Moi je suis différent. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais un extraterrestre. D'ailleurs il m'arrive aussi de le croire. Plus souvent d'ailleurs. Et j'adore cela.
J'exerce aux Cliniques comme médecin stagiaire depuis un mois de cela. Les heures du début de service sont bien connues, mais pas celles de la fin. Et moi, je n'ai aucun problème avec cela.
J'aime bien surtout quand je suis à la consultation externe. Les autres stagiaires s'y ennuient beaucoup. Ils disent que les malades se plaignent de tout. Mais c'est le lieu où on peut
facilement écouter les problèmes des patients. Et moi, j'adore cela.
Maux de couples, cruauté de la vie, douleurs de l'amour... Moi je ne connais rien de ces expériences-là, si ce n'est leurs répercussions sur les maux que je traite. Alors, quand on me les raconte le long des journées, je me permets de rêver que, un jour, cela sera mon tour de vivre une belle histoire. Une histoire parsemée des pétales et des roses. Une histoire sans embûches. C'est sûr que j'adorerais cela.
Ce matin-là, j'avais des paupières lourdes, je n'avais fermé l'œil de toute la nuit. Une farandole des petites urgences s'était succédé durant toute cette nuit de garde. Il m'arrivait de somnoler des temps en temps. Je surfais tantôt sur Whatsapp, tantôt sur facebook pour lire des nouvelles
sur la politique du pays. Disons que la politique c'est stressant et j'avais besoin de ce stress pour garder l'esprit discrètement éveillé. Je me permettais bien cela.
Une brusque ouverture de la porte m'a tout d'un coup fait sursauter. C'était la première fois où je n'avais vu venir personne. Mon téléphone a glissé de mes mains sans que j'y prête attention. Je n'avais ouï ni toquer à la porte, ni des pas approcher. Elle était statufiée là tout d'un coup devant mon bureau. Comme si elle était tombée du ciel. Je l'ai zieutée, un vague
plaisir a traversé mon cœur. J'ai adoré cela.
Elle ne m'était pas inconnue. Il y a plus d'une semaine, elle était encore venue. Les autres stagiaires et moi l'avions tous remarquée à son entrée. Elle était belle à couper le souffle, à étouffer... D'une voix inondée de douceur, elle avait sollicité une consultation. Nous nous étions hâtés de l'installer. Tenir un premier dossier était un travail de titan et de fourmi. Elle avait patienté et nous a tolérés le temps de nous référer aux archives. D'habitudes, beaucoup de patients se montrent réticents à l'idée que les stagiaires les consultent. Ils ne nous font pas beaucoup confiance. Mais elle, elle avait patienté tout doucement et pardonnait volontiers nos maladresses d'apprentis et répondait tout bonnement à nos questions qui fusaient de partout. Son mal était profond, mais elle essayait des temps en temps de l'esquiver
par un sourire. Ce sourire qui déshabillait notre concentration et nous faisait parfois déstabiliser l'objectivité que nous devrions avoir. « Prenez soins de vous. Encore une fois merci. Je reviendrai », avait-elle ajouté, nous jetant un clin d'œil complice et coquin, avant de nous dire au revoir et de s'en aller. Les autres stagiaires avaient continué à marmonner sur elle pendant quelques minutes ensuite, avant de revenir à leurs traintrains de vie et de l'enfoncer
totalement dans la poubelle de l'oubli. J'étais le seul à me souvenir des traits de son sourire, je m'en étais tant entiché. J'avais adoré cela.
J'avais osé rêver que ses céphalées ne soient qu'une poussée d'une pathologie autre que psychologique. Hélas. J'avais imaginé qu'elle reviendrait plus souvent à la consultation externe. Pour d'aléatoires consultations, de frivoles informations sur tel médicament à
prendre, sur telle chose à faire, pour juste parler peu importe le contenu. Peu importe l'occasion. Que, dans son sourire, j'aurais puisé tout mon bonheur ! J'avais tant rêvé qu'un
soir après le service qu'elle serait là. Là devant moi. Là à m'attendre. Qu'elle ouvrirait le creux de sa main et me laisserait glisser la mienne pour ne plus la relâcher. J'avais rêvé tant
de scénarios, je ne fais que cela.
Cette fois-ci, ce sourire si familier avait exilé son visage. Le mal de son regard vide avait tout son charme que le soleil de ses yeux au premier jour. Ses paupières étaient lourdes. Ses lèvres toutes desséchées. Ses joues flasques. Elle a essayé de parler et sa voix tremblotait. J'ai compris qu'elle n'allait pas bien. Je n'ai pas apprécié cela.
J'avais tant voulu l'accueillir dans mes bras. Lui tendre mon épaule pour poser sa tête et le versant de mon dos pour recueillir ses larmes. La serrer si fort qu'au travers leurs cages, nos cœurs se regarderaient et battraient à l'unisson. Trouver les mots convenables n'est pas mon fort ; mais apaiser les maux, je m'y connais un peu plus. J'adore faire cela.
Je mourrais d'envie de lui dire d'envoyer ce mec allé se faire foutre. Qu'il ne la mérite pas. Qu'il est en train de la tuer à petit feu. Qu'elle ne mérite pas de souffrir constamment des céphalées. Je brûlais d'envie de lui dire : « Si tu le quittes tout de suite, je suis à moi ! ». Alors je lui promettrais que, sur son cœur, je ne ferais pleuvoir aucune goutte de souci. L'avoir à mes côtés, je serais l'homme le plus comblé. J'adorerais tant cela.
Mais j'ai préféré baisser ma tête. J'ai continué à remplir la fiche. Ne pas se mêler des affaires des autres, c'est ce qu'on attend d'un médecin. D'ailleurs, je fais tout le temps cela.
