Celui qui réalisait ses rêves

Moi je suis différent. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme-ci j'étais un extra-terrestre. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été incompris et ma mère ne faisait pas exception. Je me rappelle encore cet été, au bord de la mer où elle me scrutait du regard pendant que je feignais ne rien remarquer et elle sortit « T'es vraiment bizarre comme garçon, tu le sais ça ? Je veux dire, à 12 ans on fait des trucs de prépubère je ne sais pas moi, rebelle-toi, cherche-toi une fausse copine, fais quelque chose ! ». Comme à mon habitude en ce temps-là, je la regardais avec un visage sans expression pendant quelques secondes, puis je recommençais à faire ce que je faisais avant qu'elle dérange ma tranquillité, à savoir être dans ma tête, penser, imaginer, me lamenter. De l'extérieur, je n'étais qu'un enfant vivant dans une petite maison sympa avec sa maman qui l'aimait tendrement et qui ne manquait de rien. Ce gamin courageux, un peu sympa et poli, qui ne se plaint jamais malgré le fait que son père se soit suicidé quand il avait 11 ans, ah ! je ne vous l'avais pas dit... Effectivement, mon père a fini par prendre sa décision, à 39 ans, ouais 39 ans ! Maintenant que je suis devenu un homme, je trouve cela dommage de ne même pas vivre 40 ans. Mais ce n'est pas le sujet. Enfin, quelque part si, euh, je ne sais plus je m'éparpille. Ah ! Ça y est, j'y suis ! Mon père était gentil avec moi et avec maman de ce que j'ai pu voir, et était toujours souriant. C'est pour cela que ça a surpris tout le quartier quand ils ont appris la nouvelle. Je sortais du collège avec les copains, faisant semblant de m'amuser quand j'aperçus au loin ma mère sur la terrasse, parlant à des flics, oui, il y avait des flics et une ambulance, sympa l'ambiance. Tout le monde s'était pris un coup, ne comprenant pas comment un être si lumineux avait pu en finir avec la vie. Mais plus tard, ce qui les surprenait le plus, c'était moi, mon expression uniforme, mon absence totale de réaction, de tristesse sur mon visage, personne ne comprenait, ni les autres, ni ma mère, et personne de toute manière ne pouvait comprendre le calvaire qu'était le mien. À la suite de cela, ma mère avait commencé à s'inquiéter pour moi et c'était tout à son honneur, je veux dire, elle avait un mari toujours souriant qui s'était pendu et un gosse qui souris si rarement qu'elle immortalisait chacun de ses sourires. Il y avait un peu de quoi faire un cas. D'autant plus qu'elle me croyait bipolaire à cause de toute la morosité que je dégageais, tous mes « amis » et les adultes trouvaient que j'étais un jeune garçon aimable et serviable là où elle voyait un ado dépressif qui en avait déjà marre de la vie. Vous devez vous demander ce qui pourrait rendre si acariâtre un gars comme moi en 2051 qui a tout ou presque, enfin même si par la suite ma mère s'était dit que c'était à cause de la perte de mon père. Je vous avoue que ça m'avait vraiment touché un moment, c'est passé vite sans que j'aie le temps de faire mon deuil, les choses allaient trop vite pour moi, et me demandaient d'être toujours au top pour faire les choses bien. Que je ne vous perde pas surtout car c'est là que tout va commencer.
