Comprendre et ne pas juger

Mahuton G. DJESSOU Conteur et auteur littéraire béninois.

Image de Jeunes Écritures AUF RFI - 2021
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Moi je suis différent. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, j'étais comme un extra-terrestre. Pourtant, je ne savais pas pourquoi je me battais ni ce qui avait vraiment de la valeur. Je s'avais qu'il me fallait juste une histoire pour rentrer dans la légende d'un pays sous perfusion de la banque mondiale et du fond monétaire international. Certes, il ne s'est pas encore croulé sous le poids des dettes extérieures mais je perçu à l'œil nu l'effrayant, l'inconcevable et l'indescriptible destin susceptible de transformer cette génération pleine de vie dont je fais partie en un troupeau craintif et terrorisé. Cette situation m'angoissait terriblement, d'autant plus qu'elle était suivie d'un corollaire : la peur d'échouer là où ma mère me voyait réussir. C'était une pression intérieure qui me fit enfin passer de l'enthousiasme à la peine puis la colère. Toute rage de soutenir que tout était bien alors que je porte mal s'enfuyait de mon esprit. Je laissais tomber sur quiconque des regards de dédain sans le moindre marque d'étonnement, de frayeur ou de sympathie. Cette cruauté et cette haine, d'où me viennent-elles ? Sont-elles introduites dans ma vie à mon insu ou suis-je allé les chercher délibérément ? Depuis quand me suis-je perdu de voie ? Tant d'interrogation pour un jeune homme de vingt-neuf-ans, d'une physionomie plus ou moins belle et très régulière jeté dans le K.O. du monde comme un jeune soldat dans l'enfer de la guerre. Malgré cela, je ne desserrais pas les dents devant une personne âgée. Je ne me se laissais pas aussi distraire par la vie, pleine de bruits et de fureurs où je m'efforce à me concentrer sur le plus important. Mais mes efforts sont obscurcis par le gain et ma soif de trouver des réponses. Je n'avais pour choix que de faire ce qu'on me demandait de faire ou de me battre comme un dingue.
Mes longues études encouragées qui devraient m'élargir le chemin et réduire mes peines avaient réussi à m'éloigner de mes talents et dons. Je ne connais plus rien de moi. Je n'en connaissais d'ailleurs rien parce qu'on ne m'avait jamais rien appris à propos avant que je n'eusse sorti de l'école avec de grands diplômes et le battement monotone de mon cœur. J'étais persuadé que l'école n'a pas répondu à mes attentes. J'étais aussi convaincu que je ne pourrai blâmer mon père de s'être privé de certains conforts pour m'y envoyer. Seulement, il aurait fait mieux s'il ne m'y avait pas envoyé puis qu'elle s'était longtemps écartée de son inévitable et nécessaire complémentarité entre l'être, la société et elle-même. C'est de l'harmonie d'eux tous que naissent des générations bien formées. D'ailleurs, à quoi servirait une génération qui ne connait ses racines ?
Aujourd'hui, même si je ne peux être très conscient de ma personne, je sais me regarder dans le miroir de la connaissance aussi imparfait qu'il soit dans son contenu que dans son expression. Et s'il y a une chose que je désire plus que tout, c'est d'échanger tous ces diplômes de l'école contre chaque soir où je vais me coucher pour me demander si je verrai demain. Peut-être que je suis encore trop jeune pour faire ce choix mais qu'est-ce que cela peut bien changer pour moi, quelqu'un de différent qui trouve tant d'espoir dans les paroles d'un enfant et dans les accords d'une chanson ?