J'exerce aux Cliniques comme médecin stagiaire depuis un mois de cela. Les heures du début de service sont bien connues, mais pas celles de la fin. Et moi, je n'ai aucun problème avec cela.
J'aime bien surtout quand je suis à la consultation externe. Les autres stagiaires s'y ennuient beaucoup. Ils disent que les malades se plaignent de tout. Mais c'est le lieu où on peut
facilement écouter les problèmes des patients. Et moi, j'adore cela.
Maux de couples, cruauté de la vie, douleurs de l'amour... Moi je ne connais rien de ces expériences-là, si ce n'est leurs répercussions sur les maux que je traite. Alors, quand on me les raconte le long des journées, je me permets de rêver que, un jour, cela sera mon tour de vivre une belle histoire. Une histoire parsemée des pétales et des roses. Une histoire sans embûches. C'est sûr que j'adorerais cela.
Ce matin-là, j'avais des paupières lourdes, je n'avais fermé l'œil de toute la nuit. Une farandole des petites urgences s'était succédé durant toute cette nuit de garde. Il m'arrivait de somnoler des temps en temps. Je surfais tantôt sur Whatsapp, tantôt sur facebook pour lire des nouvelles
sur la politique du pays. Disons que la politique c'est stressant et j'avais besoin de ce stress pour garder l'esprit discrètement éveillé. Je me permettais bien cela.
Une brusque ouverture de la porte m'a tout d'un coup fait sursauter. C'était la première fois où je n'avais vu venir personne. Mon téléphone a glissé de mes mains sans que j'y prête attention. Je n'avais ouï ni toquer à la porte, ni des pas approcher. Elle était statufiée là tout d'un coup devant mon bureau. Comme si elle était tombée du ciel. Je l'ai zieutée, un vague
plaisir a traversé mon cœur. J'ai adoré cela.
Elle ne m'était pas inconnue. Il y a plus d'une semaine, elle était encore venue. Les autres stagiaires et moi l'avions tous remarquée à son entrée. Elle était belle à couper le souffle, à étouffer... D'une voix inondée de douceur, elle avait sollicité une consultation. Nous nous étions hâtés de l'installer. Tenir un premier dossier était un travail de titan et de fourmi. Elle avait patienté et nous a tolérés le temps de nous référer aux archives. D'habitudes, beaucoup de patients se montrent réticents à l'idée que les stagiaires les consultent. Ils ne nous font pas beaucoup confiance. Mais elle, elle avait patienté tout doucement et pardonnait volontiers nos maladresses d'apprentis et répondait tout bonnement à nos questions qui fusaient de partout. Son mal était profond, mais elle essayait des temps en temps de l'esquiver
par un sourire. Ce sourire qui déshabillait notre concentration et nous faisait parfois déstabiliser l'objectivité que nous devrions avoir. « Prenez soins de vous. Encore une fois merci. Je reviendrai », avait-elle ajouté, nous jetant un clin d'œil complice et coquin, avant de nous dire au revoir et de s'en aller. Les autres stagiaires avaient continué à marmonner sur elle pendant quelques minutes ensuite, avant de revenir à leurs traintrains de vie et de l'enfoncer
totalement dans la poubelle de l'oubli. J'étais le seul à me souvenir des traits de son sourire, je m'en étais tant entiché. J'avais adoré cela.
J'avais osé rêver que ses céphalées ne soient qu'une poussée d'une pathologie autre que psychologique. Hélas. J'avais imaginé qu'elle reviendrait plus souvent à la consultation externe. Pour d'aléatoires consultations, de frivoles informations sur tel médicament à
prendre, sur telle chose à faire, pour juste parler peu importe le contenu. Peu importe l'occasion. Que, dans son sourire, j'aurais puisé tout mon bonheur ! J'avais tant rêvé qu'un
soir après le service qu'elle serait là. Là devant moi. Là à m'attendre. Qu'elle ouvrirait le creux de sa main et me laisserait glisser la mienne pour ne plus la relâcher. J'avais rêvé tant
de scénarios, je ne fais que cela.
Cette fois-ci, ce sourire si familier avait exilé son visage. Le mal de son regard vide avait tout son charme que le soleil de ses yeux au premier jour. Ses paupières étaient lourdes. Ses lèvres toutes desséchées. Ses joues flasques. Elle a essayé de parler et sa voix tremblotait. J'ai compris qu'elle n'allait pas bien. Je n'ai pas apprécié cela.
J'avais tant voulu l'accueillir dans mes bras. Lui tendre mon épaule pour poser sa tête et le versant de mon dos pour recueillir ses larmes. La serrer si fort qu'au travers leurs cages, nos cœurs se regarderaient et battraient à l'unisson. Trouver les mots convenables n'est pas mon fort ; mais apaiser les maux, je m'y connais un peu plus. J'adore faire cela.
Je mourrais d'envie de lui dire d'envoyer ce mec allé se faire foutre. Qu'il ne la mérite pas. Qu'il est en train de la tuer à petit feu. Qu'elle ne mérite pas de souffrir constamment des céphalées. Je brûlais d'envie de lui dire : « Si tu le quittes tout de suite, je suis à moi ! ». Alors je lui promettrais que, sur son cœur, je ne ferais pleuvoir aucune goutte de souci. L'avoir à mes côtés, je serais l'homme le plus comblé. J'adorerais tant cela.
Mais j'ai préféré baisser ma tête. J'ai continué à remplir la fiche. Ne pas se mêler des affaires des autres, c'est ce qu'on attend d'un médecin. D'ailleurs, je fais tout le temps cela.