Cette nuit-là est la dernière pour moi, mais je ne suis pas triste. Bien au contraire, j'ai longuement attendu ce moment. Cet instant que d'autres redoutent du plus profond de leur être est pour moi une échappatoire, un ticket à prendre pour un voyage sans valise et sans retour.
Je vais quitter ce monde demain. J'ai vécu heureux et ma mort sera tout aussi belle. J'ai décidé de la date de mon départ ; je meurs en toute conscience, ainsi mes souffrances prendront fin. Je suis soulagé en repensant aux nuits de douleur intense passées, une douleur qui me consume, qui me brûle de l'intérieur. Ces souffrances m'ont rendu esclave de mon propre corps. Je n'ai plus la force de me battre et je veux partir, m'envoler, quitter cette enveloppe corporelle abîmée par la maladie. On m'a dit d'attendre, que mon tour viendrait bientôt. J'en ai ma claque, j'ai vécu. J'ai une famille aimante, eu une vie joyeuse, presque insouciante. J'ai ri et pleuré aussi, mais à présent, ma souffrance physique a pris le dessus. J'ai vraiment essayé de surmonter cette douleur, mais je n'y arrive plus et je veux m'en aller. Je n'ai pas pu attendre, alors j'ai quitté la France, mon pays natal, pour la Belgique, là où me comprendrait et où on m'aiderait. Me voilà à présent, dans ce lit tout blanc d'hôpital, seul dans la nuit, les yeux rivés vers le plafond, vivant mes dernières heures. J'aurais aimé rester en France, j'aurais aimé passer mes derniers instants auprès de ma femme et mes enfants dans mon chalet de montagne, bercé par leurs rires, une tasse de camomille à la main. J'aurais voulu mourir chez moi, devant ma fenêtre, après avoir contemplé de nuit mes chères montagnes enneigées pour la dernière fois, car c'est lorsque la lune laisse son reflet argenté qu'elles sont les plus belles. J'aurais embrassé ma tendre Gislène et aurais pu partir, une nuit de pleine lune, l'esprit en paix, mon heure une fois venue. Mais la vie fait parfois de drôles de choses. On ne peut jamais rien prévoir. Heureusement que ma famille me soutient, ça m'aide, je ne meurs pas seul. Ils seront tous là demain, à la levée du jour, comme des colonnes portant un lourd et vieil édifice antique. Un édifice souffrant, fissuré, fatigué. Je me souviens de leurs visages décomposés quand ils m'ont vu malade, intubé dans un lit, assommé de médicaments pour la première fois. Ils me comprennent, et cette empathie me fait du bien. On associe toujours la mort à quelque chose de négatif, et l'envie de mourir plus encore. Je ne suis pas suicidaire, je suis malade, un malade heureux. On ne me tue pas, on abrège mes souffrances. À quoi bon vivre quelques mois de plus si j'ai si mal ? Je veux que ma lente agonie prenne fin.
On distingue mieux que jamais les étoiles cette nuit ; je peux apercevoir la Grande Ourse au premier coup d'œil. C'est mon père qui m'a appris les constellations. Il est mort il y a longtemps, mais, cette nuit, je m'imagine qu'il est là, près de moi. Je le vois me tenir la main et me dire : "pas d'inquiétude Jean, je suis là, avec toi, je veille sur toi, viens me rejoindre si tu le souhaites". Ce qu'il me disait autrefois, je le dis aujourd'hui à mes petits enfants. Pensent-ils à moi en ce moment même ? Pensent-ils à papi ? Se remémorent-ils les nuits passées à observer les étoiles, tous ensemble, les yeux remplis d'émerveillement ? Se souviennent-ils de mon vieux télescope qui les fascinait tant ? De mes histoires inventées qui prenaient vie à leur chevet et qui avaient toujours une fin heureuse ? De mes anecdotes loufoques de jeunesse qui les faisaient tant rire ? Je ne veux pas qu'ils se souviennent d'un grand-père malade et souffrant que l'on doit visiter constamment à l'hôpital. Je veux qu'ils ne gardent que de beaux souvenirs de moi, de ceux qui dessinent un sourire sur les lèvres et qui ont un goût doux et sucré. Un goût de bonheur. Je repense à Gislène, à notre mariage, à sa manière de sourire si particulière qui me plait tant, à son intelligence et son éloquence, à sa douce voix, à nos enfants qui sont maintenant parents.
La nuit est si belle ce soir. S'est-elle faite belle pour moi ? Pour que je l'admire une dernière fois ? J'ai toujours aimé rester éveillé jusqu'à tard, la nuit est réconfortante. C'est si beau une maison endormie, de devoir marcher sur la pointe des pieds pour ne pas faire de bruit, de n'allumer qu'une seule lampe afin de lire, puis relever la tête et s'émerveiller devant la beauté du ciel illuminé par la lune. C'est si beau le hululement du hibou, la pendule qui sonne à minuit, puis l'aube rose qui se lève doucement. Comme la nuit qui succède au jour, ma mort succèdera à ma vie.
La nuit est si belle ce soir. S'est-elle faite belle pour moi ? Pour que je l'admire une dernière fois ? J'ai toujours aimé rester éveillé jusqu'à tard, la nuit est réconfortante. C'est si beau une maison endormie, de devoir marcher sur la pointe des pieds pour ne pas faire de bruit, de n'allumer qu'une seule lampe afin de lire, puis relever la tête et s'émerveiller devant la beauté du ciel illuminé par la lune. C'est si beau le hululement du hibou, la pendule qui sonne à minuit, puis l'aube rose qui se lève doucement. Comme la nuit qui succède au jour, ma mort succèdera à ma vie.
Cette nuit-là est la dernière pour moi, mais je ne suis pas triste. Le regard plongé dans le ciel nocturne, je souris, car demain, je m'envolerai rejoindre les étoiles.