Cantate sur le mariage de l'Empereur Napoléon avec l'Archiduchesse Marie-Louise

Dans ces jours de gloire et d'ivresse
Où l'univers partageait nos transports,
D'un peuple heureux la touchante allégresse
Retentit jusqu'aux sombres bords.
Des champs Élyséens la paix et le silence
Furent troublés pour la première fois ;
Pour chanter la beauté, la grandeur, la vaillance,
Chacun veut élever la voix.
Des sages, des héros les âmes généreuses
Semblent renaître à des accents si doux ;
On entend célébrer par leurs ombres heureuses
Le grand nom de celui qui les surpasse tous.
Cependant deux vieillards, une femme paraissent :
Ils ont frappé tous les regards.
Le myrte et le laurier se pressent
Sur leur front, inspiré par le plus beau des arts :
Tous trois, dans un divin délire,
Et sur la harpe et sur la lyre
Modulent des accords et des sons triomphants ;
On les écoute : un d'eux fait entendre ces chants :

« Fils de Morven, dont la valeur antique
Avait percé la nuit des temps !
Sage Fingal, dont l'aspect héroïque
De l'ennemi semblait glacer les sens !
Oscar, illustre au printemps de ton âge !
Morni, Fillan, vainqueurs de tant de rois !
Replongez-vous dans le nuage
D'où vous mêliez vos accords à nos voix ;
À nos transports, à notre hommage
Le grand héros plus que vous a des droits :
Un coin du monde a connu vos exploits,
Le monde entier a connu son courage.

Bardes, dressez-lui des autels,
Saisissez vos harpes brillantes,
Chantez ses travaux immortels
Et ses victoires éclatantes !
Que partout vos glorieux sons
Disent l'amour qui nous transporte,
Et que l'aile des vents les porte
Jusqu'au brave que nous chantons ! »

Mille fois applaudi par la foule empressée,
Ossian (c'était lui) s'arrête satisfait :
Mais de l'autre vieillard l'âme semble oppressée ;
Son front, d'abord riant, devient sombre, inquiet ;
On voit qu'une triste pensée
De son enthousiasme a suspendu l'effet.

« Oui, j'admire, dit-il, le héros qui vous charme ;
Il m'a vaincu par sa grandeur :
Pourtant, une secrète alarme,
À son nom trop fameux, s'élève dans mon cœur.
J'illustrai, dans mes vers, de la superbe Rome
Les sages, les guerriers, sa gloire et son appui ;
Mais, quelque grands qu'ils soient, je vois trop aujourd'hui
Que plus qu'eux il a droit au beau nom de grand homme.
Politique, valeur, prudence, dignité,
La nature a tout mis dans son vaste génie,
Et mes mâles tableaux au Français enchanté
N'offrent de ce qu'il voit qu'une faible copie.

Sertorius, Pompée, et toi vaillant César,
C'est donc en vain que j'ai peint vos victoires !
Le théâtre est désert aux chefs d'œuvre de l'art,
Comme aux fastes pompeux de vos nobles histoires.
Eh ! qu'importe, en effet, à ce peuple indompté
Des vieux maîtres du monde et l'éclat et la gloire,
Quand son maître fournit à la postérité
Tant de hauts faits plus grands, qu'elle aura peine à croire ? »

Il dit, et, dans un beau dépit,
Brise sa lyre mémorable,
Et succombant au trouble qui l'accable,
Sous l'ombrage éternel il disparaît et fuit.

Mais, tout à coup, d'une vive allégresse
On entend les brillants éclats.
Sapho, qui des vieillards avait suivi les pas,
S'annonce par ces chants d'hymen et de tendresse

« Amour, Hymen ! dans ce riant séjour
Pourquoi ces mots et de gloire et de guerre ?
Qu'ils soient l'éclat et l'orgueil de la terre ;
Qu'ici, partout le bonheur ait son tour :
Semblable au dieu qui lance le tonnerre,
Le brave aussi doit céder à l'amour.
Amour, Hymen, vous seuls pouvez nous plaire !
C'est à vous seuls qu'appartient ce grand jour !

Ô moments heureux pour la France !
Une jeune beauté vers le héros s'avance :
Sa grâce, sa grandeur, et son esprit orné,
Brillent d'un triple éclat sur son front couronné :
C'est la fille des rois, qui de rois entourée,
Vient offrir à l'hymen sa personne sacrée.
Ses modestes regards et ses chastes attraits
Sont du bonheur les doux présages :
Elle est le garant de la paix,
Et d'un peuple enivré les renaissants hommages
S'offrent partout à ses yeux satisfaits.

Venez, ombres heureuses,
Partagez mes transports ;
Que vos voix harmonieuses
S'unissent à mes accords.

Imitons les jeux de la terre,
Célébrons son bonheur affermi par ces nœuds ;
Que l'aigle, à l'aigle uni, charme ici tous les yeux ;
Qu'il soit de l'avenir le symbole prospère :
De danses et de chants joyeux
Que nos bocages retentissent ;
De fleurs, de chiffres amoureux
Que ces lieux de paix s'embellissent ;
De mille feux que l'éclat répété
D'un jour enchanté nous éclaire,
Et que des rives du Léthé
Jaillissent des flots de lumière.»

Elle a dit : du sombre Achéron
On a vu tressaillir les ondes,
Et les noms de Louise et de Napoléon
Sont célébrés dans tous les mondes.

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Paris 1810