son existence. Là encore je devais la décevoir car pour la priorité était dabord lécole. Surtout que le directeur mavait permis dêtre candidate au concours dentrée au lycée. Elle pouvait en mourir car pour elle, ce fut la goutte deau qui déborda le vase. Cest ainsi quelle ma reniée de la maison.
Jhabitais désormais chez mon maître, abomination totale ! Cétait la première fois quune fille loge chez un homme qui ne lavait pas encore doter. En plus il ne faisait pas parti de confession religieuse. Puisquil était kaado, un non musulman. Jétais devenue un sujet de débat pour les villageois. Mon maitre, lui, navait pas trop de problème. Normal, il nétait pas originaire de mon village.
Quelques mois plus tard, javais été déclarée admise au concours dentrée au lycée et jobtenais en même temps mon premier diplôme, le CEP. Pendant que je manifestais ma joie, une pensée me traversa lesprit, où jallais faire le lycée puisquil ny avait pas de lycée dans le village. Monsieur Komsa avait compris mon inquiétude, me fit venir et mannonça que jirai étudier à Tcholliré chez son grand frère avec Edwige, sa nièce. Je suis repartie voir ma mère pour lui annoncer la nouvelle. Elle refusa néanmoins de maccueillir. Je suis repartie en larme.
Au lycée jétais parmi les filles les plus brillantes de toutes les classes que jai eu à faire. Sept ans plus tard je devenais la première fille bachelière de larrondissement de Logone-birni. Mon village navait plus de mes nouvelles ; pas même ma mère dont-on mavait annoncée quelques années plutôt la cécité. Elle, me dit-on, avait tellement coulé des larmes après mon départ.

Monsieur Komsa qui était déjà à la retraite navait plus assez de moyens pour minscrire à luniversité. Je pensais que mon parcours académique allait sarrêter là. Cest alors que mon proviseur mannonce au grand jour que je bénéficiais dune bourse du gouvernement pour trois ans. En fait cette bourse était destinée à tout élève ayant obtenu une moyenne supérieure ou égale à 15 aux examens baccalauréat. Cest comme ça que je me retrouve à étudier le droit à luniversité de Yaoundé où jobtiendrais une licence en droit de la personne. Lhomme que javais rencontré un an plutôt venait de me faire une demande en mariage. Il était à lépoque le sous-préfet de Yaoundé II. Jai accepté sa demande et lui ai proposé de maccompagner au village, histoire de le présenter à ma famille. Même comme jentretenais une relation délicate avec cette dernière.

Nous voici arrivés au village, mon fiancé et moi sortions de la voiture, une PRADO noire. Tous les regards étaient rivés sur nous. Les gens se demandèrent de partout « mais qui sont ces gens ? ». Seule une personne mavait reconnue ; cétait ma tante Habibou. Elle coula les larmes, savança vers moi et me prit entre ses bras. Je fus ébahie, moi qui mattendais déjà au pire, au rejet. Nous nous rendîmes chez ma mère, qui directement ma reconnu par la voix.

Ma fille où étais-tu tous ces temps ? ne tai-je pas manquée ? me demandait ma mère.

Javais quand même peur de cette passivité. Quest-ce qui a bien pu se passer pour que cette femme qui autre fois mavait rejetée me reçoive aussi chaleureusement aujourdhui ? Est-ce parce que je lui avais manquée ? Certainement pas ! En effet, cétait à cause du nouveau chef, un professeur des lycées qui a réussi à changer les mentalités villageoises jadis rétrogrades au sujet de la jeune fille. Un océan de larme nostalgique quelque fois rouge, quelque fois blanche se creusa. Des musiques de regret sélevèrent.

Apres le théâtre des excuses, ma tante sinterrogea au sujet de mon compagnon du jour. Je fis donc les présentations.

Le lendemain, ma mère sera conduite à lhôpital de Lagdo où se fera opérer les yeux et retrouvera la vue. Mon mariage fut célébré quelques mois après ; et nous irions vivre avec ma mère à Yaoundé. Je continuais mes études jusquà obtenir un doctorat en droit international.
Je vais plus tard connaitre la joie dêtre mère. Jai eu des jumeaux, Komsa en mémoire de mon maitre du primaire et Mahahat en mémoire de mon père.