Il y a évidemment une raison pour que je vous parle de mon adolescence. Il se trouve que d'aussi loin que je me souvienne, j'ai la capacité de vivre mes journées dans mes rêves. « PARDON ?? », je suppose que c'est ce que vous vous dites ? Pourtant, c'est bien la vérité. C'est-à-dire que chaque nuit en partant au lit, je rêvais de la journée qui m'attendait à mon réveil. Au départ, ce n'était vraiment pas évident à gérer, vous vous doutez bien qu'un gosse de 5 ou 6 ans ne se rend pas toujours compte de ce qui se passe vraiment. Je me réveillais chaque matin en me disant que ce rêve avait un sacré goût de réalité, et à partir du moment où je posais un pied sur le sol, ma journée était l'exacte réplique de mon « rêve » et je ne pouvais rien y changer peu importe mes actions, ou les choix différents, l'univers trouvait toujours le moyen de me faire respecter le scénario, ce scénario de merde. Alors quand j'étais petit, j'étais souriant et jovial, et je m'amusais à répéter mes journées sans cesse. En passant pour quelqu'un de futé, capable de tout savoir, même un peu arrogant pour un enfant de 10 ans. Et cela me faisait passer le temps, seulement, il y avait le revers de la médaille... Les mauvaises actions que je pouvais faire, je ne pouvais pas les changer non plus, même en changeant de parole ou de geste, comme je l'ai dit plus tôt, un enchaînement d'actions même improbable faisait en sorte que je sois toujours coupable. Quand on est petit on ne stock pas des masses alors ce n'était pas très grave. Mais plus on grandit, plus ses mauvaises actions prennent de la place dans notre conscience et impact la vie de tous les jours, et cela devient de plus en plus difficile à vivre. Je ne comprenais pas pourquoi on m'avait donné une telle malédiction. J'y prenais de moins en moins de plaisir, après tout, tout jeux à une fin. Je me devais d'être souriant pour ne pas paraître bizarre ou différent comme le pensait ma mère auprès des autres, et surtout, refaire exactement les mêmes choses si je veux éviter de les compliquer. Le problème que ma mère ne pouvait pas comprendre, c'est que j'utilisais toute mon énergie et canalisais toute mes émotions pour paraître ce que j'étais censé être. Opération qui me laissait complètement vide une fois chez moi, ma mère ne pouvait observer qu'un enfant avec un manque béant de vitalité. Puis un jour, à mes 11 ans, ras-le-bol total, je ne peux plus continuer tout seul. Je décide donc de parler à mon ami le plus proche de l'époque, je n'y suis pas passé par 4 chemins, je lui ai dit « écoute Lucas, je vois l'avenir ! ». Il m'a fixé avec des yeux globuleux pendant 10 secondes, parce que Lucas à cette particularité qu'ont certaines personnes à être incapable de cacher leurs émotions. Ensuite, il me sortit « T'es sérieusement sérieux ? Genre, tu vois ce qu'il va se passer ? », chose qui m'a étonné parce que la réaction normale aurait été de me dire que j'étais complètement mongole ou encore que je voulusse seulement attirer l'attention, je ne sais pas moi. Mais enfin, c'est aussi pour ça que je m'étais rapproché de lui à l'époque je pense. Je lui ai expliqué et prouvé comment la malédiction fonctionnait et il trouvait cela incroyable comme quand j'étais plus môme que môme. Et le soir même, j'ai « rêvé » du coup, que mon père allait se suicider, et je ne pouvais absolument rien y faire...Rien du tout. Je me suis réveillé en pleure, si triste, je ne sais plus si j'étais triste pour mon père, ou si c'était parce que je devais faire semblant tout du long de ne rien savoir. Je suis ensuite parti trouver mon père et je suis allé me blottir contre lui de bon matin avec mes yeux encore humides et ma morve un peu dégoulinante. Il ne m'a rien dit, il a même pleuré un peu avec moi, m'a regardé dans les yeux, s'est excusé et est parti aux toilettes, ce fut la dernière fois que j'ai vu mon père vivant, et vous connaissez la suite. Honnêtement, j'ai grandi avec la pensée depuis, que ce ne serait pas arrivé si je n'avais pas parlé à mon pote de ma malédiction, le propre d'une malédiction c'est bien de vous pourrir, je le confirme. Je n'ai donc plus jamais parlé de cela ni à ma mère qui était abattu et qui ne s'est jamais remise, ni à personne. Puis j'eu 15 ans, traînant ma carcasse chaque matin, incapable d'exprimer à ma mère tout l'amour que je lui portais, triste à en crever, devant supporter le poids d'une telle existence. Quelques années plutôt, on avait appris à l'école le principe d'une équation, le membre de gauche et celui de droite devaient être égales. Je me suis demandé à ce moment-là : mais si la vie est une équation et que l'univers rétabli toujours l'équilibre, la vie vaut -elle toujours la peine d'être vécue ? À 15 ans, cette question resta sans réponse.