Coquille vide

Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extraterrestre. C'est ce qu'elle m'a toujours répété dans un rire gêné. Maintenant qu'elle n'est plus, je me demande si elle n'avait pas raison au fond. Je ne pleure pas, jamais, de toute ma vie même à ma naissance je n'ai laissé couler une goutte de mes yeux. À son enterrement ça ne fait aucunement exception. Ma sœur jumelle verse un flot de larmes et je ne peux que l'étreindre dans mes bras car l'accompagner dans sa complainte m'est impossible. Je suis vide. Je ne détestais pourtant pas ma mère, je l'aimais comme n'importe quel enfant aime celle l'ayant mis au monde. Elle n'était pas mauvaise, loin de là, elle était aimante et nous aimait toutes les deux mais, de manière différente. Ma sœur, Anne, est aussi légèrement hors des normes, elle est emplie d'un surplus d'émotions tandis que moi je n'en ai presque pas, elle me les a sûrement volées quand nous étions toutes deux dans le ventre, si c'est le cas, je ne lui en veux pas. Elle est la seule qui me comprenne, qui m'accepte tel que je suis, notre propre mère ne pouvait y arriver et mon père ne s'étant jamais montré, je ne peux dire ce qu'il pense d'Anne et moi. Il ne semble pas s'intéresser de notre sort et je ne m'intéresse pas du sien, nous voilà donc orphelines. Comment dois-je réagir ? Ces personnes pleurent ma génitrice et je ne ressens rien. Elle a finalement dû se tromper, je ne suis pas une extraterrestre car même eux doivent ressentir une émotion à la mort d'un proche. Moi je ne suis, Je ne suis qu'une coquille vide. Je me demande si en restant auprès de ma sœur, je pourrais me procurer un peu de sa peine. J'aimerais pleurer ma mère, je ne possède que peu d'émotion mais j'ai des sentiments. Je l'aimais. Elle ne parvenait pas à me voir comme les autres enfants, elle devait sûrement se demander pourquoi elle était tombée sur celle qui n'était pas comme les autres. Je ne montre que peu d'affection envers autrui, ça n'a jamais voulu dire que je déteste tout le monde mais elle est partie avant que je n'ai pu lui en parler.
L'enterrement se finit, ma sœur et moi dormons chez nos grands-parents qui sont nos tuteurs légaux à présent. Je ne les apprécie pas, ils sont vulgaires et avides mais au moins contrairement à moi, ils peuvent soutenir Anne. Ils ont perdu leur fille et récupèrent ses enfants si étranges, je le sais ils ne m'aiment pas non plus mais je me fiche bien de mon sort si ma sœur peut être heureuse ici, elle est la plus humaine de nous deux, c'est elle qui mérite d'être remplie d'amour, pas moi. Elle me frapperait sûrement si elle savait ce que je pense, mieux vaut me taire pour le moment, elle pleure déjà beaucoup, je ne devrais pas lui rajouter de mal. Avec son hyper sensibilité, les larmes ne quittent presque jamais ses yeux. Elle éclate en sanglots quand elle est triste, emplie de joie, surprise, dégoutée. Elle est comme ça, certains l'apprécient pour être si facilement touchée et d'autres la détestent pour ses mêmes raisons, mais je suis toujours là pour la protéger de ceux qui lui veulent du mal. Je ne suis née que quelques heures avant elle mais je reste sa grande sœur même si je n'ai pas d'émotion ou d'affection à lui offrir.
Le soir vient, Nous nous installons chacune dans notre lit dans la même chambre. Ça ne me dérange pas habituellement, pourtant je ne peux lire tout en l'entendant pleurer à mes côtés, encore une fois je ne sais pas quoi faire, je ne peux pas pleurer avec elle ou comprendre ce qu'elle ressent. Je me redresse pour la regarder et remarque alors que ses yeux sont déjà en train de m'attendre. J'ouvre mes bras car ils sont pour elle une consolation que je peux lui permettre, mais elle secoue vivement la tête pour protester.
-Non, si tu me fais un câlin nous cachons mutuellement notre visage et je ne veux pas ça.
Je ne crois pas comprendre ce qu'elle veut alors. Elle colle son front contre le mien et me regarde intensément, elle attend quelque chose de moi... C'est la première fois.
-Est-ce que tu ne ressens rien du départ de maman ?
-Je ne crois pas...Je n'ai jamais ressenti grand-chose, je ne peux même pas pleurer pour elle comme tu le fais. Dis-je en détournant mon regard.
-Mais n'as tu pas ce pincement, ce manque au cœur ? Elle est partie et plus jamais nous n'aurons ses caresses, ses sourires, ses blagues, ses gâteaux et, et- Elle fond à nouveau en larmes en plongeant sa tête sur mon épaule, je me mets à caresser son dos. Je n'ai pas ce pincement moi.
-Essayes-tu de me donner de ta peine ? Demande-je après réflexion.
-OUI ! Beugle-t-elle dans le creux de mon épaule. Je sais que tu n'es pas comme les autres mais j'aurai aimé te consoler toi aussi, tu ne peux pas ne rien ressentir, ce n'est juste pas possible de rester comme une pierre face à cette situation. Maman a tout fait pour nous, comment peux-tu être aussi froide ? Ne te soucie tu pas de tous ses instants quotidiens que nous ne pourrons plus vivre sans elle ? Les soirées toutes les trois, nos anniversaires, je t'en prie réagis, ne fait pas comme si tout allait se dérouler de la même manière sans elle ! S'exclame-t-elle se détachant de moi et retournant sur son lit, sûrement vexée.
-Je sais que ça ne sera plus pareil mais tu ne-
-Est si je mourrais aussi, tu ne ressentirais rien, nous ne représentons rien à tes yeux ? sommes-nous juste des personnes insignifiantes, tu ne serais donc pas triste d'être seule au monde ? Que tous ceux que tu aimes et t'aimant en retour meurent autour de toi. Si tu mourais, je serais anéantie mais qu'en est-il de toi ?
-Je ne ressentirais sûrement rien, ce n'est pas de ma faute, je ne peux rien y faire si je suis vide, tu le s-
-Tu n'as pas de cœur. Me coupe-t-elle dans un murmure.
-Anne....
Elle me noie dans ses mots, est ce que notre lien s'est brisé avec la mort de notre mère ? Elle est censée me comprendre et elle ne me comprend pourtant plus. Elle devrait savoir que je ne suis pas froide, que j'ai un cœur mais qu'il ne sait pas s'exprimer. Si elle-même ne m'accepte plus, je serai toute seule dans ce monde qui ne parvient pas à comprendre ma différence. Je n'y suis pour rien, moi aussi j'aimerais ressentir des émotions, rire aux éclats, pleurer toutes les larmes de mon corps mais je ne peux pas, c'est comme ça. Est ce que ma vie va se perpétuer de cette manière à présent ? Sans personne à mes côtés ? Si c'est le cas, je crois que... Je crois que ma mère va finir par manquer.